Xavier Eman : « Ma relation passionnée avec les puces de lit »
Si je n’ai jamais eu d’animaux de compagnie au sens où on l’entend ordinairement, j’ai noué par le passé une relation aussi passionnée qu’irritante avec une espèce zoologique trop souvent négligée par les écrivains et passablement dénigrée par le commun des mortels : les puces de lit. Si je dois avouer que la rencontre avec ledit animal a été à l’origine aussi involontaire que fortuite, force est de reconnaître qu’elle a changé ma vie durant plusieurs mois avant qu’un déménagement professionnel ne mette un terme à l’aventure que l’on pourrait presque qualifier de sentimentale tant la présence de la bête occupait une place importante dans mon esprit, jusqu’à en devenir obsessionnelle. De nuits entières passées, ivre de fatigue, à traquer sa présence ou la trace de son passage aux journées somnolentes la retrouvant en songes angoissés, la tête écrasée sur mon bureau sous l’œil scandalisé de mes collègues, en passant par d’innombrables réveils en sursaut sous l’effet de ses morsures cruelles et gourmandes, ce n’est pas sans un léger pincement au cœur que je repense à cette époque de fréquentation intime du règne animal. Depuis lors, sans doute échaudé par l’intensité de cette ancienne, et légèrement honteuse, relation, je n’ai plus ouvert mon lit qu’à des bipèdes.
Christophe A. Maxime : « Mon ami le cabri »
Sophie Calle collectionne des animaux empaillés associés à un proche : le loup à son galeriste Emmanuel Perrotin, le zèbre à Daniel Buren, le tigre à son père, le singe au fiancé et le petit oiseau à son éditeur Xavier Barral. Je n’ai ni animal empaillé ni bête de compagnie mais, enfant parisien, je cohabitais dans la Manche avec un chevreau du cultivateur voisin. En 1985 la ruralité se vivait plus dense, quotidienne et charnelle, la région du Mont-Saint-Michel pas encore figée en carte postale. Le petit cabri cocasse et sautillant incarnait ce lien direct au réel, la joie profonde d’une harmonie vitaliste. Zeus enfant fut nourri par une chèvre avec ses cornes d’ambroisie. En Chine, elle représente la sécurité, la maison, l’amour des arts. Elle donne aussi son lait d’hydromel aux guerriers d’Odin du Valhalla. Quoique symbolisant dans les rêves agilité, obstination, liberté, robustesse et franc-parler, le cabri fut renvoyé à la ferme pour avoir dévoré les rosiers de ma grand-mère.
Nicolas Gauthier : « Mouflette, le non-chat »
Mouflette est une chose velue et ronronnante qui tente désespérément de se faire passer pour un félin. Il est vrai que cette créature inepte ayant été recueillie avant d’être sevrée, il a fallu la nourrir au biberon. Donc, pas de mère pour lui apprendre à évoluer en milieu hostile. D’où sa crainte maladive des oiseaux et de tout ce qui peut, de près et de loin, ressembler à la nature. Un jour, elle chassait une taupe, bestiole dont la légendaire vélocité devait, tout du moins l’espérais-je, être à peu près proportionnée à ses capacités physiques. Mais, au lieu de croquer tout vif le prédateur des pelouses, elle a préféré lui lécher le museau en se disant : « Chouette ! Une nouvelle copine ! » Depuis, la famille Gauthier a admis le fait que Mouflette ne serait jamais un vrai fauve, pas plus que ses griffes ne deviendraient des instruments de mort. Pour lui donner confiance, il a été tenté de la lancer dans le showbiz. Ainsi a-t-elle fait la une de l’avant-dernier numéro du bimensuel Flash. Dieu merci, elle n’en a pas pris la grosse tête pour autant et continue de mener une vie des plus simples. Ce chat n’en est pas un ; mais pour rien au monde je n’en voudrais d’autre.
Emeric Cian-Grangé : « Bébert ne croyait pas en Dieu, c’était un pur et dur »
« Un chat c’est l’ensorcellement même, le tact en ondes… » notait Céline. C’est en hommage au greffier le plus célèbre de la littérature française que j’ai baptisé mon premier chat Bébert, un corniaud roublard qui, à la différence de son lointain cousin, n’a pas fait de vieux os. Piqué à l’insuline matin et soir les deux dernières années de sa vie, c’est sans tralala que le gracieux félin a rendu son dernier souffle, sa patte dans ma pogne. Affranchi, Bébert ne croyait pas en Dieu, c’était un pur et dur. À l’inverse de Loki et Misty, deux siamois adoptés quelques mois après la mort du mécréant, dévots et cabots en diable. Très sociables et affectueux, ces mistigris ne vivent que pour les chatteries. Et la becquetance, faut être juste. La femelle, comme ma gamine, ne sait pas tenir sa langue, il nous arrive d’avoir de longues conversations. Taiseux, le mâle ne miaule pas pour ne rien dire, c’est concis. On s’aime bien tous les trois, nous sommes sur la même longueur d’onde…
David L’Épée : « L’individualisme farouche de mes deux chats fait écho au mien »
Mes deux chats sont nés dans les terres bénies du Val-de-Travers (comme Rougemont) et ils s’apprêtent à y retourner et à m’y suivre en exil (comme Rousseau). Ils ont la chance – que leur envient les hommes – d’être à la fois frères jumeaux et profondément dissemblables puisqu’ils sont nés d’une même portée mais d’un père différent. Le tigré s’appelle Zarathoustra et le noiraud Bombadil : deux figures littéraires de solitaires, de montagnons païens ayant fait de leur folie une sagesse. Le premier, très conventionnel et fidèle à sa race, chasse et raffole de la viande, tandis que le second, plus excentrique, leur préfère les fruits, les légumes et tout ce qui a la couleur rouge. Les chats ont souvent été les compagnons privilégiés des écrivains, c’est leur cas : apaisants par leur nonchalance, décoratifs par leur félinité, leur individualisme farouche fait écho au mien, ils n’ont pas besoin que je les promène comme je n’ai pas besoin qu’ils me dictent ce que j’ai à écrire.