À l’occasion des élections européennes qui se dérouleront du 23 au 25 mai prochain, la revue Éléments a lancé une grande enquête auprès de tous ses (nombreux) correspondants et amis européens sur l’état de l’Union européenne. Troisième invité : le Flamand Luc Pauwels, ancien PDG d’une entreprise internationale, historien et fondateur de la revue TeKoS.
Éléments : Faut-il plaider pour une Europe à plusieurs vitesses ? À un noyau dur autour d’une Europe des 6 comme vient de le faire Laurent Wauquiez, ancien ministre chargé des Affaires européennes, dans son livre Europe : il faut tout changer?
Luc Pauwels : Pour des raisons économiques, mais aussi pour répondre à l’attente justifiée des Européens qui venaient de s’affranchir du communisme, on a procédé à un élargissement hâtif et trop vaste. La bonne formule, et peut-être la seule solution, serait un État fédéral, composé des six pays fondateurs de l’Union européenne (France, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg), l’ancien noyau carolingien. Il peut s’entourer d’autres États européens qui se lient institutionnellement au noyau central avec des traités asymétriques et diversifiés qui reflètent leur proximité voire leur distance vis-à-vis de l’État fédéral, et tiennent compte de leur situation géographique, leur histoire et leur culture. Le modèle européen ne doit pas être l’école ou le régiment, mais la famille, dans laquelle il y a parents et enfants, frères et sœurs, neveux, cousins par alliance etc. En somme, il s’agit de l’esprit et de la structure traditionnelle de l’Empire.
Cela suppose qu’on se libère autant des conceptions égalitaires et jacobines de l’État que de l’idéologie économico-consumériste du marché. Et cela présuppose avant tout une définition claire et sans équivoque de l’identité et des frontières de l’Europe.
Éléments : Les déceptions qu’a engendrées jusqu’ici la construction européenne doivent-ils oui ou non remettre en question l’idéal d’une Europe politiquement unie?
Luc Pauwels : Fin mai 2005, je me trouvais par hasard à Washington à un déjeuner d’une quarantaine d’hommes d’affaires, presque tous américains. Quand CNN a annoncé le « non » français au référendum sur le traité établissant une constitution pour l’Europe, ils réagissaient tous par des cris de joie et des applaudissements. Ce jour-là j’ai compris.
Éléments : Il n’en reste pas moins que depuis 2010, les sondages Eurobaromètre montrent invariablement que les Européens sont majoritairement défavorables à l’Union européenne…
Luc Pauwels : Certes, mais selon le même Eurobaromètre (ici), 57 % des Français se sentent citoyen de l’Europe, taux qui monte à 73% chez nos voisins allemands, avec une moyenne de 59 % pour l’ensemble de l’UE. 61% des Français ne croient pas que la France pourrait mieux faire face au futur si elle était en dehors de l’UE. 70% pensent que la voix de l’Union compte dans le monde. 61% sont en faveur d’une politique étrangère commune et 77% soutiennent le principe d’une politique de sécurité et de défense commune. L’Europe est une entité géographique, historique et ethnoculturelle bien marquée, porteuse d’une identité, d’un héritage et d’une civilisation unique. Pour qu’elle ne périsse pas, il faut qu’elle s’unisse politiquement et (re)devienne une puissance capable de résister à la mondialisation.
Éléments : L’Euro étant devenu un sujet majeur de discorde entre les peuples européens, faut-il dissoudre la monnaie unique pour sauver l’Europe ou doit-on défendre bec et ongles l’euro ?
Luc Pauwels : Soyons sérieux : la rétrogradation au franc, à la lire et autres drachmes serait une capitulation fâcheuse qui serait bien comprise comme un signe de faiblesse et le début d’une débâcle politique autant qu’économique pour l’ensemble des peuples européens. Certains politiciens en rêvent, avec l’arrière-pensée qu’une série de dévaluations permettrait de « tout arranger ». En réalité ce serait la catastrophe pour tous, un cadeau séculaire pour le dollar et la plus éclatante victoire de l’impérialisme américain depuis 1945. Oui, il faut défendre l’Euro bec et ongles.
Éléments : Doit-on souhaiter la dissolution de l’Union européenne ou préférer cette Europe imparfaite ? Peut-on refonder la construction européenne sur d’autres bases ? Lesquelles ?
Luc Pauwels : Comme j’avais déjà eu l’occasion de le dire sur le blog d’Éléments : mieux vaut une Europe imparfaite que pas d’Europe du tout. Oui, il faut maintenir et en même temps refonder l’Union Européenne pour en faire un État fédéral et souverain, l’Europe des peuples.
Propos recueillis par Pascal Eysseric