Le magazine des idées
Jack Marchal sur la plateau de TVL

Notre adieu à Jack Marchal. Ni trusts, ni soviets, ni mauviettes !

Les droites radicales ! Rien qu’à l’énoncé du nom, les bien-pensants s’aspergent d’eau bénite. Pas Jack Marchal, le plus réac’n’roll des militants. Né en 1946, il aura été musicien, dessinateur, graphiste – et un écrivain au tempérament exceptionnel, quand il le voulait. C’est à lui qu’on doit le style si caractéristique du mouvement Ordre nouveau, ancêtre du Front national, en particulier les rats noirs, emblème des droites radicales. Un style qui empruntait à l’univers des fanzines, de l’avant-garde et de la culture populaire. En sont sortis une écriture calligraphique et des codes esthétiques totalement nouveaux et immédiatement identifiables. Avec lui, l’ordre était vraiment nouveau. Renouveau même. Son corps l’a lâché, mais ses dessins, ses affiches, ses trop rares entretiens ne vieilliront pas. Il est décédé le 1er septembre, à la rentrée des artistes. En guise d’hommage, nous republions ici un entretien qu’il avait donné à « Éléments » dans le cadre d’un dossier consacré aux droites radicales.

ÉLÉMENTS : Comment devient-on militant des droites radicales fin des années 1960-début années 1970 ?

JACK MARCHAL. Surtout pour des motifs sans grande valeur : beylisme adolescent, blanquisme de classes de seconde, non-conformisme (ce qui n’est pas forcément une qualité), désir de choquer, de prendre la relève (ou le contre-pied) de son papa, vouloir s’agréger à un groupe dont on pense s’approprier la puissance pour mieux oublier ses propres insuffisances, illusion qu’on va faire l’histoire… Ajoutons le hasard des rencontres et des lectures, sans oublier l’omniprésent facteur bêtise humaine. Autant de paramètres pouvant décider d’un engagement extrême, à gauche ou à droite. Ça peut se décider sur le fil du rasoir. On s’invente après coup des justifications, on parle de prise de conscience, de cheminement intellectuel, d’itinéraire spirituel, de la volonté de servir, de donner un sens à sa vie, ou du style, que sais-je encore… Mais la vérité est qu’il n’y a guère de bonnes raisons de s’engager ainsi.

Par contre, une fois qu’on est à l’extrême droite (j’accepte l’expression), il n’y a plus que de mauvaises raisons de s’en dégager. Parce qu’elle est le milieu où prévaut la plus exacte vision des êtres et du monde. La contrepartie est la paresse intellectuelle qui sévit dans ce biotope. D’où vient que cette extrême droite a le don de s’enliser périodiquement dans des causes irraisonnées.

Mon cas est quelque peu atypique, Nanterre sociologie, où je suis entré en 1966, n’étant pas connu pour être une pépinière de droitistes. L’aristocratie étudiante d’extrême gauche qui y donnait le ton partageait avec profs et assistants un savoir articulé autour d’une ribambelle de noms qui ne me disaient rien, Althusser, Barthes, Bourdieu, Foucault, Lukács, un peu Edgar Morin, bientôt Lacan… J’étais initialement bien disposé envers cette culture (m’en reste un côté marxien que je ne renie pas), mais le dépit de me sentir largué l’a emporté. Je me suis donc intéressé au mouvement Occident, qui était l’universel objet de haine obligatoire du campus, l’équivalent de la « Fraternité » de 1984. On m’y a pour ainsi dire poussé.

ÉLÉMENTS : Occident a été le précurseur d’Ordre nouveau. Quelle a été la différence de l’un à l’autre ?

JACK MARCHAL. Occident est né en 1964 comme sous-groupuscule lycéen ne dédaignant pas les actions brutales pour se faire connaître, ce qui lui a procuré une célébrité sans rapport avec la minceur de ses effectifs. Les violences dans lesquelles il a été impliqué ont été le détonateur de mai 1968. Dissous, il s’est poursuivi à travers le Groupe union défense (GUD), puis Ordre Nouveau, qui a donné naissance au Front national en 1972. Durant ces années, marquées par une accélération sans précédent de l’histoire, l’évolution a été considérable. Ordre nouveau s’est d’emblée donné pour horizon la création d’une structure de parti, souci qui n’était guère présent à Occident. On peut toutefois relever des constantes : acceptation de la modernité dans toutes ses conséquences, un certain spontanéisme dans l’action, adogmatisme affirmé, préférence de principe pour les directions collégiales, allergie au culte du chef. Ce tropisme antiautoritaire a d’abord fait la force du mouvement (nos compétiteurs sur le marché de la militance droitiste n’étaient que des sectes fort peu attirantes) avant de faire sa faiblesse dans les années 70.

