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McKinsey Macron

Liberté, égalité, McKinsey – le scandale d’un État qui n’en est plus un

Le scandale des cabinets de conseil est énorme. À côté, les costumes de François Fillon font petits bras. François Fillon, c’est le type qui gratte des fourchettes dans les restaurants et des peignoirs dans les hôtels de luxe. Médiocre, jusque dans l’enrichissement personnel. Tout le contraire des petits copains de promo d’Emmanuel Macron qui travaillent dans ces cabinets. L’État leur a donné l’an dernier plus d’un milliard d’euros d’émoluments pour des conseils douteux délivrés dans l’opacité la plus complète. Décidément, la République des conseilleurs ne sera jamais celle des payeurs.

Vous connaissez le Big Mac, testez le Big McKinsey, aussi toxique, aussi riche, mais pas en calories. Lui, c’est en devises et en notes d’honoraires qu’il déborde. McKinsey, c’est le plus fameux cabinet de conseil au monde. Siège social : l’État – minuscule – du Delaware, le paradis fiscal dont Joe Biden fut le sénateur à vie et qui permet à McKinsey de ne pas payer d’impôt sur les sociétés en France tout en déclarant qu’il s’en acquitte. Surnom : la « Firme », comme dans le film de Sydney Pollack. Client le plus connu sous nos latitudes : Emmanuel Macron, associé-gérant chez Rothschild, dont les appointements stratosphériques ont mystérieusement disparu, du moins dans sa déclaration de patrimoine, élu le 7 mai 2017 à la tête de la France et qui, depuis, recase ses petits copains de chez McKinsey.

L’État ? Porté disparu

Le nom de McKinsey est associé à une avalanche de scandales depuis l’affaire Enron au tout début des années 2000, le plus grand maquillage des comptes de l’histoire du capitalisme. La plus sordide de ces affaires étant la crise des opioïdes, qui s’est traduite par un demi-million de morts par overdose aux États-Unis, rendus toxicodépendants aux antidouleurs grâce aux recettes marketing que McKinsey revendait à Big Pharma. McKinsey a dû verser en février 2021 la bagatelle de 573 millions de dollars de dommages pour clore les poursuites engagées contre lui. La foule qui criait « Macron assassin » place du Trocadéro ne pensait pas à mal ; pas dit que les familles du demi-million de morts des opioïdes partagent cet état d’esprit pour les amis américains du président Macron.

Tout le monde le sait : les conseilleurs ne sont jamais les payeurs. La sagesse populaire est sur ce point irréfutable et ce n’est pas Emmanuel Macron qui la réfutera. Ainsi les conseilleurs s’appellent-ils dorénavant les cabinets de conseil. Le président de la start-up nation veille à ce qu’ils soient payés comme des footballeurs. Pour eux, pas de coupe budgétaire. Plus d’un milliard d’euros, c’est le « pognon de dingue » que l’État français leur a versé l’an dernier pour plancher sur des quiz dignes du brevet élémentaire, du genre quelle évolution pour le métier d’enseignants. On n’ose parler de scandale d’État tant l’État semble ici une expression abusive. S’il y a du reste un scandale, c’est que l’État lui-même a été externalisé. Ceux qui fantasment sur l’État profond devraient se rendre à l’évidence : l’État profond de Macron, c’est un pays sans souveraineté, sans volonté, vidé de sa substance.

Le management du pédantisme

Les consultants, c’est le truc à la mode. Quand notre président a fermé l’ENA, il n’a fait qu’entériner cet état de fait, les hauts fonctionnaires sont une marchandise largement dévaluée, la fonction publique un organe hypertrophié improductif. De toute façon, les gouvernements sont tellement nuls, les chefs d’entreprise tellement incompétents qu’ils ne peuvent pas ne pas solliciter les avis des cabinets de conseils aux honoraires exorbitants, généralement anglo-saxons, qui vendent du vent sur des tableurs Excel. Hier, c’étaient les espions soviétiques qui s’infiltraient dans les rouages de l’État. Aujourd’hui, ce sont les cabinets. Les espions volaient de vrais renseignements ; ceux que délivrent les cabinets sont faux, inutiles et redondants. Tel est le consulting, en bon franglais. Fini le jargon idéologique truffé de « isme », communisme, nazisme, totalitarisme. Le suffixe « ing » a tout recouvert, marketing, engineering, lobbying. Les États-Unis ont gagné la guerre, dont la guerre des mots. Le triomphe des « ing » n’est guère menacée que par un nouveau venu, la « tech », biotech, foodtech, etc. Même le préfixe « éco », mis à toutes les sauces, a pris un coup de vieux. La novlangue « corporate » règne en maître, au même titre que ces cabinets qui dispensent des conseils uniformes au monde entier. Pensée managériale, disent-ils. Ô pédantisme. Ces cabinets valent les médecins de Molière en matière de mots pompeux, même s’ils ne parlent pas latin. Leur idiome à eux, c’est le baratin. Notez que le résultat est le même : ils prescrivent purges et saignées – et perçoivent leurs notes d’honoraires : salées. Le médicament étant pire que le mal, on les sollicite de nouveau pour soigner les effets secondaires du médicament, et ainsi de suite. L’effet yo-yo en somme, comme avec les régimes amaigrissants. Tu perds 30 kilos et tu en regagnes 50, le cholestérol et le diabète en plus.

L’histoire, un cimetière d’aristocraties

Si Macron est l’idole des consultants, c’est qu’il est un des leurs. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Alain Minc. Il a nommé son pote Éric Labaye, ex-directeur associé McKinsey, à la tête de Polytechnique. Paul Midy a fait lui le chemin inverse : de McKinsey à la direction générale de La République en marche. Mais mon préféré, c’est le fils de Laurent Fabius, pas Thomas, l’enfant terrible qui a laissé des ardoises vertigineuses dans tous les casinos de la planète (3,5 millions à Las Vegas) ! Non, non, mon préféré, c’est Victor, fils cadet du président du Conseil constitutionnel : il est directeur associé chez McKinsey. C’est son gentil papa qui valide les lois que votent les députés godillots LREM ! Ah, c’est beau la consanguinité, plus beau que l’affaire du sang contaminé où a trempé son papa. Contaminée, c’est pourtant bien le mal qui affecte nos élites. Elles ne jurent que par le marché, mais ne connaissent que l’État dont elles sont la classe parasitaire par excellence, cumulant les défauts du public et les tares du privé. L’inertie et la rapacité. Ces élites ont ceci de particulier qu’elles sortent à la fois des meilleures écoles et d’un roman de Bret Easton Ellis, façon American Pyscho : elles sont arrogantes, immatures, narcissiques, criminelles (les opioïdes). Nous voici au cœur du dévoiement de l’intelligence, par quoi se caractérisent les décadences. Les meilleurs – autrement dit les aristoï, en grec (qui donnera aristocrates) – sont désormais les pires. Vilfredo Pareto, le grand théoricien de la production des élites, disait dans un passage fameux de son très épais Traité de sociologie générale que l’histoire est un cimetière d’aristocraties. Aujourd’hui, c’est un cimetière de morts-vivants. C’est ce qui rend ce monde si inquiétant.

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