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Zemmour président

Pourquoi il ne faut pas qu’Éric Zemmour ait ses 500 signatures (2/2)

L’élection présidentielle est devenue un jeu en trompe-l’œil où le candidat du Système gagne à tous les coups contre le candidat hors-système. Même avec ses 500 signatures, Éric Zemmour, quand bien même il se hisserait au second tour, ne pourrait gagner l’élection suprême. L’État-Macron et ses appareils d’hégémonie – médiatiques, culturels, universitaires, etc. – lui livreraient une guerre à mort. Ce qu’ils commencent du reste à faire. À l’inverse, un empêchement d’Éric Zemmour mettrait à nu les fragilités d’un Système à bout de souffle qui, faute de pouvoir choisir les électeurs, en est réduit à trier les candidats. Dans l’épreuve, Zemmour gagnerait une stature d’homme du recours et rouvrirait l’horizon des possibles. Seconde partie d’un scénario de politique qui n’est pas que de fiction.

Sûrement l’élection de Macron, en 2017, était-elle déjà une défaite de l’oligarchie face au peuple puisqu’elle fit sauter un de ces remparts, dans son cas : celui de l’alternance fallacieuse des deux forces du centre, qui camouflait sa captation inique et privée du pouvoir. Ce n’est pas étonnant que le mandat de Macron marqua un durcissement de l’ensemble des politiques que l’UMP et le PS menaient de leur côté. L’emballement de la politique macroniste – autant par sa violence dans la répression que dans son empressement dans les réformes – fut le signe d’un affolement, d’une terreur et d’une acceptation à devoir jouer à visage découvert devant une situation dorénavant difficilement dissimulable.

La non-présence d’Éric Zemmour à la présidentielle pourrait être cette brèche qui ferait tomber le dernier mur ; celle qui ferait définitivement basculer la relation de peur pour la projeter entièrement vers le gouvernement et la soustrayant au peuple, semblable au retournement de la relation entre le maître et l’esclave chez Hegel. Si une pareille rupture dans l’équilibre des peurs réciproques se produisait, alors nous serions à l’aube d’un cataclysme politique certain. Et il se pourrait, que cette fois-ci, Macron utilise vraiment cet hélicoptère qui était censé le mettre en sécurité lors des événements des Gilets jaunes.

L’alliance de l’État solide et de l’État liquide

Une chose est à noter : le système se défend bien et avec hargne. S’il est vrai que nous sommes en train de gagner le combat culturel, n’enterrons pas tout de suite un ennemi que l’on a tendance à parfois trop sous-estimer. Le système des démocraties libérales ne réside pas en la prépotence d’un État totalitaire comme le XXe siècle put nous en donner l’exemple. Au-delà de la forme traditionnelle que l’on peut lui connaître par ses attributs de puissances publiques (comme ceux du judiciaire, de l’administratif ou encore du maintien de l’ordre), sa force réside aussi dans sa « deuxième peau » qui regroupe les institutions qui cadenassent la société civile par leurs diverses emprises. Intellectuels organiques, médias, associations, monde universitaire ou encore l’ensemble des divers appareils politico-culturels encadrant les agents de la société civile avec une puissance de feu redoutable.

On sait que Carl Schmitt reprocha à Hobbes d’avoir symbolisé l’État par la figure du Léviathan, monstre biblique marin, alors que l’appellation Béhémoth, monstre terrien, lui aurait mieux correspondu. Suivant cette remarque, si l’État « dur » et légal pourrait s’apparenter à cet État-Béhémoth, cette doublure de l’État « liquide » qui contrôlerait insidieusement la société civile pourrait être appeler État-Léviathan. Si la résistance à l’État-Béhémoth est rendue plus facile puisque celui-ci tient en des lieux précis, dans des autorités reconnaissables et par des actions identifiables ; la tentative de circonscrire les acteurs de l’État-Léviathan est rendue beaucoup plus difficile puisque l’ensemble des caractéristiques évoquées pour l’État-Béhémoth ne tiennent pas pour lui. Opacité, réseaux, groupes de pression ou d’influence, menace et même mise à mort sociale ou économique ; cette « viscosité », selon le mot de Sartre, de la société civile démontre qu’en plus du solide de l’État-Béhémoth, la démocratie libérale se protège aussi par des manières détournées lui permettant de contenir en amont la moindre contestation.

