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Pour André Chénier

Pour André Chénier

Notre ami André Murcie réserve à son ordinateur les fruits de ses saines colères. C’était le cas de cette chronique qui, bien que datée d’août 2019, est d’une actualité de plus en plus effrayante. Nous la lui avons arrachée sans peine !

Ce qui m’étonnera toujours au plus haut point ce sont les gens de toutes obédiences qui coupent la branche sur laquelle ils sont assis. Le pire c’est que ceux qui s’empressent de mutiler leur perchoir ne s’aperçoivent pas que c’est toute la forêt dont ils vivent qu’ils mettent en danger.

Donc André Chénier. Un auteur bien plus essentiel pour le déploiement nodal de la littérature française que beaucoup d’autres, mais nettement moins lu et populaire que Prévert. Pour ne citer qu’un exemple au ras des pâquerettes. Maintenant pour énoncer les choses avec de gros sabots éléphantesques, un poëte dont 99 % de nos contemporains se moquent d’autant plus éperdument qu’en règle générale son nom leur est parfaitement inconnu. Mais voici que Chénier se retrouve inopinément la tête de turc – ce qui ne manque pas de sel pour un adorateur de la Grèce antique – d’une effroyable controverse sur les réseaux sociaux. Notons qu’il n’est pas le seul, déjà en son époque Baudelaire, et une vindicte semblable a été dirigée voici peu de mois contre Ronsard, sans parler de ces féministes américaines – cela doit faire une dizaine d’années – qui prêchèrent l’interdiction de l’étude d’Aristote dans les Universités américaines sous prétexte de son peu de considération de la Femme dans sa pensée…

L’honneur d’être l’avocat du roi

Mais qui en veut à ce pauvre André Chénier mort et enterré depuis plus de deux siècles ? Des étudiantes et des étudiants confrontés en préparation d’agrégation à un corpus de textes tirés de son œuvre. Que veulent-ils au juste : le droit de pouvoir affirmer que le poème L’Oaristys est le récit d’un viol. A priori personne ne les empêche d’expliciter ce texte de cette manière lors de la passation de leur oral. Il se pourrait que des professeurs ne soient pas d’accord, et se refusent à cette interprétation et sanctionnent une telle lecture. C’est un peu la loi de l’oral, selon les examinateurs vous risquez plus ou moins, l’oral n’est qu’une loterie…

Z’oui, un jury d’agrégation n’est pas un goûter de maternelle. Question de pouvoir, de réseaux, de copinage, de lèche… Pourtant nos impétrants tiennent à leurs concours, pas question de remettre le principe de la sélection en cause. Nous n’avons pas affaire à un groupe d’anarchistes virulents décidés à saccager l’Institution. L’affaire est plus pernicieuse qu’il n’y paraîtrait. Nos signataires sont persuadés de détenir la vérité quant à l’interprétation de ce poème. Ils veulent donc une assurance tout-risque, que lors de la passation de leur examen, les professeurs ne puissent pas être en désaccord avec leur lecture. Puisque c’est la seule vraie !

Il est temps de donner la parole à l’accusé. Certes il ne peut répondre, mais sa vie offre tout de même un enseignement. Lorsqu’il fallut défendre le Roi lors de son procès, il n’y eut pas foule parmi les royalistes enragés pour jouer le rôle de l’avocat. En cette période révolutionnaire il ne faisait pas bon de se faire remarquer aux côtés du tyran. André Chénier se porta volontaire pour cette tâche ardue, bien plus dangereuse qu’un oral d’agrégation. Savait très bien qu’il ne risquait pas un poste de fonctionnaire mais sa tête. Et pourtant il n’était pas un inconditionnel du pouvoir royal absolu que représentait Louis XVI.

Moraline contre littérature

Chénier n’était pas convaincu de posséder la vérité. Ses Fouquier-Tinville d’aujourd’hui, oui. Il ne s’agit pas pour eux d’initier un débat littéraire d’herméneutique généralisée mais de stigmatiser un poème et un auteur. Car celui qui décrit un viol commet l’apologie d’un crime odieux, son poème ne saurait être qu’un encouragement au féminicide. En d’autres termes conséquentiels, dont l’on se défend selon une hypocrisie toute relative, omerta totale sur ce violeur de Chénier et l’ensemble de son œuvre criminelle.

Pour ceux qui ont un tant soit peu l’habitude de lire la poésie grecque antique, L’Oaristys, qui est une imitation de Théocrite, suit un schéma des plus classiques du consentement féminin de la jeune vierge qui se doit de ne point trop manifester son désir de l’étreinte physique… 

Mais les ignorants ne peuvent pas tout savoir. De toutes les manières il n’est de pires sourds que ceux qui ne veulent point entendre et entreprennent de parler plus fort que les autres pour imposer leurs vues. Évidemment nous sommes en présence de ce mouvement de puritanisme exacerbé importé des États-Unis. Théorie du genre, féminisme outrancier qui gangrènent les rangs de la gauche intellectuelle et radicale. Lorsque vous ne pouvez pas abattre le chien du capitalisme certains pensent continuer le combat en tuant ses puces. Tout le monde a le droit de se tromper. Surtout les imbéciles.

Le plus triste c’est que cette diarrhée fait tache d’huile, des intellectuels, des politiques – que ne ferait-on pas pour courber la tête dans le sens du vent – se rallient à ce genre de caviardage, la censure et la moraline tiennent le haut du pavé.

Comment tuer la littérature

Nous avons cité Ronsard, son cas est peut-être encore plus risible. N’a-t-il pas consacré un des sonnets de ses Amours au « viol » de Danaé par Zeus qui se glisse entre ses jambes sous forme d’une pluie d’or. Nous serions pour notre part incapable de dresser la liste des poèmes qui retracent cet épisode des métamorphoses de l’Olympien. De quoi renvoyer à l’encan des oubliettes un bon tiers des poëtes qui s’inscrivent dans la geste de la lyrique française et internationale… Et je ne parle pas des peintres… Il existe donc certains professeurs qui se targuent de ne plus faire étudier Ronsard en leurs classes. Parfois la bêtise s’accouple avec l’ignominie.

La mort de la Littérature est programmée depuis des années dans l’institution scolaire. L’on ne lit plus les textes, l’on établit des grilles d’interprétation purement formelle qui cadenassent l’accès au sens. Il ne faut pas que les lecteurs deviennent par trop intelligents. Que les nouvelles générations d’enseignants – mandarins et disciples – qui furent durant leurs études les premières victimes de ce plan concerté participent de cet éteignoir est déplorable. Leurs stupides fulminations prouvent la réussite de ce projet criminel, appliqué depuis près de trente ans par les autorités gouvernementales successives, de dresser entre les élèves et les textes de fallacieux sas de facilitation qui n’ont d’autre but que d’en fermer l’intelligence aux esprits désireux de s’éveiller. Nivellement par le bas. Arasement généralisé. Suicide intellectuel. Renoncement culturel. Déjà, l’on ne comprend plus les agissements des dieux ! Ô Ronsard ! Ô Chénier !

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