ÉLÉMENTS : Tout le monde connaît Jacques-Yves Cousteau, moins son aîné Pierre-Antoine Cousteau. Pouvez-nous le présenter ?
JEAN-PIERRE COUSTEAU. Jusqu’à l’âge de quinze ans, on me demandait si j’étais de la famille du journaliste; après, si j’étais de celle du plongeur. J’ai donc connu une époque où « tout le monde » connaissait Pierre-Antoine et « personne » ne connaissait son frère Jacques-Yves. Mais le temps passe, et aujourd’hui, même Jacques-Yves, qui fut le Français le plus connu au monde, est oublié.
Présenter mon père en quelques mots est facile : indépendance, fidélité à la parole donnée, humour, brio, courage jusqu’au point de non-retour. Engagé dans un combat à mort, il n’a jamais reculé d’un pas. Il a eu tort, bien sûr.
XAVIER EMAN. « PAC », c’est un peu le « maudit des maudits », l’irrécupérable, le jamais repenti, jamais pardonné, jamais amendé… Moins romantique que Brasillach, moins précieux et esthétisant que Bonnard, moins torturé que Drieu, c’est avant tout un grand journaliste aussi féroce que brillant, souvent visionnaire. Un combattant. Un personnage tragique et flamboyant qui peut difficilement laisser indifférent.
ÉLÉMENTS : « PAC » a été condamné à mort à la Libération, puis finalement gracié, ce qui ne l’empêcha de passer presque dix ans sous les barreaux. Comment survivre à une condamnation à mort ou à l’infamie de l’indignité nationale ? En écrivant des pensées, aphorismes et autres apophtegmes ?
XAVIER EMAN. Seuls ceux qui ont vécu de pareils drames peuvent sans doute répondre avec justesse et précision à cette question. On peut cependant imaginer qu’en de telles circonstances, la famille et les camarades fidèles sont des recours aussi précieux qu’indispensables. Le piteux – pour ne pas dire plus – spectacle donné par le monde des « vainqueurs » doit également aider à supporter le statut de réprouvé, de vaincu. Et l’écriture, bien sûr, qui est l’éternel refuge des âmes blessées et incomprises.
JEAN-PIERRE COUSTEAU. A-t-il vraiment survécu ? Dix-huit mois de fuite en Autriche, condamnation à mort, 141 jours de chaînes au quartier de la mort de Fresnes, huit années à Fresnes, Clairvaux et Eysses, indignité nationale, épouse emprisonnée, biens confisqués, enfants indésirables dans les écoles de la République… Alors oui, restent ses Pensées, son journal de prison Intra Muros, ses articles, les sept Digests, une pièce en quatre actes Jeanne au trou, un Dictionnaire d’aphorismes, les sept cents lettres écrites à ma mère, les livres publiés après sa libération. C’est peu et beaucoup
ÉLÉMENTS : Quel est le portrait qui se dégage de ses « Pensées » ? Autrement dit, quel homme Pierre-Antoine Cousteau était-il ? Et quel auteur ?
JEAN-PIERRE COUSTEAU. Curieusement, mon père plaçait ses Pensée au-dessus de ses autres écrits (il l’écrivit à ma mère, je le rappelle dans mon avant-propos). Par ces Pensées, écrites en prison, débutées à Clairvaux avant même d’être gracié et qu’il n’a pas retouchées pendant les quatre malheureuses années qui séparèrent sa libération de sa mort, il se livre, sans souci d’être un jour lu ou publié : dégoût d’une France qu’il avait aimée, des Français, de la démocratie, de l’homme en tas, agnosticisme, pessimisme, humour aussi. Les paroles de vaincu peuvent aussi être entendues et écoutées.
Ce qui distingue mon père de Lucien Rebatet, Robert Brasillach, Henri Béraud et autres amis compagnons d’infortune – je n’inclus pas Céline, le génial Céline, ils n’étaient guère amis… –, c’est qu’à leur différence, il n’était que polémiste, que journaliste politique – ni romancier ni poète.
XAVIER EMAN. Pour ma part, je ne peux évoquer que ma perception en tant que lecteur, n’ayant pas connu personnellement le personnage et encore moins l’homme. Ce qui m’a frappé dans ce recueil de pensées et d’aphorismes, par rapport aux autres écrits de « PAC » que j’ai pu lire, beaucoup plus combatifs et « militants », c’est l’impression d’amertume qui en ressort, comme un sentiment d’accablement face au présent et à l’avenir, une forme de misanthropie et un lourd ressentiment (bien compréhensible ceci-dit) envers ce pays ingrat qu’il a tant aimé, la France. Mais tout cela est énoncé avec beaucoup d’élégance, beaucoup de « tenue » et un humour cinglant qui est, selon moi, l’une des marques prépondérantes du « style Cousteau ».