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Complots

L’enquête d’Éléments : « Oui aux complots, non au complotisme ! »

Impossible d’ouvrir son journal sans tomber sur la « théorie du complot ». Les complots n’existeraient pas : c’est une invention de l’« extrême droite », de Vladimir Poutine et des Gilets jaunes. La bonne blague ! "Éléments", dans sa dernière livraison, a enquêté…

ÉLÉMENTS : Que répondez-vous à ceux qui voient des complots partout et à ceux qui n’en voient nulle part ?

FRANÇOIS BOUSQUET. Il y a deux écueils où on s’enlise facilement dès qu’on aborde ce vaste continent du complot. En voir partout – c’est la tentation des mythos et des paranos. En voir nulle part – c’est le réflexe des chiens de garde du Système. Les premiers ont trouvé refuge sur Internet. Les seconds plastronnent dans les médias centraux et font la leçon à la terre entière. Quitte à choisir, on est en droit de préférer les premiers : au moins ont-ils pour eux d’être drôles. Mais à y regarder de plus près, c’est blanc bonnet et bonnet blanc. Les uns ne voient que des complots, les autres que des complotistes. C’est la fameuse « théorie du complot ». Elle fonctionne comme un piège rhétorique, puisqu’elle postule qu’il ne saurait y avoir de complots, sinon théoriques. C’est peut-être cela, le complot : parvenir à faire accroire que les complots n’existent pas. Cette théorie tombe également sous la critique du complotisme à un autre titre : celui d’insinuer qu’il y aurait un complot des complotistes, ce que François-Bernard Huyghe appelle le « méta-complot ».

ÉLÉMENTS : Quelle différence faites-vous entre « complot » et « complotisme » ?

FRANÇOIS BOUSQUET. Le complot renvoie à une réalité historique. L’histoire est jalonnée de complots, qui réussissent ou qui échouent, de l’assassinat de César à la destruction de l’Ordre du Temple, de la première guerre du Golfe à la seconde. Le complotisme lui s’adosse à un imaginaire conspiratif qui se tient aux portes du réel, dans des quatrièmes dimensions fantaisistes ou fantasmatiques. Il a pris la suite des divinités maléfiques dans la croyance populaire, cherchant partout la main du Diable, les forces occultes qui présideraient aux destinées du monde. C’est ce que Léon Poliakov a appelé d’une formule saisissante la « causalité diabolique ». Poliakov est parti d’une réflexion d’Albert Einstein : « Les démons sont partout, il est probable que d’une manière générale la croyance dans l’action des démons se trouve à la racine de notre concept de causalité. »

ÉLÉMENTS : Dans son livre Critiques, théoriques (L’Âge d’Homme, 2003), Alain de Benoist a pu évoquer une « psychologie du conspirationnisme »…

FRANÇOIS BOUSQUET. L’imaginaire du complot se nourrit de la psychologie du conspirationnisme, et réciproquement. L’imaginaire du complot a ressurgi après l’assassinant de JFK et plus encore après le 11 Septembre. Viral, le complot est devenu mondial, en haut débit et libre accès. Il s’est trouvé renforcé par la crise de légitimité des médias centraux, jamais avares en mensonges. La « psychologie du conspirationnisme », comme l’a démontré Alain de Benoist, examine l’histoire du monde comme l’action souterraine de forces occultes : les initiés supérieurs, les Juifs, les jésuites, les francs-maçons, etc. Le complotiste en est l’interprète – illuminé ou allumé.

ÉLÉMENTS : Vu du petit bout de la lorgnette – du passeport de Mohammed Atta à la carte d’identité des frères Kouachi –, le monde finirait presque par ressembler à un immense complot ?

FRANÇOIS BOUSQUET. Pour le complotiste, il y a toujours quelqu’un derrière, jamais quelque chose. Il se focalise sur les hommes et ignore les processus sans acteur et les procès sans sujet, pour reprendre une grille d’analyse chère aux structuralistes marxistes, plus spécialement à Louis Althusser. Il ignore les effets impersonnels des structures, les logiques systémiques, le poids des déterminations sociales, la dynamique des systèmes, leur autonomie et leur inertie, les interactions entre les acteurs. Cela fait beaucoup.

ÉLÉMENTS : La rédaction d’Éléments s’est livrée à un exercice amusant : recenser les 33 degrés du complot, des plus loufoques à ceux qui ont réellement la face du monde…

FRANÇOIS BOUSQUET. C’est un peu l’inventaire à la Prévert du complotisme. Pour le romancier kafkaïen, pour l’adepte de la Pataphysique, pour l’amoureux du Docteur Faustroll, pour l’inconditionnel du Père Ubu, se plonger dans l’imaginaire du complot est une volupté de fin gourmet, comme dirait Courteline. Alchimie, récentisme, reptilomania (le méga-complot des reptiliens), civilisations disparues, rosicruciens, ufologie, calendrier maya, pseudo-histoire, magie noire, etc. C’est jou-is-sif ! Et le mieux, ou le plus drôle, si on préfère, c’est qu’il en va de même des anti-complotistes. Songez à Christophe Castaner, songez à la manière dont les éditorialistes dépeignent Poutine, le Génie du Mal, entre Nosferatu et Fantômas. La boucle est ainsi bouclée.

Notre dossier complet dans Éléments n°181

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