Les maudits, est un ouvrage qui évoque les écrivains épurés à la Libération : Brasillach, Drieu la Rochelle, Rebatet, Céline, et plus d’une centaine d’autres, entraînés, plus ou moins consciemment, dans la grande fièvre politique des années 1930 et 1940. Un livre essentiel, qui retrace le parcours de ces écrivains qui firent pour certains la pluie et le beau temps de la vie culturelle de l’époque en France, livre également indispensable pour comprendre comment d’autres écrivains, d’autres personnages du monde de la culture, se sont tout à coup transformés en censeurs, en juges, en procureurs, et comment les opinions ont été transformées en délits, avant que la pensée unique n’impose les limites d’un culturellement correct.
Ont contribué à cet ouvrage : Louis Baladier, Gilles de Beaupte, Alain de Benoist, Francis Bergeron, Pierre-Alexandre Bouclay, François Bousquet, Anne Brassié, Didier Dantal, Xavier Eman, Marc Laudelout, Anne Le Pape, Bernard Leconte, Michel Lécureur, Aristide Leucate, Olivier Maulin, Patrice Mongondry, Frédéric Saenen, Xavier Soleil, Maxime Valérien, Philippe Vilgier, Sébastien Wagner.
Pierre Saint-Servant – Les Maudits – La Nouvelle Librairie
Lecteur impénitent, Pierre Saint-Servant partage ses découvertes et ses admirations dans les pages littéraires du quotidien Présent et celles de la revue Livr’Arbitres … entre deux chroniques viticoles. « L’amour des bons livres faisant, comme chacun le sait, excellent ménage avec celui des bons vins. Avec un inconsolable regret : celui de ne pas parvenir à faire croître ma cave dans les mêmes proportions que ma bibliothèque. Mais reconnaissez que c’est sans grande importance…» nous confie celui qui a bien voulu répondre à quelques questions à propos de l’ouvrage qu’il dirige.
Breizh-info : Comment avez vous fait pour sélectionner les contributeurs de l’ouvrage Les Maudits ? D’où est parti le projet ?
Pierre Saint-Servant : Le projet est parti d’une volonté de s’affranchir du culturellement correct, qui est peut-être encore plus pernicieux que le politiquement correct. Après tout, la basse politique dégoûte de plus en plus de monde. Mais qui s’attaquerait à la culture, pourtant bien dévoyée par les « cultureux » officiels et les rebelles subventionnés ? La véritable culture est ce qui fait l’âme d’un peuple, celle qui doit renouveler à chaque génération les formes d’expression d’un « génie » européen – voilà un gros mot – accumulé par les siècles. Au lieu de quoi, la table rase s’est imposée et les sinistres délires des enfants bâtards de la déconstruction… Mais voilà qui nous éloigne du sujet. En réalité, le point de départ du livre est une tentative de généalogie de ce que l’on pourrait appeler – comme Alain de Benoist le démontre si bien dans son introduction – « l’esprit des listes noires ». Une philosophie propre à l’époque, celle des censeurs et des nouveaux curés de la bien-pensance. En cela, les listes noires du Comité national des écrivains (septembre et octobre 1944) sont fondatrices. Il fallait y revenir. Dans un mélange insensé se retrouvèrent livrés à la vindicte judiciaire et populaire, des plumes aussi talentueuses que celles de Montherlant et Giono, Céline et Drieu la Rochelle, La Varende, Saint-Loup ou encore Chardonne. Voilà qui est inédit…
Breizh-info : Parlez nous justement de ce Comité National des Ecrivains et de son rôle dans l’Épuration. Les Maudits ont-ils tout de même été défendus par des célébrités de l’époque ?
Pierre Saint-Servant : Le Comité national des écrivains est une émanation d’une autre structure issue des rangs de la résistance : le Front national des écrivains. La création de ce FNE est clairement liée au Parti communiste français., ce qui expliquera les très injustes règlements de compte qui suivront. FNE puis CNE accueilleront pourtant des écrivains bien éloignés de la fièvre « haineuse » dénoncée par Albert Paraz. On peut ainsi citer Jean Paulhan, Jean Schlumberger ou encore Georges Duhamel, qui claqueront assez rapidement la porte. Il faut donc être nuancé vis à vis du CNE, qui mériterait à lui seul, une étude d’ampleur. Mais l’on peut résumer sa détermination épuratrice en citant sa proclamation du 7 octobre 1944 dans laquelle il « attire l’attention du gouvernement sur le péril qu’il y aurait à laisser impunie la complicité qui fut celle d’un certain nombre d’écrivains pendant l’occupation allemande », exigeant ensuite « que des mesures soient prises contre » un certain nombre de leurs confrères plus ou moins compromis avec l’occupant allemand. Dans les faits, être épinglé sur les listes noires du CNE signifiait à la fois une mort professionnelle et sociale, sans même attendre la condamnation d’autres instances épuratrices.
Breizh-info : Les œuvres doivent-elles réellement être, selon vous, séparées de la vie, des idées, des actes des auteurs de ces œuvres ?
