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Les nouveaux démons

Les nouveaux démons

Après trois « contes cruels » parus aux éditions de la Nouvelle Librairie, Thomas Clavel revient, cette fois aux éditions Livr'arbitres, avec un sombre et envoûtant exorcisme littéraire nous plongeant dans les méandres d'une âme tourmentée, assiégée par les démons. Réinvestissant le mythe de Faust, il nous confronte à un personnage unique jouant avec le feu dévorateur de sa propre psyché et pactisant avec le mal.

Après trois romans remarqués parus aux éditions de la Nouvelle Librairie, le talentueux Thomas Clavel se lance dans le journal et l’introspection philosophique. L’auteur d’Un traître mot s’éloigne du récit romanesque et de la critique de notre modernité finissante (censure, dictature sanitaire, néo-féminisme) pour nous présenter avec La Tour et la Plaine un huis clos psychologique en forme de prose poétique.

Nous sommes à l’automne 1908. Lucien Grandier est père de famille et instituteur dans la petite ville d’Autun. Il est pris d’un mal étrange et note sur un carnet de maroquin rouge les tourments qui le hantent et le mèneront au suicide. Dans son crâne, les démons de cet homme vont s’affronter et le tenter : celui de la herse, représenté par la Tour et incarnant le devoir qu’a tout homme de bâtir, protéger et perpétuer sa famille, fait face au démon du bélier, représenté par la Plaine et symbolisant les tentations extérieures, le désir de conquête.

Ces deux élans vitaux – conservation et conquête – se contredisent. Lucien est tiraillé entre ces deux aspirations, harcelé par ses démons qui tour à tour se répondent. Quand le démon de la herse lui rappelle ses devoirs, celui du bélier lui signifie sa petitesse. L’aspiration verticale, une fois sa maison bâtie, n’est-elle pas que soumission et devoirs à respecter ? A contrario, l’impulsion horizontale – la liberté, la conquête du monde – n’est rien d’autre que la tentation charnelle des femmes, la déprédation, la souillure. Dans sa tête, les voix de sa conscience l’obsèdent et le torturent ; il va essayer de combattre ses démons, mais de ce conflit intérieur, Lucien Grandier ne se relèvera pas. De ce labyrinthe insoluble, il ne sortira qu’en se donnant la mort.

Cet effondrement progressif et total aux aspects baudelairiens et rimbaldiens est symbolisé par un style qui petit à petit se brusque et devient décousu. Les deux démons le sermonnent et lui portent des coups dans chacune de leurs diatribes, remontrances et exhortations, l’usage de l’italique et des points d’exclamation se fait croissant, la syntaxe surchauffe.

Si on ne connaîtra pas grand-chose de la vie de Lucien Grandier, c’est que l’intention de l’auteur est universelle. Les questions et tourments qui s’agitent sous le crâne de cet instituteur de la fin de la Belle Epoque dans une Bourgogne rurale sont les mêmes que ceux qui préoccupent n’importe quel homme d’aujourd’hui. La soumission à ce tiraillement incessant entre deux approches et horizons contraires est une loi immuable : le plaisir face aux devoirs, la conquête de la Plaine contre la construction de sa Tour.

Thomas Clavel, La Tour et la Plaine, Editions Livr’arbitres, 138 pages, 15€

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