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Le féminisme à l’épreuve du rap

Où sont les féministes pour s’indigner d’un rap, non pas simplement misogyne, mais ordurier et putassier – c’est le cas de le dire –, où les femmes ne sont plus que des objets, sex toys à part entière, tout juste bonnes à prendre et à jeter ? Aux abonnées absentes. Il y a là pourtant matière à soulever le cœur d’une Caroline De Haas, mais son silence, le sien et celui des féministes, est éloquent. Tentative d’explication.

J’vais rentrer au pays
Marier quatre grognasses qui m’obéissent

Booba

Je connais bien le rap. Enfant des années 80 et né en HLM, j’étais le « public cible » lorsqu’il a commencé à se développer chez nous. C’était la musique du « ghetto », et apparemment ma cité en était un. Mes voisins en écoutaient. Mon frère aussi, qui faisait des pompes dans sa chambre en écoutant en boucle les premiers albums d’IAM. Benny B, Alliance Ethnik, Doc Gynéco et le Secteur Ä, Oxmo Puccino, Lunatic, NTM bien sûr : j’ai tout écouté et retenu. Je n’ai plus écouté de rap pendant quinze ans. Mais j’en écoute à nouveau depuis quelques années. Parce que j’écoute tout, je lis tout, je regarde tout, car j’estime que rien de ce que l’époque produit ne doit m’être étranger. Et puis pour le sport, la salle en particulier, je ne sais rien de mieux que le rap, en tout cas celui, aujourd’hui concurrencé par d’autres, qui déborde de testostérone. C’est à moi que la NRF aurait dû commander un papier sur Booba.

Des grognasses toujours coopératives

L’autre jour à la salle, justement, l’algorithme de YouTube balança dans mes oreilles le titre d’un certain Tovaritch. Je le connais à peine, celui-là. Il est original, pourtant : il est Blanc. Enfin, depuis Orelsan au milieu des années 2000, les Blancs sont de plus en plus nombreux dans le rap game. Mais ils sont généralement cantonnés aux genres loufoque (Vald, Lorenzo) ou mélancolique-engagé (Nekfeu, Lomepal, Gringe) – depuis peu existe en outre le genre gay, avec Eddy de Pretto, Blanc des cités qui, comme Édouard Louis, le transfuge de classe le plus zarbi de toute l’histoire, ne rate jamais une occasion de vomir sur ses parents, dont un père camionneur accusé de perpétuer des « stéréotypes de genre » – pauvre homme. Rares sont ceux qui, comme SCH ou PLK, parlent de calibre, de putes et de TMAX. Les Blancs font plutôt du rap de boloss, de victime, de fragile, tous synonymes de Blanc aux yeux des jeunes. Jamais vous ne verrez un jeune en train d’écouter Lomepal ou Orelsan – ce serait « la h’chouma, frère ». D’ailleurs, quoique Blanc, Tovaritch est d’origine russe – et se considère comme Russe, et l’est peut-être d’ailleurs, mais dans cas que fout-il en France ? les Russes aussi peuvent être réfugiés politiques ? –, SCH insiste sur le fait que son père est Allemand, Seth Gueko se définit comme Gitan et semble s’être converti à l’islam, et PLK est une contraction de Polak, le garçon brandissant ses origines polonaises – oui, je lis aussi les interviews. Les rappeurs blancs qui versent dans le comique et le sombre sont libertaires ; il n’en est pas un qui oublie de faire au moins un titre pour dénoncer le RN, les fachos, les « violences policières ». Les rappeurs blancs qui font dans le viril doivent, pour leur crédibilité, se trouver des origines étrangères ; politiquement, ils sont libéraux (glorification de l’individu et du fric) et islamogauchistes, incarnant parfaitement le principe d’intégration à l’envers.

Le silence embarrassé des féministes

Mais je reviens à Tovaritch. Dans son titre Cocktail, il dit d’une femme qu’« elle est prête à me sucer pour 1 g », « Elle veut un mari, que je la marie / Elle n’aura rien à part le martinet» et « Sur ma bite, elle fait du dada» – il y en a plein d’autres, dont d’infiniment plus corsées – j’ai vérifié. C’est l’une des caractéristiques du rap énervé : sa misogynie vulgaire et assumée. Chez Booba, Damso, Kalash Criminel et les autres, les femmes font la cuisine, torchent les gosses et sucent sur le canapé. Dans nombre de leurs clips, des filles presque à poil et en nage, pas très branchées Hegel a priori, prennent des poses lascives. À défaut d’être leur apanage, ce sous-genre très populaire est essentiellement celui des représentants de la diversité – ils déclinent les mots « pute » et « salope » dans toutes les langues africaines. Dans l’univers de ce rap-là, les femmes sont des objets. Pourquoi pas. Mais on doit s’étonner de ce que les féministes, tellement vigilantes, traquant tellement le moindre « dérapage » ne s’offusquent jamais des paroles des rappeurs – de même que les associations LGBT, le rap en question étant également homophobe, comme on dit. Si, une fois, les féministes hurlèrent : c’était vers 2007, à cause du titre Sale pute d’Orelsan – qui était alors l’un des seuls Blancs de la scène rap française. Pourquoi ce silence ? Pourquoi, au lieu de s’écrier, de pétitionner, de lancer des hashtags courroucés sur Twitter comme elles ont l’habitude de le faire, les féministes se taisent et, pire encore, les néo-féministes, sur les réseaux sociaux, disent souvent leur passion pour ce rap qui draine des valeurs opposées à celles qu’elles revendiquent avec une inextinguible ardeur ? Pour deux raisons, il me semble.