Pierre Saint-Servant : Cela ne fait, selon moi, aucun doute. Nous n’avons dans cet ouvrage, aucune volonté hagiographique. Loin de nous toute tentative de réhabilitation malhonnête. Aux historiens d’analyser et de juger les positions prises par Brasillach, Céline, Drieu la Rochelle et bien d’autres, que certains considèreront ignobles, lâches ou maladroites. Mais cela ne doit en aucun cas nuire à l’appréciation de leurs oeuvres, aux émotions qu’elles suscitent, à la reconnaissance de leur apport au trésor littéraire français. Comme l’écrit Alain de Benoist, il est temps de relire ces livres pour ce qu’ils sont : des livres, « bons » ou « mauvais ».
Breizh-info : Quelle est l’actualité des oeuvres et des auteurs dont vous dressez le portrait dans l’ouvrage Les Maudits ? Y’a-t-il des réhabilitations ? On a encore en tête la nouvelle édition du « dossier Rebatet »…ou encore le succès littéraire de Céline..
Pierre Saint-Servant : Une actualité très inégale. Vous avez raison de rappeler que Céline est encore très lu et constamment réédité. Pierre Drieu la Rochelle est entré dans la Pléiade en 2012. Vous avez aussi cité le succès éditorial rencontré par la réédition des Décombres de Lucien Rebatet en 2015. Giono et Barjavel – épinglés par « accident » – ne sont nullement marginalisés. Il n’en va pas de même d’écrivains aussi importants que Béraud, Bonnard, Chardonne, Châteaubriant – avec un « t » ! – Fontenoy ou même Jouvenel. Dont l’enfouissement progressif doit beaucoup à l’épuration qui les frappa.
Breizh-info : A quelles places siègeraient aujourd’hui un Brasillach ou un Drieu s’ils n’avaient pas fait certains choix politiques ?
Pierre Saint-Servant : Difficile de répondre à une telle question. On peut en revanche rappeler l’importance que tenaient trente ou quarante Maudits dans le milieu littéraire français. Leur position était centrale, sur les rayonnages des libraires, dans les grands journaux comme au sein des conseils de lecture des plus grands éditeurs. Trois Maudits siégeaient à l’Académie française : Abel Bonnard, Abel Hermant et Charles Maurras (sans même parler du maréchal Pétain qui y avait été élu en 1929). Cette place de premier plan, qui devait alors beaucoup plus au talent qu’aux soutiens politiques – il suffit de l’observer à travers les nombreux changements de majorité d’alors – a été littéralement neutralisée par l’épuration littéraire qui s’étendit jusqu’à la fin des années 1940, et dont la queue de comète est encore visible aujourd’hui.
Breizh-info : N’y a-t-il pas des équivalences, presque un siècle plus tard, avec les « listes » que font certains journalistes, censeurs, publicistes, concernant des personnalités « politiquement non conformes » ?
Pierre Saint-Servant : Vous avez raison. C’est toujours « l’esprit des listes noires » que perpétue le nouveau clergé progressiste dont le milieu naturel s’étend de la rue d’Ulm à Saint-Germain-des-Prés. Et notre époque de trouille généralisée – à laquelle s’est attaquée il y a peu François Bousquet – s’y prête particulièrement. Sans même parler de la mécanique médiatique, qui s’organise de plus en plus autour de curées périodiques, sans aucun discernement ni prise de recul. S’il ne fallait citer que trois exemples, pensons à Richard Millet et à Renaud Camus, ainsi qu’au courageux éditeur Pierre-Guillaume de Roux. Mais le pire n’est pas dans la censure. Il se cache dans l’inculture qui s’étend et dans la privation dans laquelle se retrouveront de plus en plus plongées les générations à venir.
Breizh-info : On dit de ce que la gauche nomme « l’extrême droite » qu’elle censure, qu’elle bâillonne, qu’elle exècre la culture. Votre livre n’est-il pas un formidable contre exemple finalement, dans le sens où c’est cette même gauche qui a œuvré à cette censure généralisée, dans le silence le plus complet de la droite d’ailleurs?
Pierre Saint-Servant : Le terme « d’extrême-droite » n’a absolument aucun sens en littérature. A peine devinerait-on ce que serait une « droite littéraire », et encore… Mais il ne fait guère de doute qu’une certaine gauche a une longue tradition de censure, de suspicion et de moralisme mal placé. Cela lui vient d’un héritage assez confus mêlant frénésie révolutionnaire, « vertus chrétiennes devenues folles » et expérience de la police politique communiste. La droite n’est pas totalement exempte de cette bêtise du censeur, mais elle laissa le plus souvent la littérature tranquille. Est-il possible de dater le moment où le monde des lettres est devenu aussi guindé et emmerdant ? Qu’on ne vienne pas nous dire que Despentes et Angot constituent des modèles de liberté et de courage !
Entre cent autres canards, se souvient-on de la liberté de ton du Crapouillot ? C’était assez prodigieux : on y croisait Siné et Pierre Dominique, des anars et des maurrassiens, un numéro était consacré aux bordels parisiens, un autre aux excès de la Révolution française. De Gaulle en prenant autant pour son grade que le maréchal Pétain. Où est passée la liberté de ton à la française ? Alain de Benoist opère dans son introduction une magistrale généalogie de la chape de plomb qui s’est abattue sur les Lettres. Il est grand temps de desserrer un peu l’étau. Et, en francs-tireurs, de dire « merdre ! » au nouveau clergé de la culture officielle, qui peine de plus en plus à cacher son analphabétisme sous ses crises de delirium tremens.
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