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Barbie ou Mickey

Néo-vacanciers : de si gentils robots

Attention, billet méchant ! L’été est la saison des bilans. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les jeunes cadres de la start-up nation ne brillent pas par leur génie. Consuméristes, ils ont le regard vide des bêtes qui foncent à l’abattoir. Présentez, armes !

Ils sourient hagards. C’est l’été. Les voilà prêts à quitter La Défense pour s’égailler à Ibiza, Los Angeles ou Bodrum. Peu importe la destination, pourvu qu’ils aient l’ivresse du voyage. Oh, rien de très dépaysant, ils comptent bien retrouver les mêmes chaînes de magasins, les mêmes cocktails et les mêmes séries dans ce qui leur tient lieu d’imagination. 

Ont-ils déjà posé les pieds dans nos ghettos ethniques ? De toute manière, Kevin et Mateo épousent le sabir d’Ahmed. Leur lingua franca a écrabouillé tous les adverbes pour en recracher un gloubi-boulga réduit à sa plus simple expression. Faut-il en rire ou en pleurer, à l’heure où la queer theory triomphe, ils n’ont plus que le mot genre à la bouche. « Genre, tu vois genre, j’ai trop kiffé genre ». Une syntaxe schtroumpfement riche ! L’adjectif stylé se greffe sur le beau, le bien et le juste. « Trop stylé, genre ! ». 

Dès L’abîme se repeuple (1997), Jaime Semprun dénonçait la déréliction du langage propre aux sociétés industrielles avancées. Nous n’en sommes plus là. Car de langage, il n’y a plus. Les mots, ou leurs substituts, sortent comme des sabres des gueules de ces fakirs involontaires. Des sentiments ou des pensées abstraites les font paniquer. Ils n’ont plus les mots, les choses, ni les esprits pour les concevoir. Un bégaiement trahit parfois leur désarroi… de courte durée. Heureusement, leur conscience s’est endormie avec leur âme.

Le néant consumériste

Si le monde entier est devenu un aéroport, comme Michel Houellebecq le prophétisait dans Plateforme, ils en sont les voyageurs sans bagage. Salariés du tertiaire, ils jouissent d’un pouvoir d’achat à réinjecter dans l’industrie des loisirs. Aussi longtemps que l’Intelligence artificielle ne les aura pas remplacés. En attendant cette apocalypse programmée, ils tuent le temps sur les réseaux sociaux, suivent des influenceuses, se photographient devant des spritz et gomment leurs défauts grâce aux filtres magiques de la Toile.

Leurs parents ne leur ont rien légué ou si peu. Quelques souvenirs. Du numéraire. Tout autant que les classiques, la littérature et le cinéma populaire français leur sont étrangers. Molière, Fernand Raynaud ou Le Splendid, connais pas. Renoir père ou fils, même combat perdu d’avance. Y a-t-il eu seulement une vie avant Facebook ?

Qui sont ces enfants de personne, suivant l’expression qu’avait trouvée Jacques de Guillebon du temps de sa jeunesse perdue ? Des cadres inférieurs, supérieurs ou moyens, suivant leur ancienneté et leur degré de progression dans l’organisation. Ils ont entre 25 et 45 ans. Netflix supplée à leur imagination. Uber Eats à leur alimentation. Amazon Prime à leur divertissement. 

Du monde, ils n’ont connu qu’un Occident cramoisi par la paix perpétuelle. Les attentats islamistes n’auront eu raison de leur pacifisme. Ces robots faits hommes sont si ingénus qu’ils croient leurs congénères solubles dans le consumérisme pacificateur. Par principe, ils se disent écologistes, antiracistes et bienveillants.

De Mickey à Barbie

Ne vous risquez pas au second degré avec ces internautes-nés. Ils n’entendent rien aux vannes acides de Pierre Desproges sur le cancer ou le racisme. Ils croiraient raciste le sketch de Guy Bedos et Sophie Daumier sur les vacances au Maroc. Vous qui entrez ici avez aboli toute ironie…

Toute négativité a quitté leur univers. S’y insinuent bien quelques maladies, des crises, voire la mort avec sa grande faux qu’il convient d’expulser en Ehpad. En transhumanistes à petit pied, ils se croient immortels. Rien ne les angoisse comme la mort, dont ils taisent jusqu’au nom. Un mauvais esprit se demanderait pourquoi ils tiennent tant à survivre. L’immortalité, pour quoi faire ? Ils sont ce qu’ils possèdent, c’est-à-dire un compte en banque convertible en marchandises. Nous vivons au milieu des holothuries, ces gentils concombres de mer qui se contentent d’une bouche et d’un anus pour ingérer puis déféquer.

Il faudra vous y faire : nos congénères sont innocents, comme le mur contre lequel on fusille les communards, ironisait Bertrand Delcour dans Pourquoi nous sommes morts. La nouvelle bourgeoisie inculte – au sens quasi littéral du mot – a trouvé son président. À force de « cranter un truc » (sic), Macron représente le parfait compromis entre cette Civilisation des prénoms chère à Renaud Camus et la masse des retraités accrochés à leur épargne. Le Petit Remplacement qu’ils incarnent ne console pas du grand. Il nous y enfonce la tête la première.   À son maquilleur qui s’étonnait de l’assassinat de Kennedy, De Gaulle aurait répondu : « Qu’attendez-vous d’un peuple d’adultes qui lit Mickey ? » Maintenant que la lecture, fût-ce la plus débilitante, a laissé place aux images, qu’escomptez-vous d’un troupeau d’adultes qui regarde Barbie ?

Par David Cesena, papetier à Saint-Céré

Une réponse

  1. Oui oui… les retraites ne sont pas accroches a leur epargne… ils sont litteralement mort sans… et ceci pas a LA ou Dubai ou Key West… mais a Triffouie-les-Oies… victimes de leur travail acharnes et de leur probite… qui aurait cru que l Etat, garant de la Nation et donc des Citoyens, les entube de cette sorte au profit des quelques happy few… mais c est arrive… en attendant la fin ils votent Micron… good luck!

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