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Pierre Bergé

Pierre Bergé, le milliardaire rose (5/9)

Il y avait le milliardaire rouge, Jean-Baptiste Doumeng, il y a eu le milliardaire rose : Pierre Bergé, amant et pygmalion d’Yves Saint Laurent. À eux deux, ils furent un peu nos Liz Taylor et Richard Burton. Mariés, divorcés, rabibochés.

Pierre Bergé fut un collectionneur hors pair. Il collectionna les amitiés brillantes, les amants célèbres et les milliards. Ses amis, dans sa première vie, s’appelaient Jean Giono, Louis Aragon, Jean Cocteau. Dans sa seconde, ils se prénommaient Ségolène Royal et Vincent Peillon. Ô déchéance ! Sur la fin, il s’extasiait sur les minauderies de Philippe Sollers et trouvait à BHL des airs de penseur de Rodin passé par le pressing de la rue d’Ulm. Quant à Alain Minc, il lui apparaissait comme un mélange de J.M. Keynes et de Baruch Spinoza – en plus chafouin.

Pygmalion et secrétaire très particulier du peintre Bernard Buffet, il fut l’amant, l’époux et la nounou d’Yves Saint Laurent, qu’il a bichonné, enduré et adoré plus que tout. À eux deux, ils furent un peu nos Liz Taylor et Richard Burton à nous. Mariés, divorcés, rabibochés. La mort, seule, les a séparés. Après la disparition d’YSL, Bergé cultiva la mémoire du couturier disparu comme une veuve de guerre et construisit à « ses » morts – qu’il entoura de naphtaline et de ferveur religieuse – des mausolées et des musées à faire pâlir d’envie tous les conservateurs de France. 374 millions d’euros pour la vente de la collection Saint Laurent reversés à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent.

Le Petit Père des people gay-friendly

Une étoile guida sa vie, la rose, celle du Parti socialiste incluse. Il finança à fonds perdus la Madone du Poitou, SOS Racisme, Julien Dray, le Sidaction, Act-Up et les bonnes d’œuvres gays et lesbiennes. C’est le Petit Père des people gay-friendly.

Il y avait en lui du chef autoritaire, du mécène dispendieux et de la diva capricieuse. Ça faisait beaucoup pour un seul homme. Pète-sec comme un chef de bureau, aussi intolérant qu’un vieux libertaire, enfoncé dans des costumes qui lui donnaient un air congestionné au bord de l’apoplexie, étranglé par une cravate qu’il serrait comme la corde d’un pendu, il disait le bien, le vrai et le beau de notre temps, en serrant la mâchoire et en pinçant les lèvres. La recette du succès ? Jouer au paria alors qu’on appartient au Gotha. Très bon placement.

Un mélange de Banquier anarchiste et de bourgeois sourcilleux

Plus gay que gai, il vivait comme les grands seigneurs florentins, entouré de garçons beaux comme des Antinoüs, dont il attendait en retour une allégeance totale. Sois belle et tais-toi. Haute couture et haute finance, pierres précieuses et précieuses ridicules, c’était une sorte de Banquier anarchiste de Fernando Pessoa, modèle du libéral-libertaire.

L’argent a résolu tous ses problèmes. Il lui donnait l’assurance cassante d’un bourgeois haussmannien qui trouvait les accents de la bande à Bonnot quand il s’agissait de casser la Manif pour tous. « Vous me direz, si une bombe explose sur les Champs à cause de la Manif pour tous, c’est pas moi qui vais pleurer », retweetait-il. C’était le Monsieur Joseph Prudhomosexuel de notre temps. À lui seul, un dictionnaire des idées reçues contemporaines. Il défendait à la télé le mariage gay, les Tibétains et tous les exclus – pourvu qu’ils soient convenablement épilés. Ensuite, il filait en hélicoptère au château de Codignat en Auvergne, un restaurant étoilé au « Michelin », satisfaire un caprice gastronomique. Ah, le socialisme !

J’irai fleurir ta tombe

Quand il déprimait, il lui arrivait de chanter le « Blues du businessman », mais ça ne durait jamais longtemps. Faute d’être artiste, il serait altruiste, et pas chichement. Un vrai cœur d’artichaut, généreux comme on ne sait plus l’être de nos jours. Seul point faible : le journalisme, passion contrariée et ruineuse. Il aimait tellement la liberté de la presse qu’il l’a rachetée (et la presse, et la liberté). Globe, Pink TV, Têtu, Le Monde.

Au soir de sa vie, il restait plus que jamais un beau parti, 100 millions d’euros de dot, selon le magazine Challenges. Quelques mois avant de partir, il épousa le « jardinier des milliardaires », le paysagiste Madison Cox. De quoi fleurir sa pierre tombale.

Prochain épisode : Les Badinter, la gauche anti-bling bling (6/9)

Épisode précédent :
Brève histoire de la gauche caviar (1/9)

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