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L'homme qui n'avait pas de père. Le dossier Jésus d'Alain de Benoist éditions Krisis

« Mieux cerner la personne du Jésus de l’histoire et l’état actuel de la recherche »

Alain de Benoist vient de sortir L’homme qui n’avait pas de père. Le dossier Jésus, livre enquête sur Jésus, pavé qui plonge dans la recherche historique autour d’un des personnages les plus importants de notre histoire. Un entretien de Breizh Info.

BREIZH-INFO. Vous publiez L’homme qui n’avait pas de père, fruit non pas de quelques mois d’écriture, mais bien de plusieurs décennies, c’est bien cela ? Comment est-ce qu’on mène un tel travail ?

ALAIN DE BENOIST : N’oubliez pas le sous-titre : Le dossier Jésus, qui dit bien ce dont il s’agit. Comment réalise-t-on pareil travail ? Tout simplement en se tenant au courant. Il paraît chaque année d’innombrables travaux d’exégètes et d’historiens qui portent sur les origines chrétiennes. Les revues spécialisées sont également très nombreuses, certaines, comme le Journal for the Study of the Historical Jesus, étant entièrement consacrées à Jésus. Pour connaître le sujet, il faut lire régulièrement les uns et les autres, les annoter, les archiver, en évaluer le degré de cohérence et de sérieux. C’est effectivement un gros travail, d’autant que la majorité de ces travaux n’ont pas été traduits en français. Mais c’est aussi le but de mon livre : présenter l’état actuel de la question, sans rien masquer des divergences entre les différentes thèses en présence.

BREIZH-INFO. Alain de Benoist, dont la sensibilité est liée au paganisme, menant l’enquête sur Jésus… N’y a-t-il pas là matière à interrogation ?

ALAIN DE BENOIST : Non, pourquoi ? Le fait de se sentir plus proche de l’esprit des anciennes religions européennes que du monothéisme chrétien n’interdit pas, que je sache, de s’intéresser aussi aux origines chrétiennes et à la personne de Jésus. Il y a aujourd’hui dans le monde plus de deux milliards d’hommes et de femmes qui croient en la divinité de Jésus, ce n’est pas rien. Notre calendrier trouve lui-même son point de départ dans la date de la naissance supposée de Jésus, bien qu’en toute rigueur personne ne puisse dire avec certitude en quelle année il est né. Ce n’est pas rien non plus. On peut aussi être athée ou agnostique et désirer en savoir un peu plus sur Jésus. Je comprends très bien que le sujet n’intéresse pas tout le monde, mais moi je le trouve passionnant. J’ajoute que, dans mon livre, qui est tout le contraire d’un livre polémique, je ne porte aucun jugement sur la personne de Jésus ou sur la valeur de son enseignement. Ce n’est pas l’objet de l’ouvrage.

BREIZH-INFO. Qu’est-ce que trouveront dans votre ouvrage les catholiques, avec qui vous avez eu de vrais sujets de discordes, dures, notamment dans les années 1980 ?

ALAIN DE BENOIST : Ils y trouveront ce qu’y trouveront tous ceux qui s’intéressent au sujet, en l’occurrence un dossier historique de la « quête » menée depuis deux siècles par les chercheurs pour mieux cerner la personne du Jésus de l’histoire et l’état actuel de la recherche. Encore faut-il, bien sûr, qu’ils aient le désir d’en savoir un peu plus que ce que disent les pieux récits évangéliques. Beaucoup de catholiques me paraissent aujourd’hui être d’une ignorance monumentale sur leur propre histoire et leurs propres dogmes. Des théologiens catholiques de premier plan, comme John P. Meier ou Raymond Brown, occupent pourtant une place très importante dans la recherche actuelle.

BREIZH-INFO. Pourquoi est-il nécessaire selon vous de distinguer le « Jésus de l’histoire » du « Jésus spirituel » ?

ALAIN DE BENOIST : La distinction entre le « Jésus de l’histoire » (dont le nom véritable était Yéschoua) et le « Jésus de la foi » remonte à Martin Kähler, en 1892. Elle est aujourd’hui admise par pratiquement tous les chercheurs. Elle s’impose parce que seul le premier est susceptible de faire l’objet d’une recherche scientifique. Quand on dit que Jésus a été condamné à mort sous Tibère, dans les années 30 de notre ère, cela peut faire l’objet d’une recherche pour démontrer l’historicité de l’événement. Quand on dit, en revanche, qu’il est mort sur la croix en rémission de nos péchés, c’est une affaire de foi. L’historien n’a rien à dire là-dessus. Il peut tout au plus étudier la façon dont telle ou telle croyance est apparue et s’est ensuite répandue.