L’ennemi, c’est le patriarcat blanc

La première est idéologique. Les rappeurs ne sont pas les bons coupables, les bons machos, les bons « porcs ». En effet, pour les féministes old school à la Badinter, héritières des Lumières, les rappeurs africains – c’est eux-mêmes qui se définissent ainsi, agitant drapeaux algérien, guinéen, congolais, ivoirien, ne redevenant Français, le temps d’un entretien, que pour accabler la France – sont africains, c’est-à-dire des « bons sauvages ». Leur philosophie, qui se résume aux droits de l’homme, leur interdit de juger les autres cultures1. L’Autre les fascine : c’est physique. Pour les néo-féministes, les « intersectionnelles » fanatiques du genre, le rappeur africain est Africain, c’est-à-dire dominé, donc un allié objectif du terrorisme intellectuel et sociétal qu’elles pratiquent là où elles jouissent pourtant de plus de droits que nulle part ailleurs dans le monde. Caroline De Haas, qui incarne cette mouvance, est bouleversée par un « mademoiselle » dans un formulaire administratif, mais un « suce, salope, et fais-moi à manger » dans un titre de rap, ça l’indiffère. L’ennemi, l’unique ennemi, c’est le patriarcat blanc, qui bat pourtant sacrément de l’aile, qui agonise, même. Il y a de cela deux ans peut-être, le Planning familial de je ne sais plus où (Marseille ?), très sur cette ligne, avait carrément refusé de dénoncer la pratique de l’excision parce que la dénonciation eût été « stigmatisante » pour les populations concernées.

La seconde raison, plus fondamentale, est d’ordre psychologique et même anthropologique – et elle réunit les deux féminismes, d’ailleurs beaucoup moins opposés qu’on a envie, pour se rassurer, de le croire à droite. Qui a un tant soit peu l’expérience des femmes sait combien elles méprisent la faiblesse. Nous ne sommes jamais complétement sortis de Chauvet. Shit test : les masculinistes anglo-saxons nomment ainsi la tentative de déstabilisation/vérification exercée par les femmes sur leurs (potentiels) compagnons afin de voir ce qu’ils ont dans le ventre. C’est une modalité de la sélection naturelle en action. Tous les hommes d’avant – et ils sont encore nombreux – voient très bien de quoi il s’agit. Les femmes aiment qu’on leur résiste. Aussi, il est possible que le féminisme sous toutes ses formes ne soit qu’un gigantesque shit test, un shit test à l’échelle d’une civilisation, rendu possible par la radicale révolution culturelle des années 60-70 qui, lorsque les historiens du futur observeront notre temps, sera placée à juste titre très au-dessus de celles qui peuplent encore aujourd’hui nos manuels.

Des mâles de substitution

Face à ce phénomène, les Blancs, les mâles autochtones, assommés par une propagande de chaque instant, objet de toutes les campagnes contre les « violences faites aux femmes », concurrencés sur leur propre sol dans leur fonction anthropologique élémentaire, se soumettent. (Récemment, dans Libération, témoignaient des hommes « non-binaires » et même « déconstruits » revendiqués. Consultées sur leur cas, des féministes se moquaient d’eux.) Il faut donc des mâles de substitution. Les Africains résistent, eux. Ils arrivent dans l’ignorance la plus totale des nouveaux codes et les rejettent d’emblée, avec la sérénité d’un bon père de famille. Et ça plaît. Le Grand Remplacement est aussi une grande pénétration. Dans les cagnottes en ligne des associations pro-migrants, style Utopia 56, on trouve une écrasante majorité de femmes. C’est la moitié des millions d’auditeurs de rap, genre qui vend aujourd’hui le plus, et de loin, dans notre pays.

1. Sur ce paradoxe fondamental et surmonté par notre modernité, on ne saurait trop conseiller la lecture de La loi naturelle et les droits de l’homme du génial Pierre Manent.

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