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Zemmour, Le Pen et Mélenchon

Pourquoi il ne faut pas que Zemmour, Le Pen et Mélenchon aient leurs 500 parrainages (1/3)

Voici un livre qui tombe à pic : « Les parrainages. Ou comment les peuples se donnent des maîtres » de Frédéric Rouvillois et Christophe Boutin. Publié aux éditions de La Nouvelle Librairie, le livre de ces deux professeurs de droit public sort au moment où le candidat Éric Zemmour annonce sur Europe 1 ne pas être certain de réunir ces 500 signatures et où Marine Le Pen s’alarme sur France Inter d’une « situation démocratiquement terrifiante ». Et si le système démocratique français explosait sous nos yeux ?

Pourquoi le système actuel a-t-il établi un pareil obstacle démocratique qui nous offre, tous les cinq ans, ce même « psychodrame » ? Quelles sont les différentes étapes qui auront été nécessaires à sa mise en place ? Et est-ce que la question des parrainages n’est-elle pas l’arbre qui cache la forêt d’un malaise démocratique beaucoup plus profond ? Autant de questions pour autant d’ombres qui semblent, et cela à chaque élection présidentielle, ne pas trouver cette solution qui nous ferait sortir de cette crise qui paraît, cette fois-ci, plus aiguë que les autres fois.

Quelques chiffres sur la situation présente

Le 15 février 2022, un sondage Harris Interactive donnait le candidat Zemmour à 14,5 %, la candidate Le Pen à 17,5 %, et le candidat Mélenchon à 10,5 %. Or, le 17 février, Nathalie Arthaud, Anne Hidalgo, Jean Lassalle, Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Fabien Roussel disposaient déjà de leurs 500 parrainages. Pendant que des candidats possiblement au deuxième trimaient, et ce mot est le bon selon les déclarations d’Éric Zemmour, pour recueillir le fameux sésame ; d’autres comme la candidate Arthaud à 0,5 %, le candidat Lasalle à 1 %, ou encore la candidate Hidalgo à 2,5 % avec sa pluie de promesses de parrainages – environ 3000 –, enregistraient dans la plus grande des sérénités leur candidature auprès du Conseil Constitutionnel.

L’écart entre les chiffres et la situation présente prête à sourire. Mais la chose demeurerait-elle si drôle s’il s’avérait, par une divine surprise comme disait l’autre, qu’un de ces trois candidats « sérieux » ne parvenait pas à se présenter au premier tour ? Quelle légitimité sortirait de cette élection si les principaux candidats portés par le peuple se voyaient écarter de celle-ci, et cela avant même d’y avoir participé ?

Si d’aventure une grande partie des Français – ici on parle de millions d’électeurs possibles – ne se voyaient pas représentés au dernier « rendez-vous démocratique » qu’il leur reste et qu’est l’élection présidentielle ; alors nous pourrions nous poser, légitimement, la question de la représentativité de ce système déjà miné par un absentéisme en constante hausse à chaque élection. Essayons donc de voir ce que cette situation nous dit de notre situation politique.

La revanche des notables

Comment en est-on arrivé là ? Le livre de Rouvillois et Boutin commence sur une phrase du général de Gaulle qui résume sa pensée sur le suffrage universel : « On ne peut pas, à la fois, faire élire le président de la République au suffrage universel et au suffrage restreint. Il faut choisir. J’ai choisi ». Cette phrase exemplaire à plus d’un titre montre bien l’intention, dès le départ, du général. Dans un précédent article, nous avions déjà appréhendé ce moment du passage au suffrage en 1962. Dans l’esprit du général, le suffrage universel marquait la fin de la rupture, du moins son atténuation, entre la souveraineté populaire et la souveraineté parlementaire. Si auparavant le pouvoir revenait entièrement à cette dernière, l’élection présidentielle au suffrage universel devait permettre de mettre fin à l’exclusion historique du peuple. Véritable rencontre d’un homme et d’une majorité sous une forme plébiscitaire, cette « courroie de transmission » démocratique et directe était censée « faire la nique » aux instances parlementaires toutes puissantes de la IIIe et de la IVe République ; tout en permettant de remettre à neuf des institutions déphasées, et manquant d’échos avec l’esprit de l’époque.

