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Le trumpisme, un courant qui est là pour durer dans le paysage politique américain

Le scrutin américain, même s'il n'a pas livré ses résultats, a démontré la capacité de Donald Trump à mobiliser ses troupes autour du « trumpisme », un style, une notion et un contenu que détaille le professeur de civilisation américaine François Vergniolle de Chantal.

THE CONVERSATION. Personne ne s’attendait à des résultats si serrés, encore moins à ce que le président sortant Donald Trump augmente sa cote de popularité auprès de certaines portions de l’électorat. Comment l’expliquer ? Est-on là face à un objet politique, le trumpisme, qui défie les pronostics ?

FRANÇOIS VERGNIOLLE DE CHANTAL : C’est en effet une nouvelle qui met un terme à une ligne d’analyse qui était dans l’air depuis quatre ans, à savoir que l’élection de Donald Trump en 2016 était un accident, qu’il avait été élu de justesse dans quelques États du Midwest et en Pennsylvanie, qu’il avait perdu de trois millions de voix le vote national et ne devait sa victoire qu’à l’archaïsme que représente le Collège électoral. Sa performance en 2020 montre que le « trumpisme » correspond à des tendances de fond de la société américaine et notamment de la communauté blanche. Les sondages de sortie des urnes indiquent que 57 % des Blancs ont voté pour Donald Trump le 3 novembre, ce qui ne dit rien du vote par correspondance.

Donald Trump joue sur les craintes de la majorité blanche pour tenter de la rallier à sa cause, cela fonctionne. C’est vrai dans les banlieues (les « suburbs ») et chez les personnes de plus de 65 ans qui, jusqu’à présent, étaient présentées par les observateurs comme des électorats qui allaient s’éloigner du président à cause de son extrémisme (les électeurs des banlieues étant généralement présentés comme des modérés) et de sa gestion de la crise de la Covid.

Les sondages ont encore du mal à identifier les électeurs de Donald Trump qui, notamment dans les sondages faits par téléphone, ne disent pas pour qui ils vont voter en réalité. Les sondeurs ont pourtant appris du cycle de 2016, mais visiblement pas assez. Quant aux Latinos, c’est un électorat très divers ; a priori, seuls les Latinos de Floride (à savoir des Cubains d’origine, généralement conservateurs) ont suivi le candidat républicain. Il faut néanmoins se garder d’essentialiser les catégories, surtout avec un candidat très polarisant comme Trump, qui personnalise le pouvoir à outrance.

THE CONVERSATION. Le trumpisme est analysé depuis plus de quatre ans maintenant. Comment le définit-on concrètement ? Est-ce un ensemble de politiques, un style, une idéologie ? Le tout pouvant se poursuivre et s’amplifier avec ou sans Donald Trump ?

FRANÇOIS VERGNIOLLE DE CHANTAL : Le trumpisme est d’abord un style : un refus des intermédiaires et des compromis, une rhétorique très simple et directe, un refus des idéologies et de leurs sophistications, un enthousiasme pour le leader. Mais le trumpisme n’est pas simplement un style, c’est aussi un contenu. Après quatre ans de présidence, le trumpisme a pris corps. Il s’appuie sur ce qu’on appelait le « paléoconservatisme » dans les années 1990, une sorte de refoulé du conservatisme, fait de nationalisme, de fierté blanche et de recherche de boucs émissaires. Trump a rendu ce discours, jusqu’à présent caché, mainstream. Il a utilisé la « politique identitaire » (identity politics) à son profit pour mobiliser la communauté blanche, et notamment les plus modestes mais pas seulement. Il a donc, comme le dit l’historienne Sylvie Laurent, « politisé une subjectivité », celle de la crainte des Blancs les plus pauvres, dans le contexte plus général d’une société diverse et multiculturelle. Cet héritage est là pour rester. Même si Trump perd au final l’élection de 2020, son résultat, qui n’a rien d’une déroute, montre que ce mouvement est là pour rester.

THE CONVERSATION. Voyez-vous des angles morts, des réalités de terrain qui échappent aux analyses des grands médias voire de cercles académiques, qui nous permettraient de mieux appréhender ce succès de Trump et de ses idées ?

FRANÇOIS VERGNIOLLE DE CHANTAL : En plus des approximations des sondages, on a généralement tendance à sous-estimer deux choses. D’abord, l’enthousiasme des électeurs de Donald Trump pour le héros, en dépit de tous les scandales qui l’entourent. On parle souvent d’un fan-club et c’est vrai. Il y a un lien symbiotique ici qui échappe aux sondeurs. Par ailleurs, Trump bénéficie, notamment auprès d’électeurs minoritaires (Latinos), d’une aura de succès. Il incarne le « rêve américain », une forme de virilité conquérante aussi, et cela plaît à certains électeurs et électrices.

THE CONVERSATION. Qui incarne le trumpisme désormais, au-delà du président sortant ? Voit-on une relève émerger, de la même manière qu’il existe une relève dite de gauche ?

FRANÇOIS VERGNIOLLE DE CHANTAL : Il va y avoir problème de leadership au sein du Parti républicain. Donald Trump semble avoir écrasé toute concurrence en interne. Il y a plusieurs élus au Congrès qui ont adopté une ligne et un style « trumpiens » : Tom Cotton (sénateur d’Arkansas) ou Josh Hawley (sénateur du Missouri). Mais aucun d’entre eux n’a la visibilité nécessaire pour l’instant. De plus, Trump représente un outsider : c’est comme ça qu’il a construit sa personnalité politique, notamment en brisant systématiquement toutes les normes du débat public.

C’est pourquoi la relève devra être assurée par quelqu’un qui s’inscrit dans une ligne similaire et qui n’a pas de long parcours dans la vie publique. A priori pas Mike Pence mais plutôt des figures médiatiques ou des personnalités issues de la société civile. Évidemment, le problème de la relève, en cas de défaite démocrate, ne se posera pas que du côté républicain. Les démocrates progressistes ont accepté la candidature Biden, faute d’un meilleur candidat pour une victoire du parti – ainsi leur a-t-on expliqué. Si Joe Biden perd, les progressistes chercheront à prendre la main sur le parti, ce qui posera de manière crue la question du leadership, faute d’une figure conciliatrice.

Source : The Conversation

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