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Les pierres bleues mégalithiques de Stonehenge viennent de loin, très loin

Geoffrey de Monmouth a écrit une Histoire des Rois de (Grande-)Bretagne en 1136. Selon lui, les mystérieux monolithes de Stonehenge en Angleterre ont été placés là par le sorcier Merlin, après que son armée les eut dérobés en Irlande dans un cercle de pierre mythique appelé la Danse des Géants.

Des siècles avant le développement de la géologie rudimentaire, la théorie exotique de Geoffrey a épaissi le mystère autour du mythique site de Stonehenge, vieux de 5 000 ans. Aujourd’hui, il semble que le chroniqueur médiéval ait eu du flair.

En effet, de nouvelles recherches révèlent que Stonehenge pourrait en fait avoir été créé sur une colline balayée par les vents près de la côte du Pembrokeshire, sur un site appelé Waun Mawn, avant 3000 av. J.-C. Contrairement à ce que Geoffrey avançait, les pierres n’ont pas été déplacées par magie et viendraient du Pays de Galles et non d’Irlande – mais l’idée que certains des mégalithes de Stonehenge viennent d’ailleurs permet de revisiter notre compréhension du site le plus connu de l’âge de pierre au Royaume-Uni.

Une peinture médiévale montrant trois personnages
Une peinture médiévale de Merlin plaçant un linteau sur ses montants à Stonehenge. Author provided (No reuse)

Stonehenge a été construit en cinq étapes, sur une période de 1 500 ans, à partir de 3000 ans av. J.-C. Parmi les mégalithes se trouvent les « pierres bleues » : ce sont de petits piliers de dolérite, de rhyolite, de cendres volcaniques et de grès dont on sait depuis longtemps qu’ils proviennent des collines Preseli (Mynydd Preseli) dans l’ouest du Pays de Galles, à plus de 225 kilomètres de là. Stonehenge est le seul cercle de pierres en Europe dont les pierres ont été extraites à plus de 20 kilomètres du site, ce qui est très inhabituel.

Nos fouilles à Stonehenge en 2008 ont permis de prouver que les pierres bleues galloises avaient formé le premier cercle de pierres du site, enchâssé dans un large anneau connu sous le nom de « trous d’Aubrey ». Puis, récemment, des géologues ont établi une correspondance entre deux des types de dolérite et de rhyolite présents à Stonehenge et des affleurements rocheux spécifiques dans les collines Preseli appelés Carn Goedog et Craig Rhos-y-felin. https://www.google.com/maps/d/u/0/embed?mid=1vfPO41xXcza9WoGY_ZlEzOa-aEsNtz99

Notre équipe est donc allée à Preseli pour creuser sur les affleurements, où nous avons retrouvé des preuves d’outils d’extraction – des coins de pierre taillée et des percuteurs – qui ont confirmé que les sites étaient bien des carrières de l’âge de pierre. Plus important encore, le bois carbonisé et les noisettes identifiés par l’archéobotaniste Ellen Simmons ont fourni la preuve que les deux sites ont été exploités à partir d’environ 3400 av. J.-C..

Des doutes sur les dates

Le début de l’exploitation des carrières date de 3400 av. J.-C., alors que Stonehenge a commencé à être construit en 3000 av. J.-C. Que s’est-il passé pendant ces 400 ans ? S’agit-il simplement du transport des pierres bleues fraîchement extraites jusqu’au site de Stonehenge ? Ceci paraît bien long et il semblerait que les pierres des carrières galloises se soient retrouvées ailleurs, avant d’être transportées vers le site de Stonehenge en Angleterre.

Cela correspondrait à la théorie de l’éminent géologue gallois Herbert Thomas, qui a découvert en 1923 que les pierres bleues de Stonehenge avaient été déplacées vers la plaine de Salisbury – par des humains, et non, comme certains l’avaient supposé, par des glaciers de l’âge glaciaire. Herbert Thomas en avait conclu que les pierres bleues formaient à l’origine un « cercle de pierres vénérées » quelque part au Pays de Galles.

Pour prouver cette théorie, il fallait trouver ce site d’origine. Nous avons donc entrepris de rechercher un cercle de pierres galloises que nous pourrions relier de manière concluante aux pierres de la plaine de Salisbury.

Nous avons d’abord étudié Waun Mawn, un arc de cercle peu impressionnant de quatre pierres, situé à cinq kilomètres des carrières galloises de Carn Goedog et Craig Rhos-y-felin. Nous avons rejeté le site comme candidat potentiel après une brève étude. Mais, après des fouilles non concluantes des autres monuments circulaires de la région, nous y sommes revenus pour une dernière fouille, assez spéculative.

