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Representative Ron DeSantis addresses a crowd while President Donald Trump watches at a rally in Tampa

Midterms : Biden en roue libre, Trump en difficulté, DeSantis en embuscade

Les élections de mi-mandat aux États-Unis ont livré leur verdict. Trump, qui se représentera en 2024, en sort fragilisé ; là où les démocrates ont sauvé les meubles et les républicains peut-être trouvé leur nouveau champion.

Il y a trente ans, l’écrivain Édouard Limonov, mélange de Rimbaud et de Rambo russe, qui signait ses textes avec le tranchant du tesson d’une bouteille, publiait Le Grand Hospice occidental sous la houlette de Jean-Edern Hallier. À eux deux, c’était la rencontre littéraire d’une bouteille de vodka et d’une kalachnikov, une sorte de lance-flammes qui brûlait tout sur son passage. Par nature, Limonov était porté à l’exagération, mais pour le coup il était en-dessous de la vérité. Qu’aurait-il dit du grand hospice occidental s’il avait pu connaître l’Amérique de 2022 qui ressemble de plus en plus à un EHPAD géré par son résident principal. Je veux parler de Joe Biden, de son vrai nom Joseph Robinette Biden. Ça ne s’invente pas. Dans quatre jours, il fêtera ses 80 ans. Son rival, Donald Trump, affiche 76 ans au compteur, même si lui continue de porter beau. Les deux hommes veulent se représenter en 2024 pour un match retour qui risque de s’apparenter à une parodie du Muppet Show. Le chevrotant Biden contre la chevrotine Trump. Je sais bien que la population mondiale vieillit, mais Biden aura alors battu le record de longévité de la reine Victoria.

Autre reine fanée, celle-là de la chirurgie esthétique, la démocrate Nancy Pelosi, qui présidait, il y a une semaine encore, la Chambre des représentants : elle, elle a 82 ans bien tassés. Le trublion Tucker Carlson, la star des présentateurs de Fox News, a un jour comparé l’abonnement aux séances de lifting de Nancy Pelosi aux métamorphoses dermatologiques, plastiques et chromatiques de feu Michael Jackson. Elle a les lèvres tellement botoxées que, lorsqu’elle sourit, on dirait qu’elle va vous planter un dentier d’Halloween dans l’avant-bras. Au moins Bernie Sanders ne recourt-il pas au subterfuge des injections sous-cutanées, mais la vedette de la gauche américaine, qui a failli battre Hillary Clinton à la primaire démocrate de 2016, ne veut pas lui non plus décrocher en dépit de ses 81 ans.

Joe la gaffe

Je n’ai rien contre le grand âge, d’autant que mes artères m’y conduisent inexorablement, mais on peut néanmoins s’interroger sur l’état de phlébite électorale et de congestion cérébrale de la démocratie américaine. Y aurait-il quelque chose de pourri au royaume de Walmart ? Démocrates et républicains, tous vétérans, comme à l’époque de la gérontocratie brejnévienne ? Le Nouveau Monde serait-il à un tournant gériatrique ? Nul doute qu’une pareille perspective aurait réjoui Platon : un gouvernement de vieillards, c’est la garantie d’une République des sages. Mais enfin la cacochymie avancée de Robinette Biden, qui n’est pourtant pas connu pour être un fervent platonicien, donne à la thèse de Platon l’allure d’un paradoxe qui défie les lois de la médecine et de la politique.

Biden est le seul à se croire jeune. À l’écouter égrener ses habituelles balivernes au G20, l’air chaud de Bali lui aurait fait le plus grand bien. « Je ne pense pas que je vais rentrer chez moi », a-t-il dit devant des journalistes. Mais sait-il encore où c’est chez lui ? Les gériatres estiment qu’on est vraiment atteint de sénilité le jour où on ne sait plus trop où on habite. C’est le cas de Biden, déambulant hagard sur scène ou dans les jardins de la Maison-Blanche. Son problème d’orientation s’est manifestement aggravé ces derniers jours quand il est apparu lors de l’ouverture du sommet de l’Asie du Sud-Est qu’il confondait le Cambodge et la Colombie. Bévue ou bavure, il s’était déjà par le passé emmêlé les pattes dans la géographie. Pastiche ou potiche, il ressemble de plus en plus à un pantin téléguidé par les faucons au point de lire sur les prompteurs jusqu’aux indications techniques : « Marquer une pause » ou « Répéter la phrase ». Imaginez Trump faire le quart de la moitié de ce que Biden a fait, ce que les médias centraux diraient !

Trump, ce bébé Barnum

Mais Trump, question qui fâche, vaut-il mieux ? Il a beau appeler Robinette Biden « Sleepy Joe », Joe l’endormi, c’est bel et bien Joe l’endormi qui a endormi la méfiance des Républicains. La vague républicaine annoncée n’a rien emporté du tout, sinon peut-être des bébés Trump à la peine. Pire : les démocrates conservent le Sénat et vont perdre la Chambre des représentants pour une poignée d’élus. Un camouflet pour Trump. S’il est toujours aussi mordant, il est nettement moins convaincant. Lui qui a souvent prononcé au temps où il animait le jeu The Apprentice son fameux « Vous êtes viré ! » pourrait bien à son tour se l’entendre dire. « Tu as gagné une fois, tu ne gagneras pas deux fois », semblent lui dire une majorité d’électeurs républicains.

