Le magazine des idées
Jean-Luc Mélenchon

Mélenchon ou l’art de la guerre électorale

Champion de France de poker, roi du bluff, Mélenchon a su trouver les mots pour mobiliser la gauche. Un coup de maître qui fait du troisième homme de la présidentielle le vainqueur du 1er tour des législatives.

Vous ne connaissez pas Leslie Mortreux, moi non plus jusqu’à dimanche soir. Dommage. Leslie Mortreux est la « candidate » de la Nupes dans la dixième circonscription du Nord, Tourcoing et environs. Gérald Darmanin l’a largement devancée. Leslie n’entrera sûrement pas à l’Assemblée nationale dimanche prochain. C’est regrettable. Elle aurait été un formidable symbole LGBT pour la gauche radicale. Car Leslie est un garçon biologique filiforme et fadasse aux longs cheveux blonds de jeune fille. Leslie est le ou la candidate Nupes. Il, elle, iel est une des nouvelles figures du mélenchonisme et de la révolution des formes pronominales qui bouscule notre bonne vieille grammaire française : le « iel » ! Comme dit Finkielkraut, le « iel » nous est tombé sur la tête. Je ne sais pas ce que Taha Bouhafs pense de Leslie Mortreux. Lui serrera-t-il la main ? Au garçon oui, mais à la fille ?

La sociologie du mélenchonisme est fascinante. Dans la ville de Roubaix voisine, Zone interdite a déniché des poupées halal sans visage dont on imagine qu’elles votent Mélenchon (69 % des musulmans au premier tour de la présidentielle) ; à Tourcoing, beaucoup plus genderqueer, changement de décor, le candidat mélenchonien, c’est Leslie, alias Ken qui se prend pour Barbie. Avez-vous d’ailleurs remarqué la corrélation mathématique entre l’évolution des poupées Barbie et le ralliement de Mélenchon au wokisme ? Une parfaite symétrie. Tout s’est fait entre 2017, première Barbie voilée, et 2022, première Barbie trans.

Une Barbie, des barbus, des bobos

Ce qu’il y a d’extraordinaire avec Mélenchon, c’est qu’il a aboli le principe de non-contradiction, pilier de la philosophie classique depuis Aristote, qui postule qu’on ne peut pas être une chose et son contraire, une femme et un homme par exemple, ou un islamiste et une trans. Or, voilà qu’il y a des Leslie Mortreux et des Taha Bouhafs. Or, voilà qu’il y a la Nupes, Éric Piolle et le burkini. Or, voilà que l’ex-CCIF couche avec des LGBT. Chez Mélenchon, la règle de la non-binarité a remplacé le principe de non-contradiction. La cohérence philosophique a perdu en clarté ce que l’électoralisme a gagné en efficacité.

L’intersectionnalité des luttes, ce qu’on appelait naguère la transversalité, ne durera qu’un temps, mais elle produit de curieux effets électoraux. C’est l’alliance de la carpe et du lapin, du hipster et du dealer, du bar à bière artisanale et du bar à chicha, du kebab et du repas sans gluten. Deux univers antagonistes même s’ils se télescopent à chaque coin de rue de n’importe quelle grande métropole, un peu comme dans le livre de Géraldine Smith, Rue Jean-Pierre Timbaud, entre barbus et bobos. Dans les quartiers qui plébiscitent Mélenchon, on observe partout la même ligne de démarcation entre la gentrification et l’immigration. C’est le prix du mètre carré qui la délimite. Les frontières de cet apartheid territorial sont invisibles, mais omniprésentes. On change de pays à un carrefour au-delà duquel on ne s’aventure pas, mais chut ! 50 mètres plus bas, c’est Boboland ; 50 mètres plus haut, c’est Paristanbul. 100 mètres séparent une terrasse de café uniformément blanche d’un attroupement de djellabas et de tapis de prière. Partout des frontières, partout du séparatisme, occulté par le tourisme exotique que cultivent les bobos. Au surplus la mixité est gastronomique. On mange chinois, turc, tibétain. Voilà tout. C’est pourtant dans ces quartiers que l’alliance des Insoumis avec l’islamisme s’est nouée.

Un chef-d’œuvre électoral

Mélenchon est le magicien qui a traduit en or électoral la sociologie de cette ville-monde archipellisée made in Montreuil, made in Canal de l’Ourcq, made in Château Rouge, où l’on fait semblant de croire que les migrants qui passent nos frontières sortent de L’Arabe du futur ou de la trompette d’Ibrahim Maalouf. Dommage que Mélenchon ne participe pas au championnat du monde de poker qui se tient chaque année à Las Vegas, il décrocherait à tous les coups le bracelet d’or. Au bluff. Élisez-moi Premier ministre. Il a forcé le destin là où les autres l’ont subi. Il n’avait pas la main, il l’a prise. Résultat : 406 circonscriptions où la Nupes est présente au second tour. Un modèle d’offensive. Mélenchon a délivré à tout le monde une leçon d’efficacité tactique, d’obstétrique électorale. Comment accoucher au forceps d’une gauche plurielle en quinze jours ? Un vrai coup de force démocratique. Les trotskistes ont toujours été de redoutables manœuvriers. De ce point de vue, Mélenchon appartient plus que jamais à sa famille d’origine.