Les théologiens chrétiens affirment que Jésus est à la fois « vrai homme et vrai Dieu ». Cette formulation canonique a été adoptée pour répondre à la fois aux adoptianistes et aux Juifs chrétiens qui voyaient en Jésus un Messie de lignée davidique, mais ne croyaient pas nécessairement en sa divinité, et aux docètes ou aux gnostiques pour qui, au contraire, Jésus, en tant que personne divine, n’était jamais « venu dans la chair » et ne pouvait avoir eu qu’une « apparence d’homme ». Mais l’expression est parlante. Quand les historiens et les exégètes parlent de Jésus comme d’un « vrai homme », ils ne sont pas loin de parler du « Jésus de l’histoire ».

BREIZH-INFO. Vous dites que l’on sait, historiquement, peu de choses sur Jésus – que l’on a peu de certitudes. Mais n’en a-t-on pas plus, historiquement, que sur bien des grands penseurs, ou sur les grands mythes de notre Antiquité, auxquels nous croyons par ailleurs ?

ALAIN DE BENOIST : Laissons les mythes de côté, qui n’ont par définition pas de prétention à l’historicité. Nous sommes effectivement très mal renseignés sur bien des grands personnages de l’Antiquité, à commencer par ceux qui ont fondé des religions. Nous ne savons presque rien d’assuré sur Zoroastre, sur Mani, l’inventeur du manichéisme, sur les fondateurs des courants ébionite ou elkasaïte (deux importants courants judéo-chrétiens), etc. Mais sur Mahomet, on n’en sait pas beaucoup plus. Le cas de Jésus est différent. Nous disposons sur lui d’une foule d’informations, mais elles sont souvent contradictoires. Tout le travail des spécialistes est d’évaluer dans cet abondant matériau ce qui est certain et ce qui est impossible, ce qui est probable, improbable ou simplement possible.

L’évangile de Matthieu fait naître Jésus à Bethléem parce que ses parents y habitaient, et ne les fait s’installer à Nazareth que plus tard, après leur séjour en Égypte. Il place par ailleurs la naissance de Jésus avant la mort du roi Hérode le Grand, qui est mort en 4 avant notre ère. L’évangile de Luc affirme au contraire que les parents de Jésus résidaient à Nazareth et qu’ils ne se sont rendus à Bethléem que pour satisfaire aux exigences d’un recensement ordonné par Quirinius qui a eu lieu en l’an 6 de notre ère. Les deux thèses sont évidemment incompatibles – à moins qu’elles ne soient légendaires l’une et l’autre. Voilà le genre de problèmes auxquels sont affrontés les chercheurs.

BREIZH-INFO. Quelles sont, aujourd’hui encore, les grandes controverses autour de Jésus ? Et les mystères qui restent à percer ? Pensez-vous qu’il soit possible que de nouvelles découvertes soient encore faites sur le sujet ?

ALAIN DE BENOIST : Les zones d’ombre sont innombrables. La prédication de Jésus était-elle surtout de type sapientiel ou de type eschatologique ? A-t-elle commencé quand Jean le Baptiste, dont Jésus semble avoir commencé par être le disciple, était encore vivant ou seulement après sa mort ? Marie la Magdaléenne (Marie Madeleine) est-elle ou non identique à la « pécheresse » dont parle l’évangile de Luc en 7, 36-50, et pourquoi joue-t-elle un rôle aussi important dans les évangiles apocryphes ? Quelle était la nature des différentes communautés se réclamant de Jésus qui ont donné naissance aux évangiles que l’on a canonisés (la seule sur laquelle on a quelques renseignements est la communauté de Jérusalem, dirigée par Jacques frère de Jésus) ? Pourquoi l’évangile de Jean, le plus tardif, est-il le seul à parler de la résurrection de Lazare, dont les synoptiques n’ont apparemment jamais entendu parler, alors qu’ils mentionnent les noms des sœurs de Lazare, Marthe et Marie ? Pourquoi les Actes des apôtres ne disent-ils rien de la mort de Pierre et de celle de Paul ? Je pourrais citer des centaines d’autres exemples.

De nouvelles découvertes décisives sont assez peu probables, mais ne sont pas impossibles. La découverte en 1945 des documents gnostiques de Nag Hammâdi, qui nous a permis de retrouver le texte, que l’on croyait perdu, de l’Évangile de Thomas, de l’Évangile de Philippe, de l’Évangile des Égyptiens, etc., a révolutionné la recherche. Il serait évidemment merveilleux de retrouver aussi le texte de l’Évangile des Nazôréens, des Hypomnemata de Hégésippe, de l’Apostolicon de Marcion ou du Diatessaron de Tatien. Mais pour l’instant, on ne peut qu’en rêver !

 Propos recueillis par Yann Vallérie
Source : Breizh-Info

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