Le magazine des idées
Sobriété et éthique plutôt que véganisme

Malheureux comme un cochon en Chine…

Jusqu'où ira la course en avant du productivisme ? Difficile à dire tant ses réalisations cauchemardesques ont déjà largement dépassé les plus terrifiques prévisions de la littérature et du cinéma dystopiques. Dernier « progrès » en date, de gigantesques immeubles à produire des cochons au sein desquels bêtes et humains vivent à la lumière des néons et au rythme des protocoles sanitaires. Chiara Del Fiacco nous plonge dans cet antre de la folie capitaliste.

Il y a quelques mois, la plupart des journaux nationaux et étrangers annonçait, sur un ton presque élogieux, la construction du premier gratte-ciel porcin au monde, composé de vingt-six étages destinés à l’« élevage », à la reproduction et à l’abattage du bétail et d’une capacité de 1,2 million d’animaux. Tout cela se passe, cela va sans dire, à quelques kilomètres de la tristement célèbre ville de Wuhan, en Chine.

À ceux qui s’exclament qu’on ne peut pas parler de « capitalisme » concernant la Chine, nous répondrons qu’il faut être bien naïf pour n’avoir pas compris que, depuis de longues années, le « communisme » de l’Empire du milieu n’est qu’une superstructure autoritaro-coercitive au service d’un capitalisme effréné, un système économique avançant à grande vitesse et dont la brutalité asphyxie toute valeur humaine, tout aspiration spirituelle, sur la route de la pleine réalisation du matérialisme absolu. Et si, dans ce système, les animaux ne sont pas à la fête, les humains ne sont pas mieux lotis. Sur Internet, en effet, ont circulé des images de ce fameux gratte-ciel, prises par un journaliste italien en caméra cachée (curieusement, ces images sont introuvables à l’heure où nous écrivons ces lignes), montrant les conditions inhumaines infligées au personnel chargé de l’« élevage » et de l’abattage des animaux : travail forcé de fait, ininterrompu pendant plusieurs semaines consécutives, durant lesquelles les travailleurs vivent à l’intérieur du gratte-ciel (avec femmes et enfants) en attendant d’accumuler suffisamment de droits à des jours de congé pour pouvoir enfin sortir de ce véritable camp de travail. Les procédures d’entrée et de sortie de la monstrueuse usine sont en effet très complexes et nécessitent une mise en quarantaine pour les travailleurs et les membres de leur famille, accompagnée d’un test visant à exclure la présence de virus et de bactéries (pour éviter la contamination et le développement de nouvelles maladies inavouables et/ou de parasites porcins de toutes sortes), une douche et la désinfection des vêtements. Rien du monde extérieur ne peut en effet pénétrer dans les environnements aseptiques qui constituent les lieux de « vie », « d’élevage » et d’abattage des porcs. Des hommes, tout comme les animaux, qui ne verront presque jamais la lumière du jour, maintenus en vie dans un monde artificiel, dans des conditions abominables, peut-être encore pires que celles des élevages intensifs de volailles, porcs et poulets ne bénéficiant curieusement pas de la même empathie que d’autres animaux, tels que les veaux et les agneaux, ou les chiens et les chats.

Sobriété et éthique plutôt que véganisme

Face à une telle aberration, il ne s’agit pas de devenir végétarien ou végétalien pour affirmer à la face du monde son propre extrémisme alimentaire vain, qui ne sert bien souvent à rien d’autre qu’à gonfler son ego, mais de prendre conscience d’un phénomène mondialisé, symbole d’un turbo-capitalisme en phase finale, qui, tel un rouleau compresseur, arase l’humain et plus largement tout le vivant sur l’autel du seul profit, divinité coprophage aux mille bouches, éternellement insatiable, qui cannibalise et engloutit toute action humaine, animale et mécanique. En effet, l’ultra-production s’applique désormais à tout ce qui peut être imaginé par l’esprit humain ou artificiel : non seulement l’industrie alimentaire, donc (jamais le terme industrie n’a été aussi approprié), mais aussi la chimie, la pharmacie, le textile, la robotique, etc. Au détriment du vivant et de la nature, tous deux gavés d’hormones, d’antibiotiques, de déchets et d’exhalaisons.

Une nouvelle voie est certainement possible et même impérieuse dans l’immédiat, à condition de reconvertir et de réhumaniser notre rapport à la consommation et de retrouver l’identité même des peuples que nous avons été et qui ont jadis demandé la permission avant de pouvoir jouir des fruits de la nature et qui ont su réduire leur impact, leur empreinte sur l’univers. Le changement devra donc être non seulement pratique et concret, mais aussi spirituel et philosophique : revenir à l’essentiel, à la mesure, à une certaine sobriété, être capable de retrouver sa place au sein de la planète terre, adopter une éthique, une forme, une substance qui ne porte pas préjudice à soi-même ni à l’autre, être un exemple, un maître et un protecteur d’un ordre naturel qui, s’il semble aujourd’hui avoir été balayé, peut et doit faire son grand retour.

Laisser un commentaire

Sur le même sujet

Actuellement en kiosque – N°207 avril-mai

Revue Éléments

Découvrez nos formules d’abonnement

• 2 ans • 12 N° • 79€
• 1 an • 6 N° • 42€
• Durée libre • 6,90€ /2 mois
• Soutien • 12 N° •150€

Dernières parutions - Nouvelle école et Krisis

Prochains événements

Pas de nouveaux événements
Newsletter Éléments