Mieux que Macron, un expert cependant, il a intégré la variable de l’abstention majoritaire (52,5 %) qui permet justement d’être ultra-majoritaire à la Chambre tout en étant ultra-minoritaire dans les urnes. Les calculs sont vite faits. Pour rappel, la Nupes et Ensemble !, la coalition macronienne, c’est chacun 12 % des inscrits, soit 24 % du corps électoral, qui vont se partager l’écrasante majorité des sièges. Alors que la Nupes ne fait pas mieux que le cumul de LFI, du PS, des Verts et du PC en 2017. Le RN en revanche passe de 13,2 % à 18,9 %. Et pourtant, et pourtant ! C’est la Nupes qui est en tête, et Marine rayée de la carte. Le troisième de la présidentielle a invalidé les résultats de la deuxième. En un mois, Marine est passé de 13 millions de voix à quatre millions.

Pas de doute, Mélenchon surclasse ses adversaires. Sa parole est performative. Dire, c’est faire, c’est imposer un rapport de force, c’est transformer des paroles en actes. Il a mené une guerre éclair contre l’armée mexicaine du gauchisme historique : le falot Jadot, Hidalgo le théorème zéro de la gauche, le cadet Roussel renvoyé dans sa province. Il les a violés, puis il leur a imposé un mariage forcé. Comme la dot électorale qu’apportaient les mariées était dérisoire, il les a confinées dans la cuisine et les chambres de bonne.

Clemenceau est bien devenu président du Conseil à 76 ans

Mélenchon vient de l’OCI, l’Organisation communiste internationaliste, les lambertistes, comme Jospin, une des familles du trotskisme français, mais c’est à une autre tradition trotskiste qu’il emprunte désormais ses slogans, la LCR, la Ligue communiste révolutionnaire. La LCR a toujours été moins psychorigide que ses consœurs trotskistes. Elle a su changer de peau, sans renoncer à sa structure moléculaire. C’est elle qui a le mieux intégré les nouvelles demandes sociétales, le multiculturalisme, l’indigénisme, etc., comme elle avait jadis été plus sensible au chahut libertaire de 68. Son entreprise de rhabillage en NPA a échoué, mais c’est la première à avoir expérimenté la ligne Terra Nova en 2010, un an avant le fameux rapport du même nom, avec une candidate voilée dans le Vaucluse. Il y a douze ans, ça ne marchait pas. En 2022, ça fonctionne.

C’est même la version vintage de Terra Nova qui triomphe aujourd’hui – paradoxalement. Terra Nova, c’est le nouveau monde. Or, le nouveau monde de Jean-Luc Mélenchon, c’est l’ancien. C’est son ancienneté qui atteste son authenticité : sa veste noire en moleskine du plus pur chic ouvrier, sa faconde tribunitienne, le chapeau mitterrandien qu’il sort à l’occasion. Il confère au gauchisme culturel pop et fluo des bobos un label d’authenticité révolutionnaire. On a l’impression de visiter une salle du musée Grévin avec des diplodocus bolivariens, des casquettes cubaines, des pin’s CCCP, plus un chef charismatique. Une sorte de Doriot sans les kilos.

Entre nous, je ne sais pas pourquoi Mélenchon n’aime pas la police. D’abord, le factieux, c’est lui. Ensuite, il ressemble au gendarme Flageolet. Il a toujours un sifflet à la bouche. Quand il le lâche, c’est pour nous aboyer dessus. C’est le ton d’un adjudant-chef de la coloniale et les gesticulations d’un épouvantail vénézuélien. Il donne des coups de menton, lève le poing et entonne L’Internationale avec l’air bourru de Peppone, l’adversaire de Don Camillo. Il est vintage, oui, comme la marque Le slip français – qui reverse une partie de ses bénéfices aux migrants. Il dit à qui veut l’entendre que Clemenceau est bien devenu président du Conseil à 76 ans. Mais c’était un tigre, un vrai, pas une de ces contrefaçons de papier que brocardait Mao Zedong. Chapeau, l’artiste quand même ! Même si on ne voit pas trop comment il pourrait devenir président du Conseil, fût-ce celui d’une 6e République ! Tant pis pour la République, tant mieux pour la France.

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