Voilà pourquoi on peut penser, raisonnablement, que l’accession au pouvoir d’un homme comme Éric Zemmour sera extrêmement compliquée par la voie « royale », à tout le moins normale. Le véritable coup d’État judicaire auquel se heurta Fillion en est une parfaite démonstration. Ce n’est pas la simple conquête de l’État qui est à faire, mais bien aussi la victoire contre un État-Léviathan entièrement dévoué à la protection de sa chasse-gardée constituée des différents appareils hégémoniques du pouvoir.

Que faire ?

À ce niveau, il faut faire intervenir un autre penseur italien qu’est Antonio Gramsci. Esprit particulièrement incisif sur l’État, le penseur appela la constitution de cette union – celle qui est politique, culturelle, économique et juridique – entre les deux « États » et à laquelle il donna le nom de « bloc historique ». Gramsci nous en donne ensuite sa définition : « État = société politique + société civile, c’est-à-dire une hégémonie de coercition ». Le penseur italien avait parfaitement saisi cette doublure, déjà présente à son époque, même si quelques différences sont à relever. Si Gramsci nous parle de « fortifications » ou de « casemates » pour permettre cette défense de l’État, la protection actuelle semble avoir subi une transformation élémentaire du solide au liquide. C’est pour cela que François Bousquet, dans son livre Courage ! Manuel de guérilla culturelle, en conclut que les coups d’État bolchevique ou mussolinien, dont la technique fut décortiquée par Malaparte, sont dépassés. Cette transformation est d’autant plus redoutable qu’elle rend quasiment inopérant, et aussi vraisemblablement impossible, d’autres coups d’État, à l’ancienne, comme la grève, la prise des usines – la désindustrialisation est passée par là – ou encore le renversement direct des gouvernements par la force du type 18 Brumaire.

La prise du pouvoir par l’élection présidentielle demeure, au vu de la puissance encore certaine de l’État-Léviathan, une chimère dont nous devrons contourner les obstacles encore insurmontables. Nous pouvons imaginer, et avec une assez grande précision, quels orages se soulèveraient et quels torrents de boue se déverseraient si un candidat comme Zemmour devait accéder au deuxième tour. L’État-Léviathan entrerait aussitôt en convulsion comme un poisson ridicule et frétillant sorti de l’eau. Le précédent Jean-Marie Le Pen, en 2002, doit nous servir de leçon. Zemmour finaliste, l’Armada de l’État-Léviathan se mettrait en branle pour mener une guerre totale contre un homme pouvant remettre en cause son hégémonie. Tous les spectres de la peur seraient agités dans un immense tohu-bohu destiné à conjurer le retour de la « bête immonde ».

Étant toujours dans une position d’infériorité et d’asymétrie, la défaite serait assurée au soir du second tour. Nonobstant les diverses victoires dans les médias, pour la plupart éparses (on pense néanmoins à CNews ou à Bolloré), mais aussi dans l’opinion publique (en témoignent les sondages allant dans le sens de nos combats et marquant une prise de conscience des enjeux décisifs comme celui de l’immigration ou de la souveraineté), il n’en demeure pas moins que la guerre culturelle est loin d’être gagnée, sans même évoquer la guerre institutionnelle – celle de la prise des lieux importants et officiels de pouvoir et d’influence.

Devant ce constat, François Bousquet propose que le combat soit mené selon une perspective de guérilla. S’il y a actuellement une guerre entre un faible et un fort, nous sommes encore le faible, que nous le voulions ou non. L’incroyable dynamique de Zemmour peut nous apparaître comme une belle promesse pour la cause nationale ; toutefois, notre cheval de bataille – la cause nationale – et nos idées, même si elles progressent, restent dans une position en retrait, évoluant en parallèle du système dominant, sinon même en dissidence. Nous ne faisons pas encore le poids ; et une guerre régulière ou conventionnelle engendrerait nécessairement notre défaite. L’élection présidentielle, qui est une opposition directe, se fait sur le terrain de l’adversaire et donc à notre complet désavantage. Prendre part aux règles de l’élection présidentielle reviendrait à accepter les règles du jeu de l’adversaire qui sont entièrement tournées à son avantage.

