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Nadeau

Le groupe Nadau ou le Mai 68 identitaire

Quasi anonyme au nord de la Garonne, le groupe Nadau fête cette année les cinquante ans d’une carrière qui l’a érigé en parangon du renouveau de la culture occitane. Retour sur ces enfants de Mai 68 devenus les gardiens de la mémoire d’une patrie où le réel, dans sa brutale simplicité, règne en maître dans le cœur des Hommes. Un portrait de Valentin Schirmer, rédacteur en chef adjoint de « Tocsin » et auteur du « Plus beau pays du monde » (Le Verbe Haut).

Michel Maffrand est professeur de mathématiques à la ville. Sur scène, il se fait appeler Joan de Nadau. Authentique fils de la génération des baby-boomers tendance gauchisme universitaire, il compte au titre de l’un de ses premiers héritages culturels, la protest song américaine qui gazouilla ses heures de gloire sur le gazon de Woodstock. A priori, rien de quoi enthousiasmer un lecteur d’Éléments. Pourtant, la France lui doit, pour une large partie, la résurrection de la culture béarnaise en particulier, et la poursuite acharnée d’un combat identitaire régionaliste en général.

Il est vrai que Joan n’appartient pas à la frange la plus médiatisée du mouvement soixante-huitard. Alors que Daniel Cohn-Bendit soulève les campus franciliens dans l’espoir, un jour, de se faire taquiner la braguette par des prépubères, au moment même où les ouvriers regagnent leurs usines en chantant leurs futures vacances au Crotoy, Michel Maffrand n’espère que « vivre et travailler au pays ». Égaré dans une France jacobine qui faisait avaler du savon à sa grand-mère pour la laver d’un patois indigne de l’égalité républicaine, il partage rapidement sa quête mémorielle avec Ninon Paloumet, sa future épouse, et Jacques Roth, un jeune instituteur de l’École normale de Tarbes. Le trio se fera, vingt ans durant, le cœur névralgique du groupe Los de Nadau (Ceux de Noël), qui deviendra Nadau au milieu des années 80 peu avant le départ de Jacques. Portés par la vague de la « nouvelle chanson occitane », les trois jeunes maîtres d’école vont alors apprendre le béarnais et se tourner vers la musique pour célébrer leur identité première, celle d’une terre de bergers taillés dans la montagne. Aux instruments traditionnels occitans, aux textes nourris par ses racines retrouvées, le groupe associe bientôt des classiques du folk rock venu d’outre-Atlantique. Il accouche alors d’une formule unique où la batterie s’engueule avec l’accordéon, la guitare électrique avec l’harmonica.

Le peuple des clochers

Si ce style américanisé, doublé d’un message d’ouverture et d’universel progrès, destine d’abord Nadau à rejoindre la fosse mitterrandienne des artistes sceptiques, il n’en sera rien. Fidèle, avant tout, à une parole libre et sincère, la plume de Joan va peu à peu refouler les slogans idéologiques pour ne plus louer que la somme d’instants de vérité qui font le sublime d’un pays. Son passé militant ? Voici ce qu’il en dit dans une interview :

« Il y a peut-être eu des calculs idéologiques de notre part dans les années 1975. On vit par séquences. Comme disait l’autre, “Je ne renie pas mes couches culottes mais je n’en porte plus.” »

Que chante Nadau désormais ? Un lac de montagne, la routine matinale d’une épouse, un repas partagé avec ses vieux, un bal de village. Michel Maffrand récuse l’appellation de poète. Il se veut photographe. On croirait ses vers soufflés par des troubadours échappés de siècles médiévaux. Toute son œuvre s’empreint d’une sérénité paysanne qui accable l’âme de vagues rêveuses. On se voit alors assaillir les pentes de la montagne, mener les chèvres à la traite, siffler son patois à travers les collines. On s’imagine le fils d’une race besogneuse, au regard droit et aux mains épaisses. On sait l’éloquence du silence, on éprouve la poésie contemplative du vivant. En somme, on devient, l’espace de quelques notes aux accents millénaires, un homme libre, un monarque qui troque la couronne pour le béret.

Si une civilisation se reconnaît à ce qu’elle produit d’éternel, l’œuvre de Nadau est authentiquement civilisationnelle. Qui n’imaginerait pas Henri IV fredonner les airs de L’encatada, ou de De cap tà l’Immortèla ? Joan puise ses apophtegmes dans les profondeurs rustiques des sociétés villageoises. « On est tous du pays de ceux qui nous ont aimé », « Il y a ceux qui vivent avec le verbe “être”, et ceux qui vivent avec le verbe “avoir” », sans oublier la terrassante : « L’identité, c’est l’ombre qu’on a. On croit que ça sert pas à grand-chose, pourtant, quand il y a plus d’ombre, c’est qu’il y a plus de Soleil ». Et quand le berger du verbe ne verse pas dans la sagesse des anciens, il se fend d’une auto-dérision à faire s’esclaffer un mort : « Avant, quand j’étais jeune et que je mangeais du saucisson, j’avais du saucisson qui me restait dans les dents. Maintenant, c’est le contraire. ». De libertaire, il est devenu réac, pourfendant les moralistes qui veulent en finir avec le tabac et le gras de cochon. Le professeur républicain qu’il était à 18 ans, rêvant à Gavroche et au Che Guevara, vieillit désormais ses jours à l’ombre tranquille des murs de Luret, le village de ses grands-parents, où il se recueille seul dans la chapelle, au son de sa cornemuse. Le Commingeois s’est fait luchonnais, l’instituteur s’est fait paysan, et déjà, une étoile de bon sens éclaire un peu moins faiblement le ciel ébène de cette époque qui se consume et se consomme à la fois.

Loin du folklore

De là à devenir le cliché ambulant qu’on attend de lui, il y a un pas déshonorant que Joan se refuse à franchir. Son combat identitaire est un combat d’authenticité, et le succès de son groupe ne tient pas en une image d’Épinal. La folklorisation des identités régionales est même, pour lui, le symptôme d’une crise existentielle, qu’il baptise, dans la langue caustique qu’on lui connaît, le « syndrome des trois plumes au cul » :

« Il faut sortir de la carte postale sinon on est plus que des paradis pour touristes où on n’existe plus qu’au travers du regard de l’autre, on n’existe plus par nous-mêmes. 90 % de la France n’existe qu’à travers le regard de l’autre et aucun homme politique n’en parle. […] Avant l’économique, il y a l’Identité et la Mémoire. Il faudra longtemps pour que l’on retrouve l’Existant. »

Voilà ce qu’est Nadau. Un pèlerinage d’un demi-siècle vers les altitudes aristocratiques de la paix intérieure. Une revendication contestataire qui a muri au fil des albums, pour finalement se suffire à elle-même, et revenir à la droiture du peuple des clochers. Et de nos jours, quand un chœur d’amis trouble la nuit d’un Mon Dieu que j’en suis à mon aise, quand Dax entame L’encatada dans la fureur des férias, quand un randonneur chante le Saussat pour la Lune seule, une certitude éclate au zénith de notre raison : le premier combat qu’il nous revient de mener est celui de restaurer, à l’ombre paisible des bâtisses millénaires, la souveraine simplicité des rapports humains.

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