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l’obsolescence programmée

Pour en finir avec l’obsolescence programmée

Dans un monde où tout est jetable, jusqu’au monde lui-même, l’art de faire durer les choses – ce qu’est la maintenance – surprend. Telle est la matière du livre de Jérôme Denis et David Pontille, « Le soin des choses ». Tel est aussi l’objet de Champs communs, le laboratoire d’idées de la reterritorialisation de Guillaume Travers.

Notre époque ne valorise que l’innovation, la création, la disruption. Le meilleur argument de vente d’un bien est sa « nouveauté », ce qui le rend différent du passé. Cette mentalité masque et rend presque invisible à nos yeux un vaste pan des activités humaines qui consistent, non à remplacer l’ancien par du neuf, mais à maintenir l’existant. À en prendre soin, à le réparer, à faire en sorte qu’il dure. Le grand mérite de l’ouvrage de Jérôme Denis et David Pontille est de permettre ce décentrement du regard, et de nous inviter à reconsidérer ce que nous ne voyons plus. Tel est l’objet de la « maintenance » : l’art de faire durer les choses.

Quand les poubelles ont été ramassées, quand les couloirs d’un immeuble ont été nettoyés, quand les feuilles mortes ont été balayées, rien de cela ne soulève en nous de question majeure. C’est que nos esprits ont été reformatés pour la nouveauté, pour le jetable. Car dès qu’une chose dure et se présente à nous telle qu’elle a été, c’est que quelqu’un en a pris soin, et donc a œuvré à sa maintenance. Les sociologues de terrain que sont Denis et Pontille nous donnent à voir mille exemples de « maintenance », au musée ou dans le métro. Par-delà ces longues explorations des soins apportés à telle ou telle chose, le livre nous invite à repenser notre sensibilité au monde, à faire davantage attention à ce qui rend possible la « maintenance » du monde, donc sa durée et sa conservation.

Maintenir le monde

L’enjeu est de taille. Se recentrer vers la maintenance permet de prendre conscience de la fragilité du monde : si l’on ne prend pas soin de ce qui nous environne, notre monde sera perdu. Une conséquence s’ensuit. Tant que nous restons focalisés sur la nouveauté, le monde nous apparaît comme un donné extérieur ; à l’inverse, le monde que nous entretenons quotidiennement forme un espace commun auquel nous co-participons. Si un monde nous entoure, celui-ci ne peut donc pas être donné. Il n’est là que parce que d’autres en ont pris soin, nous l’ont transmis. En outre, là où une pensée tout entière tournée vers l’innovation donne à voir le temps comme une ligne, la maintenance nous ré-enracine dans une vision circulaire du temps. Ce changement de paradigme a des implications très pratiques : si l’on reprend conscience de la centralité de la maintenance, la culture moderne du déchet, du jetable, paraît une aberration.

Jérôme Denis, David Pontille, Le soin des choses. Politiques de la maintenance, La Découverte, 2022.

Retrouvez Guillaume Travers dans Champs communs, le laboratoire d’idées de la reterritorialisation : www.champscommuns.fr

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