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Mathieu Bock-Côté contre le totalitarisme à visage humain

Mathieu Bock-Côté contre le totalitarisme à visage humain

Il faut lire le dernier livre de Mathieu Bock-Côté, « Le Totalitarisme sans le Goulag » (Presses de la Cité), pour comprendre comment le nouveau régime répressif s’est déployé. Globalitaire, diversitaire, totalitaire, il ne peut fonctionner sans désigner l’Ennemi : l’extrême droite, catégorie aussi indéfinissable qu’universalisable. C’est son arme de dissuasion massive. Au nom de ce péril imaginaire, il suspend les libertés. Nul besoin de Goulag pour cela. Il suffit d’anesthésier et d’intimider les populations.

Dans la vie médiatique, il y a les acronymes et les anachronismes. MBC est un acronyme, BHL un anachronisme décoté à l’Argus de la philosophie. Jusqu’à lui, le Québec exportait en France surtout des chanteurs au sirop d’érable. Lui est en bois d’érable, massif, le râble épais justement. On l’imagine volontiers écrivant ses livres et ses chroniques comme il parle sur un plateau de télévision, avec son corps, avec ses mains, avec ses épaules, avec son accent. Étonnamment, son expression corporelle est latine. C’est sûrement pour cela qu’il s’est aussi bien acclimaté en France. Il a apporté du pétillant, un vent d’air frais qui nous vient du Saint-Laurent. En général, les baleines remontent le Saint-Laurent, lui l’a descendu. Les courants marins l’ont conduit de la Belle Province jusqu’à Paris, l’alma mater française. Jacques Cartier, aller-retour.

Dans la théorie des tempéraments – il y en a quatre, comme les quatre points cardinaux de l’âme –, c’est un sanguin ascendant colérique, mais sanguin avec rondeur et bonhomie, et plus boulimique que colérique. Si Éric Zemmour était le brise-glace de CNews, lui en est le perce-muraille. Il fait tomber le mur du politiquement correct chaque soir dans un registre moins historique que Zemmour, plus sociologique. C’est lui d’ailleurs qui a fait entrer la sociologie à la télévision. Aronien, plus scrutonien encore – de Roger Scruton, philosophe conservateur britannique mort en 2020 –, il nous rappelle combien de Gaulle avait raison de convoquer le Québec libre : Bock-Côté est un maximaliste de la liberté. Tout le contraire des woke qui en offrent la version minimaliste, à commencer par son « compatriote », dont il constitue l’antidote : Justin Trudeau, qui a pu définir le Canada comme le « premier État post-national », laboratoire à ciel ouvert du wokisme, avant-garde du monde extrême-occidental et de son ingénierie sociale. Je rêve d’un match Trudeau/Bock-Côté. Car un jour, Bock-Côté (re)fera de la politique, comme Zemmour en France, lui qui est tombé dedans tout petit. Il doit peut-être cela à son père, à qu’il dédie son dernier livre : Le Totalitarisme sans le Goulag (La Cité) – notre monde.

Le Blanc comme péché originel

Pourquoi sans le Goulag ? Parce que les camps, prisonniers du glacis soviétique, n’ont pas franchi le détroit de Béring. Il en va différemment du totalitarisme, qui a depuis longtemps conquis l’Amérique du Nord, d’abord sous la forme du « multiculturalisme comme religion politique », selon les mots de l’auteur, puis du wokisme. Depuis 1492, à dire vrai, quand bien même il a fallu cinq siècles pour s’en rendre compte. 1492, c’est le commencement des âges sombres, dans les deux Amériques, lorsque l’Adam précolombien a été chassé de son paradis. 1492, an de disgrâce, année zéro du péché originel, quand l’humanité, exilé de son Éden, a vu le Caïn blanc tuer l’Abel jaune, noir, rouge. Ainsi fonctionne le contre-récit woke.

Témoin privilégié, Bock-Côté l’a vu à l’œuvre chez lui, avant d’en constater les progrès (et les dégâts) ici. À d’aucuns, la notion de totalitarisme semblera peut-être excessive. Qu’en reste-t-il lorsque l’une de ses dimensions les plus structurantes fait défaut : le Goulag ? Autant l’avouer, j’ai longtemps été sceptique avec la mise en parallèle du phénomène totalitaire. Je le reste en partie mais en partie seulement, tant l’étau se resserre autour de nous. Lecteur – et éditeur aussi par l’entremise de Vladimir Dimitrijević au temps glorieux de L’Âge d’Homme – des immenses Aleksander Wat, Dobritsa Tchossitch, Vassili Grossman et tant d’autres, difficile de se retrouver dans ce néo-totalitarisme, fût-il sans Goulag. On sait ce qu’il en a coûté, derrière le rideau de fer, aux dissidents : une liberté payée au prix coûtant, en années de camp ou d’une balle dans la nuque ; alors que nos Bastilles à nous sont d’abord et surtout mentales. Que reste-t-il du totalitarisme sans les rigueurs glaciaires de la Kolyma et les expériences de ruralisation forcée en Mandchourie intérieure ? N’en irait-il pas finalement de ce totalitarisme sans le Goulag comme du Canada Dry : ça ressemble à l’enfer, mais ce n’est pas l’enfer. Raison pour laquelle certains ont parlé de « globalitarisme » (Paul Virilio), d’autres de post-totalitarisme (Jean-Pierre Le Goff), d’autres encore de libéralisme autoritaire (Ghislain Benhessa) ou de « Moulag » (Jean-Yves Le Gallou) ou de régime davocratique (Renaud Camus), etc. J’avoue quant à moi une préférence pour « l’univers contestationnaire » qui fait écho à l’univers concentrationnaire qui sévissait à l’Est, selon le néologisme inventé par Béla Grunberger et Janine Chasseguet-Smirgel dans leur critique dévastatrice de Mai 1968, rédigée à chaud, univers contestationnaire qui annonçait l’Homo festivus de Philippe Muray et son mutin de Panurge.

