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Sylvain Tesson

Pétition contre Sylvain Tesson : « Ces gens débitent exactement la même soupe politico-moraliste que « Plus belle la vie » mais se considèrent toujours comme des farouches révolutionnaires ».

Un « réactionnaire » peut-il être poète ? « Non ! », répondent en chœur les signataires de la pétition s’opposant à la nomination de Sylvain Tesson en tant que parrain du « Printemps des poètes », démontrant, au-delà de leur sectarisme, leur méconnaissance totale de l’histoire littéraire, ou leur souverain mépris de celle-ci. Interrogé par le site de réinformation régional Breizh Info, Xavier Eman, rédacteur en chef adjoint d’Éléments, s’amuse de cette nouvelle démonstration de la bêtise militante des petits kapos de la « culture » officielle et subventionnée.

BREIZH-INFO. La tribune contre le parrainage de Sylvain Tesson à la 25e édition du Printemps des poètes, qui se tiendra du 9 au 24 mars prochain, n’a pas dû vous échapper. De quoi est-elle le signe selon vous ?

XAVIER EMAN : De l’étonnante passion pour l’exclusion et « l’entre-soi » de tous ces braves gens qui se prétendent – et, pire encore, sont persuadés d’être – particulièrement « ouverts » et de grands chantres de la « diversité ». Ces pétitionnaires sont en réalité de parfaits schizophrènes, ils s’affirment libertaires mais n’ont de cesse que d’interdire, proscrire, écarter, dresser des listes de suspects, dénoncer les mal-pensants. Ces athées, farouches bouffeurs de curés, se comportent dans les faits comme des torquemadas de sous-préfecture, petits kapos de la nouvelle religion du « vivre-ensemble » et de « l’inclusivité », qui consiste en fait à ne tolérer de vivre qu’avec les gens qui pensent comme soi et à « n’inclure » que ses propres clones idéologiques.

BREIZH-INFO. Pour justifier leur mise à l’index, les signataires reprochent très sérieusement à Sylvain Tesson d’avoir préfacé « un ouvrage de référence de l’extrême droite » à savoir, Le camps des saints de Jean Raspail. Lamentable erreur : le recueil de Jean Raspail préfacé par l’indésirable ne contient pas ce roman-là ! Il aurait suffi de lire la table des matières pour s’en assurer. Crime de lèse majesté ?

XAVIER EMAN : Et quand bien même l’aurait-il fait ? Où serait le crime ? « Le Camp des Saints » est-il un livre interdit, criminel, ordurier, pédophile ? Non, bien sûr, c’est simplement un ouvrage qui dérange les convictions et les certitudes de tous ces gardiens du temple du conformisme du temps. On peut comprendre que cela les agace, mais bousculer leur « confort intellectuel » (dans le sens que lui a magistralement donné Marcel Aymé) n’est pas encore un délit, même s’ils travaillent activement pour que cela le devienne.

Sylvain Tesson est un bourgeois, fils de famille, comme nombre sans doute des signataires de cette fameuse tribune de dénonciation vertueuse, mais, lui, a le mauvais goût de ne pas cracher dans la soupe, de ne pas haïr ce qu’il est et d’où il vient, de ne pas se sentir coupable de tous les maux du monde, et de profiter de son statut pour voyager, marcher, contempler, s’isoler, décrire la nature, s’en émerveiller et dénoncer les tares de la modernité qui la menacent. On pourrait, en caricaturant un peu, le voir comme comme une sorte de Yann-Arthus Bertrand de la littérature, s’il n’avait pas ce coté farouchement français, allergique au politiquement correct et à ses génuflexions obligatoires. Des crimes apparemment inexpiables pour l’armada des « poètes, écrivains, enseignants, éducateurs, bibliothécaires » qui n’aime rien plus que chasser en meute.

BREIZH-INFO. Sylvain Tesson y est qualifié d’ « icône réactionnaire ». S’il y a peut-être du vrai – même s’il se définit plutôt comme un « anti-moderne », ce qui avouons-le est nettement plus classe – on est en droit de se demander : effacer les réactionnaires du panorama littéraire français ne serait-il pas un tantinet désastreux pour notre culture ? 

XAVIER EMAN : Toute forme de censure de la littérature sur des critères idéologiques est forcément désastreuse. L’art doit échapper aux grilles de lectures politiques. Bien sûr cela n’empêche pas les affinités et les préférences personnelles, les goûts et les couleurs… C’est tout à fait naturel, le problème commence lorsque l’on en vient à vouloir imposer ses propres appétences comme une règle morale, puis comme une obligation. Aragon et Drieu sont deux grands écrivains. Je préfère Drieu, c’est mon choix et mon droit. Je ne dénie pas pour autant à Aragon sa valeur et son importance et ne cherche pas à en dissuader ou à en interdire la lecture. C’est une attitude dont la gauche est apparemment incapable. Par ailleurs, il convient de se méfier et se défier des étiquettes, extensibles à l’infini… « Les précieuses ridicules » n’est-il pas un brûlot machiste ? Proudhon n’est-il pas un odieux antisémite, tout comme Shakespeare?

Le désir de censure est toujours une défaite de l’intelligence, un refus de l’altérité et un aveu de faiblesse.

