Il a le prénom d’une des plus éminentes figures de la chrétienté, saint, père de l’Église, théologien et philosophe ; il a le nom d’un des plus célèbres guides de haute montagne, explorateur et auteur de best-sellers alpinistes. Si ça ne vous prédestine pas…
Et ce nom, ce prénom, plus qu’il ne les porte, Augustin Frison-Roche les incarne dans son art, tantôt sacré, tantôt profane. À 38 ans, la somme des œuvres – peintures, sculptures, illustrations – qu’il a à son actif est considérable. Mais surtout, cette œuvre, si diverse, se manifeste en un style si personnel qu’elle est immédiatement reconnaissable. On a évoqué à son propos l’influence des fresques de Pompéi, des primitifs flamands, de Gustave Moreau, d’Odilon Redon, de Maurice Denis, et d’autres… Sans doute ! Mais Augustin Frison-Roche a fait de l’art de ses illustres devanciers la substantifique moelle d’un art qui n’appartient qu’à lui.
C’est un bonheur singulier de découvrir un peintre d’aujourd’hui, dont l’œuvre encore en devenir réveille, au fond de nous, la nostalgie d’un enchantement perdu.

Entre ciel et terre
Ma première rencontre avec une œuvre d’Augustin Frison-Roche se fit par le biais d’un tableau qui, d’emblée, me fascina. Le Verger. Sur fond crépusculaire1 s’y superposaient des arbres, dont quelques-uns prenaient des allures de colonnes, des feuillages en abondance et des fruits, tandis qu’au sein de cette exubérance végétale se laissait surprendre, à force d’attention, toute une petite foule d’oiseaux, avec ici et là des coupes suspendues, pleines de fruits, des motifs divers peints au pochoir ; et puis, là, presque au premier plan, beaucoup plus inattendu, un lion, sur les épaules duquel semblait reposer la tête cornue d’une gazelle.
Un mot me vint à l’esprit : « surréaliste ». Grossière erreur ! Si le surréalisme jouait sur les contrastes les plus détonants, pour les mettre en exergue et déstabiliser, dans le tableau de Frison-Roche, ce qui étonnait, c’était précisément l’absence de contrastes saisissants : tout s’y fondait, végétaux, animaux, objets, dans une harmonie pour ainsi dire paradisiaque, dont l’immédiate évidence s’imposait par l’absence même de perspective. Si l’espace se creuse, dans les tableaux de Frison-Roche, c’est par la superposition de plusieurs couches de peinture transparentes, chacun des glacis ajoutant une nuance et de la profondeur, précisément.
Face à une œuvre dont l’apparente simplicité semble nous défier, rien n’est plus ordinaire, dans l’ordre des réactions spontanées, que l’« étiquetage ». Le second mot qui me vint à l’esprit fut donc « panthéiste ». Seconde erreur ! S’en aviser par la suite enseigne l’humilité. Car si Frison-Roche semble convoquer la création tout entière dans ses tableaux, c’est moins pour chanter la divinité de la nature que la nature comme image de Dieu, comme témoignage de sa présence parmi nous. C’est là, du reste, que se situe le trait d’union entre la part sacrée et la part profane de ses œuvres.

Le Verger m’apparut également strié de fins traits noirs verticaux que j’eus peine à identifier sur le moment. Il s’agissait des jointures des planches dont est constitué le support, Augustin Frison-Roche peignant la plupart de ses tableaux sur bois. Autre originalité d’un peintre dont l’exposition à la Galerie Guillaume, en avril 2022, connut un immense succès. Première exposition parisienne du peintre de la nature, frémissant d’une vie multiple, perçue dans ses archétypes, colorée, pleine de mystères s’offrant à être découverts dans le silence recouvré de la contemplation.
Mais à l’époque, les Malouins s’étaient quant à eux déjà familiarisés avec le peintre d’art sacré, depuis l’installation durant l’été 2020, dans la cathédrale Saint-Vincent, d’un monumental retable (630 x 225 cm), L’Apocalypse, auquel succédèrent bientôt des tableaux de moindre format disséminés dans l’édifice, dont une superbe Annonciation. Car Augustin Frison-Roche est aussi l’un des rares grands peintres du XXIe siècle à réintroduire la figuration et la beauté esthétique dans les églises, à Chartres après Saint-Malo, à Cambrai avant Voisins-le-Bretonneux où, pour le chœur de l’église Saint-Joseph-le-Bienveillant actuellement en construction, il a été passé commande au peintre d’une immense fresque, ainsi que du mobilier liturgique.

Enfin, le tout début de l’année 2025 aura vu Augustin Frison-Roche inaugurer une exposition qui formera le pendant sacré de celle de 2022 à la Galerie Guillaume. Cette exposition, intitulée Épiphanie, présente, dans le cadre somptueux du Collège des Bernardins, 19 toiles dont une fabuleuse autant que monumentale Adoration des rois mages (350 x 460 cm). De surcroît, toutes les œuvres présentées ont été peintes pour l’occasion et certaines ont été conçues pour s’insérer spécifiquement dans le cadre architectural de l’exposition. Une nouvelle étape dans la carrière extraordinairement féconde d’un artiste dont les œuvres sont promises à un bel avenir, tant elles ont la faculté de séduire les connaisseurs comme les néophytes, en matière de peinture, qui plus est en matière de peinture contemporaine. Et il est vrai que, dans un paysage artistique plus enclin au minimalisme, voire à la laideur, quand ce n’est pas à l’abstraction, la généreuse profusion figurative des œuvres d’Augustin Frison-Roche, comme la spiritualité dont elle témoigne, ravit autant qu’elle vient combler un manque, sinon une nostalgie.
1. Un détail du tableau servit à illustrer le superbe catalogue de l’exposition « L’Or du soir », à la Galerie Guillaume, à Paris, en avril-mai 2022, avec une préface signé Stéphane Barsacq, Éditions Klincksieck.
© Photo d’ouverture : Augustin Frison-Roche dans son atelier.