Le lion et le renard

Devant ce constat du déséquilibre des forces entre nous et nos adversaires, faisons sortir notre dernier as, ou plutôt italien, caché dans notre manche qui est Machiavel. Nous venons de le voir : l’opposition directe ou solide, celle de l’élection présidentielle, compromet nos plans et annonce une défaite inéluctable. Le penseur florentin parlerait à cet endroit de duel de lion contre lion puisqu’il disait : « Le lion en effet ne se défend pas des pièges, le renard ne se défend pas des loups. Il faut donc être renard pour connaître les pièges et lion pour effrayer les loups ». Pour l’instant, Zemmour fait une campagne de lion. Imposant ses thèmes privilégiés au cœur de la course présidentielle et faisant sauter des lignes longtemps « sacrées » et « intouchables » dans le débat public, le combat mené par le lion Zemmour force l’admiration.

Sur le terrain de l’adversaire, il sait se montrer conquérant pour nous faire gagner de précieuses batailles idéologiques. Patrick Buisson avait dit de Sarkozy qu’il avait au moins le mérite d’avoir fait gagner cinq ans à « la cause du peuple ». Sans même être président, Zemmour en a déjà fait autant, voire plus. Cependant, il est peut-être temps de se faire renard. De quitter la force d’un Achille, ponctuellement, et de faire sienne la rouerie d’un Ulysse. Si Zemmour gagne en ce moment bataille sur bataille, il se peut qu’à l’approche de la Citadelle, quand viendralabataillefinale – l’opposition frontale au système lors de l’élection présidentielle –, il doive, lui aussi, faire face à son Général hiver qui déjouera sa dynamique. La stratégie du choc a ses limites ; et la prochaine étape, une éventuelle place au second tour, pourrait marquer son arrêt brutal. Peut-être alors serait-il plus judicieux de faire semblant de se retirer, de passer à une stratégie de l’évitement qui lui permettrait de revenir encore plus fort. Et c’est là qu’apparaît la chevelure à saisir, celle du Kairos (car on saisit l’occasion aux cheveux, opportunément) : son incapacité à récolter les 500 signatures.

À la croisée des chemins comme il aime lui-même le dire de la France, deux options s’offrent à Zemmour. Soit il se fait le condottiere du « rassemblement des droites », glorieux et magnifique peut-être, mais dans une partie d’échec truquée d’avance. Alors possiblement arrivé au second tour – ce qui n’est même pas certain dans l’absolu –, il perdrait devant un adversaire encore trop fort qui ferait de lui sa caution « fasciste » et « brune » permettant à cette République de se maintenir en agitant son diable de carnaval – en l’occurrence Zemmour. Soit il devient un Prince selon la perception de Machiavel, ce qui signifierait l’incarnation d’un nouveau mythe politique. Ainsi bienque momentanément perdant, exclu de la course présidentielle faute des 500 signatures, il deviendrait, mécaniquement et pour toutes les raisons évoquées, le personnage central d’un mouvement de contestation du système qui porterait avec lui une capacité future de renversement politique éminemment plus conséquente.

Dans la cour des grands hommes

Au lieu de s’incarner dans un projet d’alternance gauche-droite ou progressiste-conservateur, Zemmour deviendrait ainsi l’incarnation d’une volonté collective beaucoup plus large. N’étant plus assigné au seul antagonisme horizontal gauche-droite, il pourrait ouvrir une nouvelle dimension à sa substance politique, en l’inscrivant dans l’axe vertical haut-bas, ou bloc élitaire et bloc populiste selon l’image de Jérôme Sainte-Marie. En en finissant avec la division euclidienne des petits personnages politiques, Zemmour aurait alors la possibilité d’entrer dans la cour des grands hommes politiques qui peuvent se réclamer, comme le général de Gaulle, de cette dimension « hors parti », en renouant avec les formes mythiques d’une pulsion nationale ou de l’incarnation de la conscience politique, privilège de quelques hommes.

