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L’homme ? Un animal pas comme les autres. Alain de Benoist répond aux antispécistes

Quelle est la place de l’homme dans la nature ? C’est la question que pose Alain de Benoist dans son dernier livre, qui se veut une « réponse aux antispécistes ». Démêlant brillamment le vrai du faux, il nous met en garde contre le confusionnisme ambiant. Un livre qui vient à point nommé et remet « les idées à l’endroit ».

ÉLÉMENTS : En quoi les animaux sont ou ne sont pas des « personnes » ? Qu’est-ce du reste qu’une « personne » ?

ALAIN DE BENOIST. La définition classique de la personne, qui est aussi la plus simple, en fait un individu de l’espèce humaine, sans distinction de sexe. L’expression de « personne humaine » est une tautologie. Après, on peut chercher à raffiner, et l’on ne s’en est pas privé. John Locke, dans son Essai sur l’entendement humain, définit la personne comme « un être pensant et intelligent, doué de raison et de réflexion, et qui peut se considérer soi-même comme soi-même, une chose pensante en différents temps et lieux ». L’idée à retenir est que la notion de personne ne s’applique qu’aux humains. C’est précisément ce que contestent les antispécistes. Cette contestation n’est certes pas nouvelle, mais c’est la façon dont raisonnent les antispécistes qui est originale. En toute rigueur, ils pourraient soutenir la même position en s’adossant à une vision purement biologique et biologiste de la société, mais comme ils répugnent par ailleurs à la biologie et veulent à tout prix voir partout des « constructions sociales », ils préfèrent se situer sur un triple plan, égalitaire, juridique et moral. Ils rejoignent ainsi ces « animalistes » qui militent pour l’égalité des animaux et des humains, tout en déniant aux humains le droit d’être carnivores ! Mais ils n’en sont pas à un paradoxe près, puisqu’ils se disent aussi attachés au maintien de la « diversité », alors que toute leur démarche vise à montrer que les humains et les animaux sont fondamentalement les mêmes. Sans même s’en apercevoir, ils tombent en fait dans l’anthropomorphisme le plus plat.

ÉLÉMENTS : De l’homme à l’animal, y a-t-il rupture ou continuité ? Quel est aujourd’hui le propre de l’homme ? Que reste-t-il d’Homo sapiens face aux découvertes de la zoologie et au message des antispécistes ?

ALAIN DE BENOIST. On est là au cœur du problème. Deux voies sans issue, contradictoires l’une de l’autre, sont à proscrire : celle qui nie toute forme de parenté entre les humains et les animaux, et celle qui ne voit entre eux aucune différence. La première position a été dans le passé celle des grands systèmes métaphysiques qui, en vertu de leurs dogmes, soutiennent que l’homme est statutairement affranchi des lois du vivant, par exemple parce que Dieu a fait de lui le « roi de la création » ou qu’il est le seul à avoir une âme (même si le mot, par son étymologie, anima, renvoie directement à l’animal !). La philosophie kantienne en représente une transposition profane : pour Kant, qui affirme la valeur absolue de la personne humaine et en fait une fin en soi, l’homme est d’autant plus homme qu’il s’éloigne de toute « naturalité ». S’inscrivent dans la même visée toutes les grandes idéologies modernes qui veulent couper tout lien entre culture et nature, soutiennent que l’hérédité compte pour rien, que le milieu social décide de tout, etc. À l’autre extrémité, on trouve ceux qui adhèrent à un biologisme intégral et refusent l’idée qu’il y ait un propre de l’homme, au nom de l’universalité du code génétique par exemple (ou du fait qu’il n’y a pas eu une évolution pour les animaux et une autre pour les hommes). Ils voient bien qu’il y a des différences énormes entre les animaux et les humains, mais ce ne sont à leurs yeux que des différences de degré, non des différences de nature. La sociologie peut alors être rabattue sur la médecine vétérinaire.

     Vous me demandez si, de l’homme à l’animal, il y a rupture ou continuité. La vérité est qu’il y a les deux, et qu’il faut tenir compte de l’une et de l’autre. J’ai souvent cité ce que m’avait dit le Prix Nobel Konrad Lorenz quand j’étais allé lui rendre visite à Vienne : « Si vous dites que l’homme est un animal, vous avez raison ; mais si vous dites qu’il n’est qu’un animal, vous avez tort. » L’homme est un animal, il est à bien des égards très proche des animaux (beaucoup plus qu’on ne le croyait il y a encore un siècle), mais il y a entre lui et les animaux des différences de nature, qui ne s’expliquent nullement par la métaphysique, mais par des phénomènes d’émergence qui s’inscrivent parfaitement dans l’évolution. La vie est probablement issue de la matière inerte, mais la matière inerte n’a pas les propriétés du vivant. L’eau se compose d’oxygène et d’hydrogène, qui n’ont pourtant aucune propriété liquide. Chez l’homme, le cerveau a évolué de telle façon que des qualités nouvelles y ont émergé. C’est cette notion capitale d’émergence qui s’inscrit en faux contre le réductionnisme positiviste. L’homme est en outre un être non spécialisé, dont les instincts sont largement déprogrammés (un « être de manque », disait Arnold Gehlen), un être très fœtalisé aussi, au développement assez lent, qui peut s’adapter à tous les climats et à toutes les situations parce que ce n’est pas dans sa physiologie qu’il trouve ses seules ressources. Ces traits caractéristiques sont à mettre en rapport avec ce qui fait partie de son propre : l’imaginaire symbolique, le langage syntaxique, la conscience de sa propre conscience, le sentiment historique de longue durée, la capacité de se soucier du sort des autres espèces, etc.

