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Ahmad al-Sharaa

Mohammed Al-Golani, chef de l’insurrection qui a renversé le président syrien Assad, un « radical pragmatique » ?

Abu Mohammed al-Golani, le chef militant dont l'insurrection éclair a renversé le président syrien Bashar Assad, a passé des années à redorer son image publique, renonçant à des liens de longue date avec Al-Qaïda et se présentant comme un champion du pluralisme et de la tolérance. Ces derniers jours, les tenants de la « rébellion » ont renoncé à son nom de guerre pour commencer à l'appeler par son vrai nom, Ahmad al-Sharaa.

Les insurgés contrôlent désormais Damas tandis que l’ex président syrien s’est réfugié dans la clandestinité à Moscou, interrompant un potentat de plus de 50 ans du clan Assad. La question de savoir comment la Syrie sera gouvernée reste ouverte. Comme de nombreux pays de la région, la Syrie abrite de multiples communautés ethniques et religieuses, souvent dressées les unes contre les autres. La minorité Alaouite, dont le clan Assad est issu, demeure une cible privilégiée des Frères musulmans. Ces derniers, très réprimés par le clan de l’ex-président syrien, notamment durant les années 1980 avec la répression de Hama, suite à la tentative d’insurrection islamique en Syrie, gardent une mémoire vive quant à l’histoire. A cela s’ajoute un pays fragmenté entre des factions armées disparates, et la pression des puissances étrangères, de la Russie à l’Iran en passant par les États-Unis, la Turquie et bien sûr Israël, toutes impliquées dans le conflit.

Le nouvel homme fort du pays, Mohammed al-Golani, 42 ans, « second émir » de l’Hayʼat Tahrir al-Sham (HTS) ou « Organisation pour la libération du Levant », créée en 2017, et qualifiée de terroriste par de nombreux services, notamment américains depuis 2013, n’est pas apparu publiquement depuis la chute de Damas, tôt dimanche. Mais lui et sa force insurrectionnelle HTS – dont de nombreux combattants sont des djihadistes – sont en passe de devenir un acteur majeur.

Pendant des années, M. al-Golani s’est efforcé de consolider son pouvoir, alors qu’il était enfermé dans la province d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, et que celui d’Assad, soutenu par l’Iran et la Russie, semblait solide sur la majeure partie du pays.

En plus des manœuvres parmi les organisations terroristes, éliminant ses concurrents et ses anciens alliés, ce dernier s’est lancé dans une campagne de « dédiabolisation », soignant l’image de son « gouvernement du salut » de facto, qui dirige Idlib, afin de convaincre les gouvernements internationaux et de rassurer les minorités religieuses et ethniques de la Syrie. En cours de route, M. al-Golani s’est débarrassé de ses vêtements de guérillero islamiste pur et dur et a revêtu des costumes pour les interviews avec la presse, parlant de la construction d’institutions étatiques et de la décentralisation du pouvoir afin de refléter la diversité de la Syrie.

« La Syrie mérite un système de gouvernement institutionnel, et non un système où un seul dirigeant prend des décisions arbitraires », a-t-il déclaré lors d’une interview accordée à CNN la semaine dernière, évoquant la possibilité que le HTS soit finalement dissous après la chute d’Assad. « Ne jugez pas sur les mots, mais sur les actes », a-t-il ajouté.

Un beau palmarès

Les liens d’Al-Golani avec Al-Qaida remontent à 2003, lorsqu’il rejoint les combattants contre les troupes américaines en Irak. Syrien d’origine, né dans la région du Golan, d’où sa famille a été déplacée après l’occupation israélienne en 1967 lors de la Guerre des Six jours, a été arrêté à l’époque par l’armée américaine mais est resté dans le pays. Même si la seconde guerre d’Irak est officiellement terminée depuis 2011, la présence américaine dans le pays n’a pas empêchée Al-Qaïda et d’autres groupes de s’implanter dans la région pour former l’État islamique d’Irak, dirigé par Abou Bakr al-Baghdadi.

En 2011, un soulèvement populaire contre Assad en Syrie, similaire à ce qui s’est déroulé en Libye,

en Égypte et autres « printemps arabes », a déclenché une répression brutale de la part du gouvernement et a conduit à une guerre totale. L’importance d’Al-Golani s’accroît lorsque Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’Etat islamique, l’envoie en Syrie pour établir une branche d’Al-Qaïda, le Front al-Nosra.

En 2012, le guerre civile syrienne s’intensifie, tout comme les ambitions d’Al-Golani. Avec son groupe, principalement présent dans le nord-ouest de la Syrie, mais aussi au Liban, il fait le vide. Très vite, les États-Unis classe le Front al-Nosra « d’organisation terroriste ». Une désignation toujours en vigueur. Réticent à toute fusion pour pour former l’État islamique en Irak et au Levant en 2013, l’organisation d’Al-Golani prête directement allégeance à Al-Qaïda, qui désigne al-Nosra comme sa branche syrienne, avant de rompre d’un commun accord en 2016. Cette même année, il révèle pour la première fois son visage dans un message vidéo annonçant que son groupe se rebaptisait Jabhat Fateh al-Sham (Front de conquête de la Syrie) et coupant ses liens avec Al-Qaïda.

Un bon moyen de faire le vide, encore, au sein de l’opposition armée syrienne à Assad. Dés 2014, lors d’une interview, Al-Golani, visage masqué, précise à la chaîne qatarie Al-Jazeera qu’il rejetait les pourparlers politiques de Genève visant à mettre fin au conflit, ajoutant que son objectif était de voir la Syrie gouvernée par la loi islamique et qu’il n’y avait pas de place pour les minorités alaouite, chiite, druze et chrétienne du pays. Lentement mais sûrement, Al-Golani s’est assuré du contrôle total des groupes islamistes de la région, fusionnant avec untel ou éliminant tel autre, consolidant son pouvoir dans la province d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie.

Une fois son pouvoir assuré, Al-Golani entame une transformation médiatique de premier ordre. Il lance plusieurs appels à la tolérance religieuse et au pluralisme, notamment à la communauté druze d’Idlib, que le Front al-Nosra a pourtant pris pour cible à plusieurs reprises, et a rendu visite aux familles des Kurdes tués par les milices soutenues par la Turquie. En 2021, Al-Golani a accordé sa première interview à un journaliste américain, sur la chaîne PBS. Vêtu d’un blazer et ses cheveux courts coiffés en arrière, le chef du HTS, désormais plus discret, déclare que son groupe ne représentait pas une menace pour l’Occident et que les sanctions imposées à son encontre étaient injustes. « Oui, nous avons critiqué les politiques occidentales », a-t-il déclaré. « Mais il est faux d’affirmer que nous voulons mener une guerre contre les États-Unis ou l’Europe à partir de la Syrie. Nous n’avons pas dit que nous voulions nous battre. »

Malgré les mines réjouies de nombreux observateurs et journalistes occidentaux, la fin du pouvoir de Bachar el-Assad ressemble plus à un nouvel acte d’une mauvaise pièce de théâtre géopolitique.

La suite des événements en Syrie pourrait bien être plutôt sportive…

© Photo : compte telegram de HTS (Hayat Tahrir al-Cham). Abu Mohammed al-Golani de son vrai nom, Ahmad al-Sharaa.

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