ÉLÉMENTS : On a pu dire d’Ordre nouveau que vous étiez des « gauchistes de droite »…

JACK MARCHAL. Superficiellement : sans doute. Nous partagions avec l’ennemi le même langage, les mêmes méthodes, les mêmes accoutrements, et des illusions lyriques parallèles. Mais nous étions inscrits sur des séquences temporelles très distinctes. À ses débuts, Occident tenait un discours ouvertement putschiste, appelait à une « dictature de la jeunesse ». Il est vrai, le 13 mai 1958 et les convulsions nées de l’affaire algérienne n’étaient pas encore de l’histoire ancienne. Au fil des années, ces positions se sont calmées, profitant de la plasticité de l’appellation « Occident » qui n’avait rien pour choquer de braves libéraux amis du « monde libre » tout en faisant référence à la revue de Maurice Bardèche (Défense de l’Occident), lequel se définissait crânement fasciste.

En face, l’extrême gauche a fait un parcours inverse. Naguère domestiquée par la bureaucratie PCF et les salons progressistes PSU, elle est entrée en phase de virulence en 1966-1967, a remis à l’ordre du jour les mots d’ordre conseillistes et une praxis aux limites du terrorisme. Et c’est ainsi que des suppôts de Trotski et de Mao Zedong, pensant refaire la guerre d’Espagne, ont pu drainer des étudiants par dizaines de milliers durant mai 68.

Occident et Ordre nouveau étaient une extrême droite très rock’n’roll, à un degré qu’on n’imagine pas, très à l’aise dans la culture populaire de l’époque. En face, les références musicales des soixante-huitards étaient la chanson à texte latino-rive gauche, Leny Escudero, Léo Ferré, Pia Colombo… Ridicule. Pour dire l’écart entre les gauchistes et nous : vers 1971, une camarade qui faisait plus ou moins agent double entre les trotskistes et Ordre nouveau, et qui a ce titre avait une double raison de mépriser les maoïstes, nous a apporté au local d’Ordre nouveau le disque enregistré par cette pauvre Dominique Grange, comportant l’hymne mao Les nouveaux partisans, une marche militaire au texte grandiloquent dont le refrain paraphrasait la mélodie du Giovinezza de mussolinienne mémoire ! Nous avons dégusté cette bouse dans un mélange d’ahurissement et de fou rire. Les ex-maos restent morts de honte à cette évocation (seul, je crois, Jean Rolin, dans son livre L’organisation, ose y faire allusion).

ÉLÉMENTS : Ordre nouveau, c’est d’abord un style nouveau, graphiquement. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

JACK MARCHAL. Ce style a été lancé par Frédéric Brigaud, un des dirigeants d’Occident, alors étudiant aux Beaux-Arts de Paris. C’est lui qui a aussi fait les premières affiches d’Ordre nouveau, en introduisant un graphisme caractéristique, ensuite reproduit à échelle industrielle dans le mouvement. La généralisation à cette époque du procédé d’impression offset a offert la faculté de choisir des lettrages originaux sans passer par la composition classique au plomb. On pouvait dès lors faire plus beau et plus visible pour moins cher. L’Ordre nouveau des débuts était davantage une subculture juvénile spécifique qu’un mouvement politique proprement dit. Il s’étendait mécaniquement, comme un mouvement de mode. Dans ces conditions, affirmer une esthétique particulière était fondamental. L’identité visuelle du mouvement matérialisait son homogénéité, lui servait de ligne politique ! C’était voulu, parfaitement conscient. Lorsque nous avons créé le Front national, nous lui avons appliqué une charte graphique bien plus conventionnelle, mieux adaptée aux publics qu’il voulait toucher.

ÉLÉMENTS : Comment survit-on à ses années de militantisme ? La vie est-elle à la hauteur des rêves de jeunesse ?

JACK MARCHAL. Je vois qu’aujourd’hui le parti des masses laborieuses est le national-populisme. L’actualité apporte chaque jour un Niagara à son moulin. Il est désigné comme ennemi principal par une coalition gouvernante dont la fragilité fait peur et qui tente d’exister dans l’enfumage sociétal en dissolvant la notion de filiation dans la PMA et la GPA, sans voir que ce faisant elle ouvre à deux battants le portail d’un monde où les individus seront définis par leur ADN. Emmanuel Todd confesse que l’émergence de la démocratie est liée au nationalisme ethnique, ce qui fait sens en ces temps de post-démocratie multiculturelle. Autant de choses dont je n’aurais pas osé rêver il y a cinquante ans.

Extrait du numéro 181 d’Éléments : Et si tout basculait en 2022

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