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« Les garde-fous qui contenaient autrefois la violence sociale ont sauté les uns après les autres! »

NICOLAS GAUTHIER. Après les « sauvageons » de Jean-Pierre Chevènement, voilà maintenant qu’on évoque, en haut lieu, l’« ensauvagement de la société ». Le fait que ce terme, employé par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, ait été emprunté au vocabulaire du Rassemblement national vous paraît-il significatif ?

ALAIN DE BENOIST : Comme Chevènement, Darmanin a visiblement voulu frapper les esprits. Mais il n’est pas exact de dire qu’il s’est inspiré du Rassemblement national. Marine Le Pen, à partir de 2013, a effectivement employé ce terme à plusieurs reprises, sans doute à la suite de Laurent Obertone qui avait publié, la même année, un livre intitulé Enquête sur un sujet tabou : l’ensauvagement d’une nation. Mais Obertone ne l’avait lui-même pas inventé. En 2005, la politologue Thérèse Delpech avait publié, chez Grasset, L’Ensauvagement : le retour de la barbarie au XXIe siècle. Beaucoup plus tôt encore, on retrouve le mot sous la plume de l’écrivain et poète martiniquais Aimé Césaire, selon qui la colonisation a « instillé dans les veines de l’Europe » le « progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent » (Discours sur le colonialisme, 1950). De son côté, l’historien George Mosse, évoquant la « culture de la guerre » née dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, a employé le mot de « brutalization », que l’on a traduit en français par « ensauvagement ». Nous sommes donc devant un terme auquel on peut donner des significations bien différentes.

Personnellement, le mot ne me plaît qu’à moitié. Pendant des siècles, on a traité de « sauvages » des cultures « primitives » qui étaient en fait, tout simplement, des cultures traditionnelles. Le mot « sauvage » (du bas latin salvaticus, altération du latin classique silvaticus) est, à l’origine, quasiment synonyme de « sylvestre » : il désigne l’homme qui vit dans les bois ou qui s’est exilé dans la forêt. Ce n’est qu’à partir du XIIe siècle que le terme prendra une connotation péjorative, pour désigner notamment les peuples germaniques : « la pute gent sauvage » dans la « Chanson des Saisnes ». Mais nous voilà loin de Gérald Darmanin !

NICOLAS GAUTHIER. Le second vocable relève d’un registre autrement plus grave que le premier. Cela signifie-t-il que la situation se soit aggravée ? Et comment définiriez-vous cet « ensauvagement » ?

ALAIN DE BENOIST : Il se caractérise comme une multiplication et une aggravation des actes de violence sociale : homicides, attaques à main armée, émeutes, cambriolages, harcèlement de rue, attaques au couteau, règlements de comptes entre gangs, etc., mais aussi d’une foule d’incidents plus ou moins graves (parfois même gravissimes), qui généralisent dans la population un sentiment croissant de peur et d’insécurité. Bien entendu, on nous explique que ce sentiment d’insécurité n’a rien à voir avec l’insécurité réelle. Vous remarquerez que les mêmes, en sens inverse, assurent que le simple fait qu’on puisse se sentir « racisé » en France est la preuve de l’existence d’un « racisme systématique » dans notre pays. Sur la réalité de l’insécurité, les chiffres sont pourtant parlants. Je vous renvoie aux travaux de Xavier Raufer, qui me paraissent irréfutables.

De façon plus générale, il est clair que, dans une société qui n’a plus aucun repère, les garde-fous qui contenaient autrefois la violence sociale dans certaines limites ont sauté les uns après les autres. L’immigration a encore aggravé tout cela, et s’y sont ajoutés également le laxisme judiciaire, les atermoiements des pouvoirs publics et l’omniprésence de la « culture de l’excuse ». Quand on respectait la loi autrefois, ce n’était pas uniquement par peur du gendarme (qui existait, bien sûr), mais aussi parce que de larges fractions de la population donnaient à la loi une valeur et une autorité objectives. C’est cela qui tend à disparaître aujourd’hui. La loi n’a plus de valeur prescriptive, mais seulement indicative, le seul problème qui se pose étant de savoir quel est le moyen le plus économique de la contourner. Et comme l’idéologie dominante nous répète qu’il faut avant tout faire partie des « gagnants » (les « premiers de cordée »), le choix des moyens pour y parvenir devient très secondaire.

NICOLAS GAUTHIER. De très nombreux commentateurs, excipant du précédent libanais ou du Camp des saints, le fameux livre de Jean Raspail, n’en finissent plus d’annoncer la guerre civile à venir. Vous y croyez, vous, à cette guerre civile ?

ALAIN DE BENOIST : Je crois à une aggravation de la situation actuelle, à la multiplication des troubles, des émeutes et des attentats. Je crois à la montée de la décivilisation et du chaos. Mais je ne crois pas à la « guerre civile », expression qui, chez ceux qui l’emploient, renvoie à une guerre « raciale » mettant aux prises deux catégories (allogènes et autochtones) de citoyens français (si ce n’était pas le cas, ce ne serait pas une guerre civile mais une guerre étrangère). Je note, aussi, qu’en général, ceux qui la prédisent avec le plus d’assurance sont aussi ceux qui la souhaitent le plus. D’abord, pour qu’éclate une guerre civile, il faut déjà que la police et l’armée soient divisées, ce qui n’est pas le cas. Il faut ensuite que, de part et d’autre, il y ait des dizaines de milliers de personnes décidées à prendre les armes, ce qui n’est pas le cas non plus. Dans un avenir proche, une guerre civile me semble beaucoup plus probable au Liban, qui en a déjà connu, voire aux États-Unis, où les deux principaux camps politiques ont atteint, aujourd’hui, un niveau de détestation mutuelle que l’on n’avait pas connu depuis la guerre de Sécession.

Source : Boulevard Voltaire

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