BREIZH-INFO. Outre l’intéressé, le collectif cite Michel Houellebecq et Yann Moix, tout en déplorant « la banalisation et la normalisation de l’extrême droite dans les sphères politique, culturelle, et dans l’ensemble de la société. » Cette droitisation est-elle un mythe ou une réalité ? 

XAVIER EMAN : C’est évidemment une vaste plaisanterie… Le monde culturel et médiatique est colonisé à 98 % par les diverses tendances de la gauche. Il suffit de se rendre dans une salle de cinéma, dans un festival de théâtre ou d’observer l’étal d’une grande librairie pour le constater. Mais les deux petits pour cent restant représentent néanmoins une insupportable atteinte à l’hégémonie absolue de cette gauche persuadée (contre tout évidence historique) que la « culture » est un domaine qui lui appartient par nature.

Par ailleurs, je dois dire que je ne vois rien de commun ni le moindre rapport entre le grand écrivain naturaliste qu’est Michel Houellebecq – sans doute le Balzac de notre post-modernité – et un pathétique histrion, aussi lâche et veule humainement que médiocre artistiquement, comme Yann Moix.

BREIZH-INFO. « Nous soutenons que la banalisation d’une idéologie réactionnaire incarnée par Sylvain Tesson va à l’encontre de l’extrême vitalité de la poésie revendiquée par le Printemps des poètes. »Sort-il encore quelque talent de ces petites sauteries où règnent l’entre-soi et l’intolérance ?

XAVIER EMAN : Ne connaissant pratiquement pas un seul des signataires de cette tribune, je suis assez mal placé pour jauger, même de façon forcément subjective, leur hypothétique talent… Ce qui est certain par contre, c’est que la plupart des événements littéraires, en France, sont devenus des pince-fesses endogames, des séances d’auto-célébration d’un petit milieu fort satisfait de lui-même, d’autant plus que, malgré les subventions étatiques et les micros ouverts dans tous les médias du grand capital, il se croit encore « rebelle et subversif ». C’est sans doute l’aspect le plus tragi-comique de l’affaire, voir des petits fonctionnaires du ministère de la Culture, perroquets de tous les mantras les plus éculés de l’époque, s’ériger en grands défenseurs de la liberté et de l’indépendance de la littérature et de la poésie. Ces gens débitent exactement la même soupe politico-moraliste que « Plus belle la vie » mais se considèrent toujours comme des farouches révolutionnaires.

On peut penser ce que l’on veut de l’oeuvre de Sylvain Tesson et du personnage qu’il s’est forgé, que l’on est tout à fait en droit de ne pas apprécier et de critiquer, mais il est incontestable que ses livres ont un grand succès populaire (ce qui ne devrait pas être un crime pour des gens prétendument « de gauche »…), qu’ils ont ému et fait rêver un large public, et que, par ailleurs, il a rendu accessible au plus grand nombre l’un des plus grands poètes de l’histoire, à savoir Homère. Ce n’est sans doute pas aussi méritoire qu’apprendre la poterie à des migrants clandestins à la MJC de Villetaneuse, mais cela ne me semble pas devoir interdire d’être nommé parrain d’un festival de poésie (dont, accessoirement, la plupart des gens ignoraient l’existence jusqu’à cette polémique).

BREIZH-INFO. La poésie, parlons-en. Et citons le texte : « La poésie ne saurait être neutre, sans position face à la vie. La poésie est en nous, elle porte nos douleurs. Elle est dans la masse. Le quotidien. L’infâme. La tendresse. La rue. L’épuisement. Le quartier. Elle est dans nos silences. Nos joies. Elle est dans nos corps broyés, nos corps souples, nos regards flamboyants et nos brèches. Dans ce qu’on a vu, mais qui ne se dit pas. Dans les souffrances de nos sœurs. Dans ce qui résiste. Elle est aussi dans le queer, le trash, la barbarie, le vulgaire.» Qu’est-ce que cela vous évoque ?

XAVIER EMAN : Cette définition de la « poésie » aux relents de salle des profs de collège de ZEP en vaut sans doute d’autres, mais je m’interroge un peu sur la légitimité des signataires de cette poussive dissertation à prétendre qu’elle soit la bonne et surtout la seule, exclusive de toute autre, et donc totalitaire … A ce compte là, ni Baudelaire ni Rimbaud ne sont des poètes… Par ailleurs, si la poésie peut sans doute sortir de « la barbarie et du trash » (« Là où le péché s’est amplifié, la grâce a surabondé »), pourquoi ne pourrait-elle pas également exsuder de la contemplation d’une panthère des neiges ou d’un cheminement sur des sentiers de randonnées ou de pèlerinage ?

Encore une fois, nos grands artistes ouverts sur le monde se montrent particulièrement mesquins et réducteurs. Ce sont eux les esprits étroits et bornés qui ne veulent pas voir plus loin que leurs habitudes mentales et leur horizon idéologique. Ainsi, ils affirment avec beaucoup de hardiesse et sans expliciter le moins du monde le propos que « la poésie ne saurai être neutre ». Fort bien, admettons… La poésie, selon eux, doit donc être « engagée » mais, bien sûr, dans un seul camp, le leur. Ils admettent de ce fait ne pas défendre « la poésie » mais simplement leur propre engagement.

Propos recueillis par Audrey D’Aguanno (Breizh-Info)

© Photo : Patrick Lusinchi

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