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Les Indo-Européens viendraient bien de la steppe pontique

Les Indo-Européens viendraient bien de la steppe pontique

La paléogénétique a rendu son verdict. La steppe pontique, qui s’étire pour l’essentiel de l’embouchure du Danube jusqu’au fleuve Oural, serait bien le foyer des langues indo-européennes. Gabriel Piniés, membre du pôle études de l’Institut Iliade, fait le point sur l’état actuel des connaissances.

C’est historique. Deux études de paléogénétique publiées par les grands noms David Reich et Iosif Lazaridis de Harvard apportent un regard neuf sur l’origine des langues indo-européennes grâce à de nouveaux échantillons. Revenant sur l’hypothèse anatolienne de leur précédent article qui avait fait grand bruit en 2022, « The genetic history of the Southen Arc », c’est bien finalement la steppe pontique qui serait le foyer de l’indo-européen commun.

Avec 299 nouveaux échantillons de la steppe et d’Anatolie ainsi que des échantillons plus anciens réanalysés (428 donc au total), les auteurs de ces deux études sorties le même jour le 18 avril dernier et conduites par les mêmes scientifiques parviennent à plusieurs conclusions déterminantes. Nous allons principalement analyser les résultats d’une de ces deux, « The Genetic Origin of the Indo-Europeans ». Ces échantillons sont issus de plusieurs cultures steppiques et pour la première fois les chercheurs ont analysé des échantillons de plusieurs cultures steppiques antérieures à la fameuse culture de Yamna, ou plus rigoureusement culture des tombes en fosse (ayant existé entre – 3 300 et -2 600), en l’occurrence des squelettes des cultures de Sredny Stog, de Khvalynsk et d’Usatovo, ainsi que de nombreux autres squelettes de Yamnayas. En parallèle, des échantillons notamment anatoliens de l’âge du Bronze ont été réexaminés. L’enjeu était de déterminer le foyer des langues indo-européennes (ou indo-anatoliennes si nous admettons que la branche anatolienne est une branche distincte) en affinant l’étude de la région. Si la plupart des données paléogénétiques, linguistiques et archéologiques semblaient indiquer une préférence pour la steppe pontique en Europe orientale, la précédente étude de ces auteurs privilégiait une origine anatolienne et un franchissement du Caucase du sud vers le nord. L’argument en faveur de cette idée était la présence dans les données paléogénétiques d’une migration de CHG (chasseurs-cueilleurs du Caucase, ou Caucasus Hunter Gatherers) d’est en ouest en Anatolie à des dates qui pouvaient correspondre. Ce cluster génétique appelé CHG constitue aussi presque la moitié du génome des individus de la culture des tombes en fosse, ou Yamnayas, et se retrouvent aussi dans la Céramique cordée plus au nord.

Que nenni ! Finalement, les échantillons steppiques antérieurs à la naissance de la culture de Yamna (en -3300 environ) montrent une continuité génétique. La culture de Sredny Stog (ou Seredny Stih en ukrainien) remonte plus haut entre – 4 500 et – 3 500, dans un espace au nord de la mer d’Azov entre Don et Dniepr. Elle était déjà soupçonnée d’être indo-européenne, et il est donc confirmé par les nouveaux squelettes séquencés qu’elle constitue l’ancêtre direct des hommes de la culture des tombes en fosse, ou Yamnayas. Avec cette culture elle partageait l’enterrement sous des kourganes (tumulus) et recouvrait ses morts d’ocre tout comme elle. Pour rappel, la culture de Yamna était au centre de l’« hypothèse kourgane » de l’archéologue Marija Gimbutas dans les années 50 qui les voyait comme le point de départ de migrations conquérantes facilitées par le cheval et la roue. Il semblerait toutefois que le tableau soit plus complexe : les Yamnayas ne sont qu’un des peuples indo-européens de l’époque et leurs migrations ont eu finalement peu de succès reproductif. En remontant le Danube, ils se sont dirigés vers les Balkans, la Grèce, tandis que d’autres partaient pour l’Altaï former la culture d’Afanasievo, et enfin certains passaient vers l’Anatolie donnant naissance plus tard à la langue arménienne. C’est vers – 3 000 qu’ils ont atteint leur extension maximale de la Hongrie au Kazakhstan. La plupart des langues indo-européennes ne seraient donc pas issues de la culture de Yamna mais de leurs parents proches de la Céramique cordée.

Trois variations

Ces squelettes montrent une complexe intrication de trois ensembles de population, appelés « clines ». Il y a le cline Caucase-Basse Volga remontant au nord jusqu’au site de Remontnoye dans l’oblast de Rostov et au sud jusqu’aux populations du Néolithique arménien et formant un métissage entre groupes steppique de type chasseurs cueilleurs d’Europe orientale (EHG, Eastern Hunter Gatherers) et caucasien. Il y a le cline Volga plus au nord où des individus du premier groupe sont mélangés à plus forte quantité avec ces EHG, très probables locuteurs du proto-indo-européen. Enfin, un cline du Dniepr plus à l’ouest où la population du premier groupe en migrant vers l’ouest aurait rencontré d’autres chasseurs-cueilleurs, donnant naissance aux futurs Yamnayas. Le schéma ci-dessous tiré de l’étude résume tout ceci. Les squelettes de la région du Dniepr montrent pour la première fois une grande quantité de lignages non-indo-européens de chasseurs-cueilleurs d’Europe du Mésolithique, le I-L699, encore très présent parmi les Yamnayas du Don.

