ÉLÉMENTS : Racontez-nous l’assaut que vous avez subi hier ? Apparemment des manifestants réunis à Nancy contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure, dans la Meuse, après avoir été négligemment dispersés par la police, ont décider de pousser jusqu’aux portes des Deux Cités. Ce n’était pas une visite de courtoisie ?
ALEXIS FORGET. Dans son ouvrage, Psychologie des foules (1895), Gustave Le Bon décortiquait le caractère irraisonné de la masse en mouvement et ce qui s’est produit hier ne fait pas exception. Peu avant midi, une horde sauvage d’une trentaine d’hères a surgi devant la vitrine nancéienne, scandant les cris habituels et tambourinant sur la vitre tandis que quelques-uns pratiquaient les arts plastiques. Le temps de sortir et de voir piétiner une ardoise commerciale – qui a fini par être emportée par le torrent –, je me suis fait pousser à deux reprises contre la vitrine tandis qu’un des invertébrés en profitait pour s’introduire dans la librairie et, après avoir envoyé au sol deux rayonnages (contenant des titres de La Nouvelle Librairie ou encore 1984 d’Orwell, la symbolique est grande), subtilisait mon téléphone portable laissé sur le comptoir.
ÉLÉMENTS : Cette attaque a-t-elle suscité des réactions à Nancy et ailleurs, de solidarité, on l’espère ? D’hostilité ? Ou bien une absence de réaction, silence – éloquent, cela va s’en dire – sur les exactions de l’extrême gauche ?
ALEXIS FORGET. Au moment des faits, des commerçants et restaurateurs voisins à qui je tiens à rendre hommage sont rapidement intervenus pour se placer en protection devant la vitrine, qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés. Quant à une réaction des pouvoirs publics de la ville, nous l’attendons encore : les membres du conseil municipal (PS, PCF, EELV) font, depuis un an, le maximum pour qu’aucune rencontre n’ait lieu et, espérant me tromper, je ne crois pas à une visite prochaine. Inutile de préciser que si l’agression avait lieu à l’encontre d’un autre commerce, les bonnes âmes se seraient précipitées à son chevet. Il ne fait pas bon être conservateur à Nancy.
ÉLÉMENTS : Que vous inspirent ces attaques à répétition. On gave les étudiants en journalisme et les apprentis en librairie de principes solennels, on y répète en boucle le mot de Henri Heine : « Là on l’on brûle des livres, on brûlera bientôt des hommes. » Mais en vérité on s’en fout, des livres… On peut les brûler à volonté dès lors qu’ils ne correspondent pas à la doxa dominante ?
ALEXIS FORGET. C’est la fameuse phrase du révolutionnaire Louis Antoine de Saint-Just : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » ; puisque perçus comme des ennemis du Progrès et de l’humanisme, nos droits ne sont pas les mêmes que ceux qui se situent du bon côté de la ligne. Il y a de facto, en France, une discrimination opérée par ceux-là même qui se réfèrent pourtant ad nauseam à la Constitution avec, en réalité, des citoyens plus égaux que d’autres, selon la célèbre formule.
ÉLÉMENTS : Vous avez déposé une plainte auprès du commissariat ?
ALEXIS FORGET. Bien sûr. Nous avons déposé plainte hier après-midi pour violence légère et vols avec dégradations. Ce ne sera que la cinquième plainte depuis un an. Peut-être les pouvoirs publics s’empareront-ils du sujet quand un cocktail Molotov aura été jeté dans le magasin… Après tout, ce sont les menaces entendues hier.
ÉLÉMENTS : L’aventure se poursuit plus que jamais ?
ALEXIS FORGET. Avec Sylvain, nous ne reculerons pas. La bêtise et l’ignorance ne serviront pas de prétextes à des barbares illettrés qui participent de la décadence de notre civilisation, aussi qu’ils continuent à agresser à piller : par leurs actions, la majorité habituellement silencieuse se réveille.