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Petit manifeste pour une littérature baroque

Petit manifeste pour une littérature baroque

Le baroque ? On a pris l’habitude de le confiner – terme à la mode – à l’architecture et à la musique, quelque part entre le milieu du XVIe siècle et le milieu du XVIIIe siècle. Comme si le baroque n’était qu’un chic daté. Le baroque est un état d’esprit et une école de la vie à la sève débordante. Jean Montalte, auditeur de l’Institut Iliade (promotion Léonidas), en livre une définition toute personnelle qui ne manquera pas de faire débat. Les céliniens et les bloyens y côtoient les lecteurs de Leibniz et de Pierre Boutang.

Nec plus ultra », Charles Quint.

Le baroque, au-delà du mouvement littéraire historiquement repérable, a pour vocation de s’élever à la hauteur abstraite d’une catégorie de l’esprit, de l’esthétique, qui transcende les frontières du temps et de l’espace. Le baroque gravit alors les cimes universelles du type idéal, côtoyant les idées platoniciennes en toute amitié, quoiqu’avec une pointe d’ironie pour ces dernières. Des œuvres apparemment aussi éloignées que celles de Cervantès, Rabelais, Leibniz, Antoine Blondin, Pierre Boutang, Gilles Deleuze, Louis-Ferdinand Céline, Carlo Emilio Gadda, acquièrent une parenté étrange sous la bannière une et multiple de la féérie métaphysico-lyrique du baroque. Le baroque, c’est un style, un ton, une dimension psychique, une force tellurique, qui se meut au cœur de l’imaginaire débridé de l’homme conduit pneumatiquement par le Verbe au commencement de tout. C’est une évasion salutaire hors des marécages de notre époque terne qui a érigé la déconstruction et l’absence de style en horizons indépassables, à seule fin de permettre aux pucerons de régner sur un troupeau de gros cons faisandés.

J’ai pris la décision d’écrire ce manifeste avec une absence absolue de documentation, à part quelques lectures glanées ici et là, à la faveur de mes caprices. Aucune bibliographie, pas une note en bas de page et des idées tout à fait personnelles, voilà tout mon bagage. Je n’ai pas l’impudence de croire que je tire tout cela de mon propre et maigre fonds exclusivement, certes. Cependant, j’y laisse croître et multiplier ma fantaisie tout à plein. Il est plus sage, dès lors, d’abandonner le fatras érudit et universitaire pour se plonger sans fausse pudeur dans le genre du chant profond. C’est avec mélancolie que j’évoque les richesses bariolées du baroque, bien persuadé qu’elles n’émeuvent plus qu’une portion infime des hommes spirituellement carencés que nous sommes devenus. Si on pouvait s’élancer de manière princière dans l’azur à nouveau, ce serait alors une autre affaire. Et je serais bien content d’y apporter ma pierre. Il y a des pierres qui volent, et parfois qui flottent jusqu’au paradis. Ce sont des pierres baroques, des rocs de sens et de joie indomptable…

Le baroque : triomphe de l’amour et de la vie

Le baroque est un courant littéraire, pas seulement un mouvement de crincrin pour faire danser le roi à la cour. L’excès, l’exubérance, le ratissement large de l’infini du monde à travers une prose indisciplinée, surplombant d’une hauteur de mille fesses les mesquinerines basiques de l’infâme hominidé domestiqué, caractérisent ce mouvement littéraire, aujourd’hui peu pratiqué. Et pour cause… Pour cause d’aspermatisme généralisé – cette absence d’éjaculation – auprès des gens de lettres, gens de cafés, gens édités, gens pourléchés, embabouinés, très contents sur leur séant. Au départ, ce terme désigne les perles irrégulières chez les braves joailliers portugais. En somme, le baroque, c’est enfiler des perles, de manière irrégulière. Il faut disposer d’un popotin oblique, machinant une trajectoire multilatérale, pour s’en sortir dans cette discipline.

Pour en devenir maître, il faut maîtriser l’art de la coextensivité de la monade et de l’univers, tel que le sieur Leibniz l’a expliqué à une Europe secouée et trop ardemment divertie par les guerres de religion. La métaphysique, des modernes, des anciens, c’est, selon les goûts, peut-être d’un grand secours. Cette très savante science au statut épistémologique infiniment variable peut servir de vestibule ou de charpente, en fonction des ambitions de chacun, de vestibule disais-je pour introduire des mets esthétiques un peu plus graveleux, communs, putassiers, aux lanternes déboussolées des lecteurs peu habitués aux gravités sérénissimes de ladite science. Le baroque, c’est au fond et pour le dire sans exagération aucune le triomphe de l’amour et de la vie, avec tous les adjectifs, superlatifs, disponibles. La vivante loi du toujours plus, du servez-moi la petite sœur y préside. C’est le comptoir aux multiples soifs, la glandée généreuse et universelle. La prolifération bariolée des chérubins dans les airs.

La chimie du baroque

Qu’est-ce qui est baroque ? Rembrandt, François Ier, le Caravage, Satie, Bloy, Le Sacre du printemps. Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Presque tout, sauf le tout. Voltaire n’est pas baroque, c’est une petite pucelle mal mathématisée, noyé volontaire dans les basses eaux du libéralisme. Tout ce qui coupe la queue à ses phrases n’est pas baroque, la mesquinerie, la petitesse, l’esprit étriqué, le sérieux constipé. Les fausses finasseries philanthropiques ne le sont guère plus. La guerre, cependant, l’est parfois, quand on la nomme « la drôle de guerre » et à cette seule condition. Les comités d’entreprise ne sont pas baroques, les feux d’artifices seulement s’ils sont à usage privé et excessivement somptuaires. Le whisky peut servir de catalyseur baroque ; a contrario, le rosé ne comporte aucune propriété propre à cela. Calvin ne peut prétendre au statut baroque : trop psychorigide pour cela, théoricien malencontreux de la double prédestination. Le Christ, qui tient Ciel et Terre dans sa main, représente le baroque au suprême degré… L’Église catholique fut baroque avant que des homoncules viennent y couler leurs filaments sirupeux d’eau tiède, à seule fin de séduire le tas de fumier moderniste. La papauté est baroque, le pape François, trop ectoplasmique a vu sa candidature rejetée. L’Espagne, quant à elle, est sa capitale sainte et le demeurera à jamais. Salvador Dalí en fut le roi en exil et sans successeur.

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