La balle est dans votre camp, monsieur Zemmour, et la chevelure du Kairos s’entremêle autour de vos doigts. À vous de la saisir ou de la laisser filer…

Première partie : « Pourquoi il ne faut pas qu’Éric Zemmour ait ses 500 signatures (1/2) »

2 réponses

  1. J’ai apprécié votre démonstration d’un système cadenassé, dès son origine, qui n’est pourtant pas encore le dos au mur. Vous semblez, et c’est encourageant, espérer dans la capacité de réaction du peuple français, s’apercevant subitement à l’occasion de l’éviction d’un candidat hors système en place que sa  » souveraineté  » est résolument menacée. Personnellement j’en doute et vous l’exprimez vous-même quand vous soulignez le chemin encore à parcourir. Deux questions me viennent :
    – Si Zemmour est le Lion que vous décrivez, quel système propose-t-il ? Celui de cette cinquième république plébiscitaire avec cette chimère de  » l’union des droites  » qu’il appelle tant de ses vœux ?
    Enfin, vous citez François Bousquet et son manuel de guérilla idéologique  » courage « , vous avez bien raison, mais une guérilla ou une guerre subversive (nous y sommes à bien des égards) ne se gagne pas sans une formation et un mental à toute épreuve. Bien à vous.

    1. Bonjour Monsieur,

      Merci pour votre réponse.
      Deux visions s’opposent ici : celle d’un peuple providentiel à la Michelet, ou d’un homme providentiel qui recouperait la vision bonapartiste et gaulliste. Pour moi, elles doivent se concilier en la rencontre d’une aristocratie patriote et d’un peuple enraciné qui s’opposerait au bloc bourgeois. Opposition qui recouperait et totaliserait les clivages universalisme/ethno-différentialisme, européisme/souverainisme, mondialisme/localisme ou encore progressisme/conservatisme. La dialectique horizontale gauche/droite et celle verticale élite/bloc populaire sont, et seront à l’avenir, dorénavant trop justes pour accéder au pouvoir par la voie royale. Sorel et Barrès, chacun à leur niveau, ont esquissé ce national-populisme. De sorte qu’il s’incarnerait, dans notre cas, par une dialectique diagonale qui regrouperait le Haut et le Bas d’un nouveau parti animé de la mystique politique nationaliste et souverainiste. Pour Sorel, ce sont les mythes politiques qui sont importants et qui permettent de faire véritablement bouger les choses. L’État de la France est si lamentable que seule une politique du « choc » – peut-être une dictature à la romaine ou des pleins pouvoirs à la de Gaulle-, serait en mesure de pouvoir encore tenter quelque chose. Une telle politique aurait besoin dès le départ d’une impulsion qu’une élection présidentielle ne peut plus donner.

      De Gaulle forgea sa légitimité transpartisane « grâce » à la guerre. Chose dans nos cas impossible. Mais Zemmour pourrait la saisir, cette légitimité et dynamique, par son éviction pour cause de non-validation des 500 signatures. D’une part, il recueillerait la colère des patriotes qui en avait fait son candidat pour la présidentielle ; de l’autre, son capital envers les abstentionnistes augmenterait nécessairement. En effet, la majorité des abstentionnistes le sont par diverses branches de la contestation qui peuvent être le Frexit, la haine envers la classe politique actuelle ou encore plus largement contre l’ensemble du système qui regroupe les journalistes, la justice, les mondains, les intellectuels organiques en général. Cette mise à l’écart de Zemmour pourrait être cette opportunité qui lui permettrait de mordre cette masse dorénavant hermétique aux séductions politiques normales. A l’étroite « union des droites » il pourrait légitimement se revendiquer comme l’unique personne capable de mener « l’union sacrée » contre un système qui incarnerait une véritable cinquième colonne dans le pays. Il accéderait, de fait, à une dimension autre.

      Concernant votre remarque sur la notion de guérilla, Zemmour, encore actuellement, joue un double jeu où il donne l’image d’un homme se désolidarisant du système politique actuel tout en continuant à donner des gages de respectabilité. Dans le cas d’une prise de position radical comme expliquer plus haut, il n’aurait plus qu’à jouer son vrai rôle qui serait l’opposition totale à cette république désignée comme ennemi de la France et de son peuple. Cette désignation de l’ennemi -concept qui fonde le politique pour Freund ou Schmitt- envers la république actuelle serait ce qui l’astreindrait à sortir, automatiquement, de l’ambiguïté pour se jeter dans la peau du meneur d’un contre-modèle à celui que nous connaissons présentement.

      Cette réponse est parcellaire mais j’espère qu’elle pourra vous permettre de mieux comprendre ma position.

      Bien à vous Monsieur,

      Cart Rodolphe

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