C’est là que le superviseur de fouilles Dave Shaw a découvert deux trous de pierre vides : un trou à chaque extrémité de l’arc de pierres, là où se trouvaient autrefois les pierres qui manquent aujourd’hui. Des fouilles ultérieures ont mis au jour d’autres trous de pierre, disposés en cercle d’un diamètre identique à celui du fossé de Stonehenge.

Un des trous de pierre que nous avons découvert à Waun Mawn. Author provided (No reuse)

Dater des trous plutôt que des pierres

La datation des trous de pierre – pour savoir quand les pierres retirées ont été placées pour la première fois à Waun Mawn, et quand elles ont été enlevées – serait cruciale pour établir un lien avec Stonehenge. Leur installation et leur démantèlement devaient déjà avoir eu lieu en 3000 av. J.-C., quand Stonehenge a commencé à être érigé.

Nous avons utilisé une technique appelée luminescence optiquement stimulée pour dater les sédiments à l’intérieur des trous. Cette technique a permis de savoir quand les minéraux des sédiments ont été exposés pour la dernière fois à la lumière du jour, avant que les pierres ne les cachent. En utilisant cette méthode, nous avons daté la construction de Waun Mawn du milieu à la fin du quatrième millénaire avant Jésus-Christ. Cela signifie qu’il a été construit peu avant la construction initiale de Stonehenge.

Plus frappant encore, nous avons également découvert un éclat de pierre dans l’un des trous de pierre de Waun Mawn, qui a dû se détacher du pilier de pierre bleue qui s’y trouvait à l’origine. Il a été confirmé qu’il s’agissait de dolérite non tachetée, un type de roche représenté par trois pierres à Stonehenge.

L’empreinte laissée par le fond plat d’un des piliers en pierre bleue est exceptionnellement nette et montre que le pilier était de section pentagonale – une forme inhabituelle qui correspond à une seule des 43 pierres bleues de Stonehenge. Un modèle informatisé de l’empreinte de Waun Mawn et de la pierre 62 de Stonehenge a montré qu’elles s’emboîtaient parfaitement, comme une clé dans une serrure.

Une photographie aérienne d’une plaine verte
Nos fouilles à Waun Mawn nous ont permis d’établir quand une partie du site a été démontée. Author provided (No reuse)

Transport de marchandises à la Préhistorique

Les preuves reliant Waun Mawn à Stonehenge sont solides. Mais une question fascinante demeure : pourquoi un peuple néolithique a-t-il déplacé les pierres bleues ? L’analyse scientifique des restes incinérés des personnes enterrées à Stonehenge il y a des milliers d’années pourrait fournir la réponse.

Une nouvelle technique nous a permis d’en apprendre davantage sur les restes humains enterrés à Stonehenge – il s’agit d’extraire des isotopes de strontium d’os incinérés. Ceci a révélé que les personnes enterrées à Stonehenge il y a 5 000 ans provenaient de différentes régions géologiques de Grande-Bretagne. Notamment, quatre des individus analysés pourraient avoir vécu dans l’ouest du Pays de Galles. Il semble donc probable que les gens soient venus avec les pierres bleues – et qu’ils soient restés avec elles.

Une théorie sur la raison pour laquelle les peuples préhistoriques ont pu démanteler un cercle de pierres dans l’ouest du Pays de Galles et le transporter jusqu’à la plaine de Salisbury suggère que les pierres étaient l’incarnation des ancêtres de ces peuples.

Cette hypothèse est fondée sur l’observation de l’archéologue malgache Ramilisonina selon laquelle la pierre, à Madagascar, représente les ancêtres parce qu’elle est durable et permanente, contrairement au bois qui est éphémère, comme le vivant.

Nos découvertes s’alignent sur la théorie de Ramilisonina : la présence de restes humains suggère que Stonehenge était un lieu dédié aux morts. Non loin de là à Durrington Walls, proche des maisons des vivants, on trouve des indices de « cercles de bois ». Peut-être que le peuple néolithique de Preseli, il y a environ 200 générations, a décidé de se relocaliser dans un autre complexe cérémonial, en déracinant et en replantant les pierres pour recréer une autorité ancestrale sur cette nouvelle terre.

S’il y a une part de vérité dans la légende de Geoffrey, elle est infime : les histoires transmises de bouche à oreille se développent et se transforment, et des phénomènes apparemment inexplicables comme les énormes monolithes de Stonehenge sont souvent attribués à des forces magiques. Les pierres de la plaine de Salisbury continueront sans aucun doute à enchanter les vivants, mais nos recherches ont permis de répondre à certaines des questions ouvertes au sujet du site archéologique le plus connu du Royaume-Uni et de nos ancêtres.

Mike Parker Pearson
Professor of Archaeology, Institute of Archaeology, UCL


Source : The Conversation

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