En 2022, Patrice Jean a fait paraître un court roman aux renaissantes éditions Rue Fromentin, chez qui il avait publié ses premiers romans (de La France de Bernard à Tour d’ivoire). Qui mieux que ce professeur de français en lycée pour nous dépeindre les coulisses de la salle des profs, les relations entre enseignants, leurs ambitions et guerres internes ?
Bruno Giboire, 35 ans, est en passe d’accomplir son rêve : devenir professeur de lettres. Après une formation accélérée de deux mois et un été passé à préparer ses cours, le jour de la rentrée est arrivé au lycée André Malraux de Nantes. C’est gonflé d’illusions et de motivation que Bruno entame l’année scolaire : « La nuit, il rêvait qu’il rendait des copies à une classe de seconde, en félicitant chaque élève ; parfois, des applaudissements intempestifs interrompaient sa leçon, pour honorer une démonstration grammaticale, un mot d’esprit ou une envolée lyrique. »
Évidemment, rien ne se passe comme il l’avait imaginé, et Bruno découvre l’envers du décor de la vie enseignante (professeurs peu motivés, élèves peu concernés). Mais ça ne remet pas en cause ses idéaux et sa soif de transmission à tel point que les appels érotiques de sa collègue le laissent de marbre. Entre le sexe et la pédagogie, Bruno a fait son choix : « Pouvait-on mettre sur le même plan des acrobaties charnelles, ponctuées par un spasme gluant, avec le sérieux d’une discussion sur les alertes du principe d’éducabilité ? »
Il maîtrise parfaitement les objectifs et la novlangue pédagogiques, sorte de dialecte parallèle que seuls des cerveaux des hautes sphères savent inventer : adieu la leçon, trop formelle, place à l’acquisition des apprentissages et à la valorisation des compétences. A travers ses personnages du jeune enseignant idéaliste et de l’inspecteur académique sûr de lui-même, Patrice Jean moque le pédagogisme et sa prétention scientifique.
Nouvelle querelle des anciens et des modernes
Une drôle d’affaire va éclater et diviser le corps enseignant en deux camps opposés : le lycée possède une œuvre d’art (statuette khmer rapportée du Cambodge par Malraux et offerte au lycée) que certains veulent vendre pour financer un atelier pédagogique et citoyen consacré aux luttes contre les discriminations. D’autres, défenseurs de l’art, souhaitent la garder. Une lutte acharnée et drolatique où tous les coups sont permis va avoir lieu entre gentils progressistes et affreux réactionnaires, avec des conséquences fâcheuses dont certains ne sortiront pas indemnes.
Ce roman, satire de l’enseignement idéologisé, moque allègrement les professeurs politisés, conformistes, auditeurs de France Inter et lecteurs de Télérama. L’auteur règle ses comptes avec l’omniprésence de l’idéologie dans les salles de profs et de cours, où les enseignants se servent de leur statut pour faire passer leurs idées politiques et visions du monde.
Les romans qui soutiennent l’esprit du temps sont de l’anti-littérature, ce pamphlet camouflé en amusante fable n’en fait radicalement pas partie. Chers lecteurs, cet été rééduquez-vous avec Patrice Jean !
Rééducation nationale, Patrice Jean, Rue Fromentin, 144 p., 17 €.