De l’URSS à l’EURSS

Il faut cependant se rendre à l’évidence. La folie « woke » étend son emprise. Dans la France de Gérald Darmanin, les États-Unis de Joe Biden ou le Canada de Justin Trudeau, elle est relayée par l’appareil d’État et ses machines répressives. Jamais le niveau de répression, policière et judiciaire, n’a été aussi élevé. Il ne s’exerce que contre nous. Des Gilets jaunes au drame de Crépol, le Blanc doit s’effacer suivant la mécanique à double détente du Grand Remplacement, tant il est vrai qu’on est remplacé deux fois, non seulement dans le réel, mais aussi dans les représentations (le « lyssenkisme des démographes », MBC). Le mécanisme est implacable : le Grand Remplacement est lui-même grand-remplacé des discours – « canceller » : effacer. Ainsi procède le shadow banning, pas seulement sur Internet. Oui, un néo-totalitarisme est en marche. « De l’URSS à l’EURSS », comme le dit Bock-Côté. D’un côté les éveillés (le sens littéral de woke) et de l’autre les surveillés (nous).

On sait depuis Hannah Arendt que l’utopie est au cœur du dispositif totalitaire. Elle vise à faire coïncider le réel avec l’idéologie. Nul doute que, de ce point de vue aussi, le « régime diversitaire », selon l’expression désormais consacrée de Bock-Côté, est un totalitarisme. Il fonctionne à l’instar d’un lit de Procuste, coupant « le monde de sa représentation », explique l’auteur de La Révolution racialiste, moyennant « une confusion toujours reconduite entre le vrai et le faux à travers un récit falsifié de l’actualité ». Cette « falsification du monde » est « la marque distinctive du totalitarisme ». C’est le « faussel » cher à Renaud Camus. La preuve par le meurtre de Crépol, où un assassinat à caractère manifestement raciste a été transformé en fait divers : ainsi le fait divers fait diversion. Au lieu d’accabler le Barbaresque, il dénonce le barbare. Au lieu de pointer le coupable, il cible l’extrême droite. Voilà le cœur de la thèse développée par Bock-Côté. L’extrême droite est l’arme incapacitante du système diversitaire. Une arme de neutralisation massive. Son point Godwin, sa reductio ad hitlerum, sa botte secrète. Car ici qualifier, c’est disqualifier. Sa définition doit être la plus large possible, de telle sorte que chacun se trouve placé dans l’obligation de prouver qu’il n’est pas… d’extrême droite. C’est la dialectique maligne de la vertu et de la terreur qui formaient le couple infernal de la Révolution française.

Sus à l’extrrrême drrroite

Cela fait longtemps que l’extrême droite ne coïncide plus avec la géographie de l’hémicycle, ce qu’elle était initialement. Son centre est partout et sa circonférence nulle part. Elle commence à Fabien Roussel, qui est pourtant le premier à la dénoncer, mais en qui l’impayable Daniel Schneidermann voit une « gauche d’extrême droite ». L’accusation qui tue. Celui qui la prononce détient la seule autorité morale légitime. Ce monopole est un magistère : il offre à celui qui en bénéficie le privilège exorbitant de dire le Bien et le Mal, urbi et orbi, pour soi et pour les autres. Dans ces conditions, la gauche gagne à tous les coups.

Il faut revenir à l’article – décisif – d’Hubert Calmettes publié dans le dernier numéro d’Éléments : « Extrême droite : un nouveau vaccin à l’étude ». Que nous dit Calmettes ? Plusieurs choses. D’abord « le syntagme “extrrrême drrroite” (dont les phonèmes gutturaux semblent toujours sortis de la gueule d’un berger allemand), à force de mutation, s’est vidé de toute signification historique et politique, mais a conservé sa fonction : une fonction tactique et morale d’exclusion et d’excommunication ». La gauche n’a plus dès lors à fournir le moindre corpus doctrinal ou programmatique : il lui suffit pour maintenir son hégémonie idéologique d’agiter le chiffon rouge de l’extrême droite. Sera ainsi qualifié d’extrême droite, dit Bock-Côté, tout ce qui ne se range pas dans « le périmètre de respectabilité fixé par la gauche ». Tel est la mécanique de ce « totalitarisme à visage humain » dont Mathieu Bock-Côté démonte brillamment les rouages.

Mathieu Bock-Côté, Le Totalitarisme sans le Goulag, Presses de la Cité, 272 p., 22 €.

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