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Nicolas Fargues : il faut savoir laisser la place

En treize romans, Nicolas Fargues a su dépeindre les modes de vie et les mentalités de l’époque. Les relations hommes-femmes y sont omniprésentes, tout comme les rapports interculturels dans notre société composite. Son dernier roman, « La Péremption », n’y échappe pas.

Zélie, 50 ans et prof d’arts plastiques dans un collège de banlieue parisienne, démissionne de l’Éducation nationale. Artiste-peintre passée de jeune talent prometteur, à ses débuts, à moyennement digne d’intérêt aujourd’hui, elle est avec l’âge revenue de ses ambitions de jeunesse. Elle est divorcée depuis plusieurs années d’Alessandro, avec lequel elle a eu un enfant, Furio : la vingtaine, militant homosexuel dans une association LGBT et vendeur dans une boutique Sonia Rykiel.

Lors d’une soirée, Zélie rencontre Shock, Congolais de vingt ans plus jeune qu’elle, arrivé en France quand il était enfant. Elle est attirée par son côté mauvais garçon cool, son africanité et sa jeunesse qui rejaillit sur elle. Un jeu de séduction se met en place entre les deux, Shock cultivant une indifférence à ces années et cette culture qui les séparent. Mais ces écarts (générationnels et culturels) rendent l’amour intranquille…

Nicolas Fargues possède la faculté de décrire avec précision et acuité l’intimité du couple (J’étais derrière toi, roman sur les rapports de domination au sein d’un couple, est à cet égard remarquable). Ici, il explore en profondeur le fossé générationnel, culturel et social qui se dresse dans la relation amoureuse entre Zélie et Shock.

Blanche et d’un milieu social plus aisé, Zélie essaie de tout faire pour éviter ce qu’elle estime être des relents néocolonialistes, des réflexes paternalistes. Femme de son époque, elle est prisonnière de sa culpabilité de classe et a parfaitement intériorisée quarante années d’antiracisme : elle n’ose pas entamer certaines discussions ou énoncer certains propos de peur de passer pour 𝑏𝑜𝑜𝑚𝑒𝑢𝑠𝑒, bourgeoise, ou pire raciste : « Abstiens-toi, c’est culturel. »

« J’espérais secrètement ne pas être tout à fait perdue pour le XXIe siècle […] Je tentais de me conformer avec le sourire au mouvement général. »

Un livre sur l’époque donc, sur le choc des cultures, sur l’air du temps et le temps qui passe. La cinquantaine passée, Zélie se demande si elle n’est pas périmée. Un peu dépassée, elle s’était promis de ne jamais dire « c’était mieux avant », mais elle est en décalage dans un Paris où elle est devenue quelconque, « une véritable anonyme au sein d’une ville où tout le monde a trente ans », où les tics de langage « du coup, sur Paris, de base, au final » l’exaspèrent, où elle a du mal à comprendre les luttes intersectionnelles et transsexuelles de son fils.

Ce roman, écrit avec la finesse et l’ironie dont Fargues est passé maître, expose les complexes d’une quinquagénaire de la gauche culturelle, dépassée par le monde qu’elle a contribué à enfanter. Une satire brillante, parue aux Editions P.O.L.

Nicolas Fargues, La Péremption, P.O.L, 192 p., 19 €.

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