De la steppe vers l’Anatolie

Quid des autres cultures steppiques ? La culture de Volosovo, culture de chasseurs-cueilleurs de la steppe forestière allant de l’est des pays baltes actuels jusqu’au cours de la rivière Kama (affluent de la Volga), recèle des échantillons datés entre – 5 400 et – 4 500 eux aussi de type indo-européen avec plusieurs individus porteurs d’un lignage steppique rare, le R1b-Y13200, qui avait déjà été retrouvé sur plusieurs squelettes lettons par une autre étude datés de – 5000 environ. Ces échantillons proviennent du site archéologique de Sakhtysh, un petit village situé au nord-est de Moscou dans l’oblast d’Ivanovo sur la haute Volga. Ce lignage est un parent lointain du lignage des Yamnayas, de celui de la culture de Khvalynsk et de celui de la culture campaniforme dont les individus ont envahi l’Europe occidentale à la fin du Néolithique.

Les individus de la culture de Khvalynsk, contemporaine de la culture de Sredny Stog mais située sur le cours de la moyenne Volga autour de la boucle de Samara, présentent un lignage patrilinéaire R1b plus lointain généalogiquement mais plus proche géographiquement de celui des grandes expansions ultérieures : le R1b-V1636, notamment du sous-clade Y106006, datés autour de – 4 000. Il n’est pas ancestral de celui des Yamnayas ou de celui du Campaniforme, dont il était éloigné de 9 000 ans à l’époque où nous l’avons trouvé. Ces individus sont intéressants à plus d’un titre. Tout d’abord, ils seraient responsables de l’apport steppique dans le cline Volga. Mais en outre, ils possèdent le R1b particulier (V1636) trouvé près de 2 000 ans plus tard en Anatolie près de Gaziantep, associé à un apport steppique auparavant jamais détecté dans la région.

Précisément, l’une des principales nouveautés de cette étude est leur reconnaissance d’une migration depuis la steppe vers l’Anatolie perceptible dans des squelettes anatoliens de l’âge du Bronze. Cette migration proviendrait du cline Caucase-Basse Volga (ce qui est assez logique sur le plan géographique), symbolisé par le triangle 1 dans le schéma ci-dessus. Cette migration semble assez limitée mais significative. Pour la datation, il faut que ce soit une migration antérieure à l’invention de la roue. Le terme proto-indo-européen de la roue, *kʷékʷlos (qui a donné “cycle”, mais aussi “wheel” en anglais), n’existe pas dans la famille anatolienne. Les scientifiques qui ont produit cette étude parviennent à se raccrocher à leur précédente hypothèse anatolienne. Les proto-Anatoliens qui auraient franchi le Caucase depuis la steppe et créé plus tard le royaume hittite seraient les responsables de la migration interne à l’Anatolie qui avait vu avant – 4 000 une arrivée importante de chasseurs-cueilleurs du Caucase/mésopotamiens : durant leur traversée du Caucase, ils se seraient fortement mélangé à cette population et seraient arrivés avec une quantité d’ADN steppique très diluée, qui était passée sous les radars et a enfin été trouvée grâce aux nouveaux échantillons. Cela correspond à l’idée que les linguistes se font de la famille anatolienne, en particulier de la branche hittite, très influencée par les substrats locaux pré-indo-européens. Des traces de leur passage au contact de Mésopotamiens ont déjà été relevées par des linguistes.

Le puzzle prend forme

Tout cela vient renforcer des tendances déjà présentes dans d’autres études de paléogénétique, notamment « Population genomics of post-glacial western Eurasia » parue en janvier 2024, qui ont trouvé des échantillons de chasseurs-cueilleurs d’Europe orientale jusqu’à des dates très reculées, cette population ayant donné les lignées masculines des proto-Indo-Européens et la moitié de leur ADN. C’était aussi le cas de l’étude publiée dans Nature en juillet 2023 qui montrait des contacts précoces entre communautés de pasteurs des steppes génétiquement indo-européens et des agriculteurs locaux. Nous avions consacré un article à cette étude dans Éléments. De même, la découverte dans la culture de Khvalynsk et la culture de Volosovo plus au nord de lignages parents lointains des proto-Indo-Européens fait remonter une présence de ces populations à au moins – 13 000 dans un espace allant des rives de la Baltique au nord du Caucase, une avancée considérable. Une autre surprise de l’étude est leur conciliation du paradoxe que les individus de la culture de la Céramique cordée (une culture indo-européenne d’Europe du Nord ayant existé entre – 3 000 et – 2 350 environ, ayant donné les langues indo-iraniennes, balto-slaves, celtes, italiques et germaniques) et ceux de la culture de Yamna sont génétiquement très proches tout en ayant des lignées paternelles directes parentes mais divergentes pour certaines depuis de nombreux millénaires : ce serait par les femmes que les individus de la Céramique cordée porteurs du lignage masculin R1a-M417 (lointain cousin de celui des Yamnayas et vecteur des langues indo-iraniennes et balto-slaves) se sont rapprochés génétiquement des Yamnayas.

Il faudra toutefois plus d’échantillons anatoliens et steppiques pour compléter le puzzle. Il manque encore à répertorier la migration de la steppe vers l’Anatolie des porteurs du marqueur patrilinéaire R1b-PF7562, perceptible de manière significative dans les populations actuelles turque, arménienne, albanaise et grecque, et antérieure elle aussi à l’expansion yamnaya, ainsi qu’à documenter la période cruciale avant – 4 000 où les futurs Yamnayas se sont dissociés de leurs parents proches qui ont migré vers l’ouest et que nous retrouvons peu après – 3 000 dans la culture de la céramique cordée en Bohême. Ce rameau, qui avait déjà quitté la steppe pontique vers l’ouest en – 3 000, aurait donné la famille de langues germanique et italo-celtique.

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