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Nihilisme et tueurs en séries : une lecture de Maurice G.Dantec

Nihilisme et tueurs en séries : une lecture de Maurice G.Dantec

Que révèle la fascination des tueurs en séries qui hante nos sociétés occidentales post-modernes ? Jean Montalte, auditeur de l'Institut Iliade (promotion Léonidas), ébauche une réponse à travers la lecture de l'oeuvre du « catho-punk-futuriste » Maurice G.Dantec.

« Le Néant néantit », disait Heidegger. Pas un documentaire sur un tueur en série qui ne relève la concomitance des mouvements d’émancipation, de libération sexuelle et les périples meurtriers de ces tueurs d’un genre nouveau.

Charles Manson s’empare d’un groupe de Hippies pour les fanatiser et en faire des criminels. Ed Kemper profite du peu de vigilance des étudiantes émancipées et libres qui font de l’auto-stop pour les embarquer dans son véhicule, les violer et les tuer. Richard Cottingham, comme un poisson dans l’eau, ou plutôt un requin dans l’océan, cueille ses proies dans l’univers lubrique de Time Square, qui, avant d’être converti à Disneyland, était le paradis de la pornographie, des perversions en tous genre, de la prostitution, des peep show. Dans les années 60 Times Square est en effet « un coupe-gorge, repaire de salles porno, rendez-vous des drogués et des tapins » selon le critique de cinéma Eric Neuhoff. Le documentaire « scène de crime » diffusé sur Netflix et dédié à Time Square en restitue l’ambiance avec maestria.

L’intérêt pour les tueurs en série : vogue macabre révélatrice de l’état de notre civilisation ? Épiphénomène ou tendance lourde de nos sociétés ? Fascination pour le sordide et la violence ? Horizon terminal de la société du spectacle dans une arène sacrificielle à l’échelle de nos sociétés complexes et hyper-urbaines ?

Et si les tueurs en séries n’étaient rien d’autre que les manifestations paroxystiques du nihilisme?

Si tel est le cas, c’est avec un frisson glacial que l’on entendrait ces paroles de Nietzsche: « Le nihilisme est devant la porte : d’où nous vient ce plus inquiétant de tous les hôtes ? »

Un phénomène de mode qui attire un large public

Le succès de la série Netflix consacrée au cannibale de Milwaukee alias Jeffrey Dahmer, les ventes de livres liées au affaires criminelles, allant du plus sérieux comme celui du profileur de Quantico John Douglas « dans la tête d’un profileur », au plus racoleur signé par un youtubeur quelconque dont le travail d’expertise a buté au seuil d’une rencontre traumatique avec un bescherelle, sont autant de signes des temps qui nous interrogent sur le malaise persistant dans notre civilisation.

Et ce malaise fait l’affaire de sordides boutiquiers. Pourquoi ne ferait-il pas l’affaire de quelques métaphysiciens obstinés à voir dans chaque chose une signification essentielle ? C’est bien opportunément que Dantec fit figurer en exergue de son livre « Les racines du mal » cette citation de Robin Cook : « Le lien entre la littérature noire et la métaphysique réside dans le fait que l’expérience humaine jugée primordiale par l’une et par l’autre est la place de la mort dans la vie. »

Ce serait une sacrée aubaine si la société du spectacle, en plus de nous livrer notre ration de sordide dont elle semble détenir des stocks illimités, nous ramenait au cœur des questions fondamentales de la vie et de la mort.

Vérifiant sur moi cet appétit du glauque, j’ai voulu creuser la fosse peu commune qui recouvrait le corps et l’esprit de Dantec, tel un Ed Gein dont la nécrophilie se serait transmuée en bibliophilie. J’y ai découvert une œuvre d’une force inouïe, en dépit de certaines maladresses dont même les plus grands ne sont pas toujours exempts. « Les démons » de Dostoïeski, génial roman plus actuel que jamais, orchestre un opéra qui flirte souvent avec la cacophonie. Si cet exemple me vient en tête, il y a peu de chance que ce soit dû au hasard. Philippe Muray, dans Festivus Festivus, déclara que notre époque avait plus besoin de démonologues que de philosophes ou autres sociologues acéphales, statisticiens du rien. Dantec se chargea de cet office, lui qui se proclama « catho-futuriste. » Dans Villa Vortex, il rendra hommage à Villiers de l’Isle Adam, pour avoir créé le genre littéraire qu’est la science fiction avec son roman « l’Eve future » « en la dégageant d’entrée de jeu des présupposés scientistes. »

Maurice Dantec, écrivain archéofuturiste et technomystique

Maurice Dantec, auteur de polars et de roman de science fiction, réalisa probablement, sur le plan littéraire, l’idéal archéofuturiste prôné par Guillaume Faye, certes selon des vues bien différentes – son christianisme mystique tranche avec le paganisme réaliste d’un Guillaume Faye. La synthèse qu’il opéra entre futurologie, pronostics sur le devenir de la technique, les bouleversements géopolitiques à venir – Grand Djihad en tête – et ses spéculations métaphysiques nourries de théologie médiévale, s’attardant en particulier sur la pensée de Duns Scot, est non seulement stimulante pour l’esprit, mais d’une actualité criante. À travers ses romans et ses journaux, il déploie une pensée en constante évolution, passant d’un Nietzschéisme teinté de Darwinisme à un catholicisme médiéval, contre-révolutionnaire et pourtant futuriste. Il ne s’agit pas, comme chez Faye, de réconcilier Evola et Marinetti, mais de réconcilier Joseph de Maistre et Elon Musk, théologie mystique à tendance contre-révolutionnaire et conquête spatiale, réalisme thomiste et émergence de l’intelligence artificielle. En lisant dernièrement l’essai d’Ariel Kyrou, auteur d’obédience anarchiste, Dans les imaginaires du futur, j’ai pu y constater l’absence de Dantec et des thèmes qu’il considéraient comme cruciaux pour notre appréhension du futur. Les problèmes liées à l’immigration, les questions ethnoculturelles, religieuses sont supplantées par les questions liées à l’environnement et à la technologie. Comme si le futur devait se plier à l’esprit étriqué du gauchisme et de l’écologisme. Dantec les a pourtant prévenus dans un de ses derniers entretiens pour la promotion de son ultime ouvrage Les résidents : « Je voudrais dire aux bouffonnes et aux bouffons… Votre monde… Il est déjà mort. »

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