Certes, il ne faut pas enterrer Trump. Il n’est jamais aussi fort que lorsqu’il faut envoyer rivaux et adversaires au tapis. Mais il est en train de devenir sa propre caricature, comme s’il se trollait et se parodiait lui-même. C’est peut-être la fatalité des réseaux sociaux dont il a longtemps été la star incontestée, lui qui conçoit la politique comme un youtubeur ou comme un émule de l’art contemporain dont il est finalement un des plus grands performers, depuis la Trump Tower jusqu’à sa coupe de cheveux. Trump a carnavalisé la politique comme personne avant lui, sinon Triboulet, le bouffon de François Ier, sinon Scapin et ses fourberies, sinon Rabelais. Ah, qui dira la puissance de subversion de la farce contre les hiérarchies instituées ?

Trump n’en reste pas moins typiquement nord-américain, lui qui semble tout droit sorti de l’American Museum de l’immense Phineas Taylor Barnum, le premier des entrepreneurs de spectacle moderne, à qui Trump aime bien qu’on le compare. Barnum professait que « les gens aiment être charlatanisés ». Sa philosophie se résumait à une phrase : « Chaque minute, une femme met au monde un nouveau pigeon. » On ne peut pas comprendre l’imaginaire américain si l’on fait l’impasse sur lui. C’est le chapitre manquant de l’enquête de Tocqueville, De la démocratie en Amérique. Barnum avait commencé par vendre des Bibles, mais la seule bonne parole qu’il chérissait, c’était la société du spectacle – fluorescente, ébouriffante, XXL. Jusqu’à son incendie en 1865, son American Museum a attiré plus de la moitié des Américains. On y croisait Tom Pouce ou des chiens surdoués qui faisaient fonctionner avec leurs pattes avant des métiers à tisser géants. Quand le visiteur ressentait une légère fatigue, il était invité à s’assoir sur un tronc vermoulu dont Barnum prétendait qu’il avait accueilli l’évangélique séant des premiers apôtres il y a 2 000 ans en Judée. Plus c’est gros, plus c’est mirifique, plus c’est beau, telle était la loi de Barnum. Elle a fait école au pays du gigantisme et du Bigness.

Ron DeSantis, le prétendant

De fait, les Américains en redemandent, singulièrement les séniors, on n’en sort pas. Un sondage commandé par CNN montre que les républicains ont gagné beaucoup de voix, mais seulement dans les tranches d’âge les plus avancées : + 11 % parmi les 45-64 ans et + 13 % parmi les plus de 65 ans. « Une chose est certaine : si les moins de 30 ans ne s’étaient pas exprimés, il y aurait eu une vague conservatrice », relève l’institut de sondage. Les jeunes urbains seraient-ils l’avenir du parti démocrate ? On en parle aux États-Unis depuis 2002, bien avant le rapport Terra Nova, quand John B. Judis et Ruy Teixeira, un journaliste et un politiste, firent paraître leur livre La Majorité démocrate émergente, qui faisait le pari d’une nouvelle coalition démocrate : les bobos adossés aux minorités, sur le cadavre de la coalition historique de la gauche (classes populaires et classes moyennes). C’est l’Amérique qui a voté Obama en 2008 et 2012 ; et celle qui a chassé Trump en 2020.

L’immigration aidant, on pourrait imaginer que cette nouvelle coalition augure des jours radieux pour les démocrates. Pas sûr du tout. John B. Judis et Ruy Teixeira en conviennent. Ils avaient théorisé leur « majorité démocrate émergente » à partir de l’analyse de la population du comté de Miami-Dade, ex-bastion démocrate et cœur battant de la Floride, un État très largement hispanique. Or, le comté a donné une large majorité au républicain Ron DeSantis, tout comme la Floride, raflant 57 % du vote latino. En première ligne contre l’obligation vaccinale, contre la théorie du genre, contre le wokisme, contre l’immigrationnisme, Ron DeSantis s’impose comme le nouvel outsider républicain. Conscient de la menace, Trump l’a affublé d’un sobriquet désobligeant « DeSanctimonious » (« sanctimonious » voulant dire « moralisateur » – DeSantis le moralisateur). Et se dit prêt à mordre : « Si DeSantis venait à se présenter, je vous dirai des choses sur lui qui ne seraient pas très flatteuses. » Les deux rivaux de la primaire républicaine de 2024 sont sûrement là. Si c’est un match de catch, Trump l’emportera. Si c’est un concours de compétence, DeSantis.

Photo : © Shuterstock / jctabb – Ron DeSantis et Donald Trump.

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