Si l’on en croit le livre de Rouvillois et Boutin, le lent processus de modification des parrainages pour l’élection présidentielle ne serait rien ni moins que « la revanche des notables ». Humiliés, mises au ban, puis outrepassés par le passage au suffrage universel direct que certains taxaient déjà de populisme ; les deux auteurs insistent bien sur la bascule que représenta la loi organique du 18 juin 1976, et du passage de l’élection présidentielle à une approche libérale qui ne serait, toujours selon les auteurs, qu’une manœuvre « anti-démocratique » aux accents suintant des « arrière-pensées oligarchiques ».

Le petit coup d’État du camp libéral de 1976

Avant cette fameuse loi organique de 1976 et même la réforme de 1962, cinquante membres d’un « collège électoral présidentielle » composé pour la majorité d’élus politiques étaient nécessaires pour « éviter l’énergumène qui jettera le trouble » comme pouvait le dire de Gaulle. Autre mention significative, « les noms et qualités des membres du collège ayant proposé des candidats » n’étaient pas rendus publics. Ce secret du vote permettait de protéger l’électeur des pressions, des reproches, et même des sanctions que son choix aurait pu lui causer. La chose fut si bien comprise que la disposition sera gardée telle quelle en 1962.

L’on peut comprendre, aisément, que la chose deviendra sensible lorsque le général voudra passer au suffrage universel. Il est alors rappelé, dans le livre, la phrase du grand professeur de droit Maurice Duverger qui disait que « le choix des candidats à la Présidence est un élément aussi important que le choix des candidats ». Cela est entendu, et cette question des parrainages créera même une scission au sein du conseil des ministres. Déjà, à cette époque, les critiques du sentiment plébiscitaire et adeptes de l’école libérale, dont Georges Pompidou était un partisan éminent, se montrèrent méfiants et craintifs à l’égard de ce pouvoir donné au peuple. On connaît déjà les arguments de la ritournelle de cette caste : peuple naïf et sujet à la démagogie, les citoyens sont incapables de jugements raisonnables, les choses politiques sont une affaire d’experts et elles doivent être fermées aux non-initiés. Georges Pompidou se montra d’une grande dureté envers cette possibilité puisqu’il avança le chiffre de « 2000, voire de 5000 » parrainages pour éviter une vraisemblable « pagaille ». Notons que Giscard sera aussi sur cette ligne. Il préconisera une obligation de campagne aux candidats auprès des « pré-électeurs ». En face, le camp acquis à la position du général se rangea pour une solution bien moindre à 100 parrainages, voire moins. C’est ce dernier chiffre qui sera requis pour la loi de 1962.

La souveraineté bourgeoise contre la souveraineté populaire

Battu une première fois, le parti de l’oligarchie ne s’avoua pas vaincu. Les élections de 1965 et 1969 ne tournant pas à la « pagaille » prophétisée, cela ne freina aucunement ces ennemis du peuple dans leur entreprise de mise à distance du pouvoir de ce dernier. Dès la présidence pompidolienne, le masque tomba afin d’en finir avec « les inconvénients du système actuel ». Peu à peu se dessina les volontés de restreindre aux seuls grands partis le droit de présenter des candidats. Le parti des notables tenait sa revanche, et enfin il pouvait retrouver ce rôle qui lui avait été confisqué.

D’un choix porté sur 2000 parrainages, le chiffre de 500 sera décidé pour ne pas réserver les candidatures aux seuls « grands partis » ou « candidats financièrement puissants ». On remerciera ces grands seigneurs pour cette sagesse exemplaire afin que le travestissement de la réforme de 1962 ne soit pas trop flagrant. Néanmoins, le fait le plus important de ce « petit » renversement de pouvoir réside dans le changement concernant « la publicité des noms figurants sur les listes de présentation des candidats ». C’est l’esprit tout entier de la réforme de 1962 qui était changé par ces « travestissements ». Enfin l’oligarchie pouvait reprendre cette mainmise perdue qu’elle avait toujours eu sur la politique nationale. La bataille perdue contre de Gaulle en 1962 était lavée. La loi organique de 1976 marquera d’une pierre blanche la riposte de la souveraineté parlementaire – on peut l’appeler aussi souveraineté bourgeoise ou oligarchique – contre la souveraineté populaire.

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