ÉLÉMENTS : Peut-on inscrire l’antispécisme dans le cadre plus large de la déconstruction ? Après la critique de la domination masculine, de la domination blanche, de la domination hétérosexuelle, celle de la domination humaine sur le monde animal ? L’antispécisme fonctionnerait-il comme un « antiracisme » déplacé sur le terrain des espèces vivantes ?

ALAIN DE BENOIST. On peut en effet faire cette comparaison. Les antispécistes veulent effacer ou brouiller les différences entre les animaux et les humains, tout comme les « antiracistes » veulent nier les différences entre les races, tandis que les néoféministes veulent nier les différences entre les sexes. Dans les trois discours, les procédés utilisés sont souvent les mêmes : sexes rebaptisés « genres », races rebaptisées « constructions sociales », usage abusif des cas-limites (transsexuels), dialectique pauvre de la domination-émancipation, etc. À l’arrivée, l’homme blanc hétérosexuel apparaît comme coupable à la fois en tant qu’humain, en tant que Blanc et en tant qu’hétérosexuel. Cette déconstruction procède par confusion, par allergie aux frontières (et aux limites en général), la diversité étant, de façon elle aussi contradictoire, tantôt adulée tantôt réduite à la mêmeté. On mêle tout pour que personne ne s’y reconnaisse plus. C’est en cela que la déconstruction généralisée concourt à la montée du chaos.

Propos recueillis par François Bousquet

2 réponses

  1. J’ai commencé à lire mais vraiment tout me parait biaisé dans sa réflexion : Au début on a une définition de la « personne humaine » qui ne s’appliquerait qu’aux humains….c’est une affirmation péremptoire et fausse. Non seulement la définition peut s’appliquer aux animaux mais, de plus, rien ne permet de savoir comment un animal se définit par lui-même. Parler ensuite de vision anthropomorphique de la part des antispé alors que les prémices mêmes de la réflexion proposée sont anthropomorphique indique déjà une rhétorique défaillante…Vient ensuite la biologie. Pourquoi les antispécistes nieraient la biologie ? au contraire on peut s’appuyer sur la structure du cerveau, du système nerveux (c’est même la base de la définition de la sentience)… Ensuite dire que les Antispé se baseraient, à tort et exclusivement, sur les constructions sociale est d’une part faux, et, d’autre part, cela fait l’impasse sur le fait que quasiment tous les animaux ont une vie et des rapports sociaux (rapports de territoire, vie en groupe, couple, familles)… Parler d’anthropomorphisme (le plus plat (sic)) est une erreur complète…La vie sociale, sociable des animaux existe et inclue les humains qui interagissent avec les autres espèces !! et pas forcément dans une logique « je suis le plus fort, je te bouffe »…. Pour la suite, ce penseur semble enfermer les antispé dans deux alternatives : soit les humains n’ont aucune parenté avec l’animal soit il n’y a aucune différence. Pourtant peu d’antispéciste choisissent la seconde hypothèse…Il y A des différence entre l’humain et chaque espèce..Chaque espèce a sa spécificité. Ensuite il cite des qualités qui seraient le « propre de l’homme »….J’en prend une : le langage syntaxique. que sait il du langage des merles, des chauves souris, des dauphins ???? rien de rien……J’arrête là cette lecture qui n’apporte rien à la réflexion sur les rapports entre espèces…..En espérant qu’au moins mon commentaire sera utile…..

    1. Sauf erreur, il me semble que vous avez lu un peu vite, car vous faites beaucoup de contre-sens, peut-être sous le coup de la colère, car visiblement en désaccord profond avec AdB sur l’antispécisme. Peut-être est-ce la première fois que vous le lisez, mais sachez que c’est loin d’être la première fois qu’il dit ce qu’il vient de dire !

      Précisons d’abord qu’Yves Christen, l’auteur du fameux livre « L’animal est-il une personne ? » (la question semble vous intéresser) est co-fondateur du GRECE et intervient régulièrement dans la revue Eléments, donc croyez bien qu’AdB s’intéresse au sujet presque aussi bien que lui, qu’il a certainement lu tous ses ouvrages, et ce depuis, de fait, un certain temps ! Leur point de vue diffèrent probablement d’ailleurs.

      Sur le fond, vous le dites bien : « chaque espèce a sa spécificité », ce que AdB sait parfaitement à mon avis, il va juste un peu plus loin que vous en disant : « Vous me demandez si, de l’homme à l’animal, il y a rupture ou continuité. La vérité est qu’il y a les deux, et qu’il faut tenir compte de l’une et de l’autre. » Car ce n’est pas tout d’être dans la continuité (ce que disent les antispécistes), encore faut-il « spécifier » l’homme, sans mauvais jeu de mot. Et le fait que l’homme soit, in fine, une « personne » (du fait d’un ensemble de particularités qui lui soit propre) ne fait pas de ses ascendants directs ni de ses cousins, une « personne » pour autant. Le « langage » des animaux n’ayant de fait, rien à voir avec le langage des hommes. Ce dernier point est précisément ce qu’il nomme un « anthropomorphisme plat » (les oiseaux conçoivent-ils une grammaire ? Un dictionnaire ? Le réactualisent-ils comme nous le faisons régulièrement ? Etc.). Soyons sérieux : le « langage » dont vous parlez n’a rien de comparable. Il y a bien émergence d’une spécificité humaine ici.

      Un conseil : relisez ce texte calmement, vous verrez que ça ira beaucoup mieux.

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