Selon les époques, il est des lectures plus nécessaires que d’autres. En nos temps de totalitarisme sanitaire soft, la méditation du Discours de la servitude volontaire de La Boétie ou de La Ferme des animaux de George Orwell semble parfaitement indiquée. Le Discours sur le courage de Johann Gottlieb Fichte fait aussi partie, indéniablement, de ces lectures hautement salutaires.
De ce côté-ci du Rhin, Fichte (1762-1814) a été depuis longtemps oublié. Grand nom de la philosophie allemande, Fichte jettera les bases du patriotisme allemand, plus tard dévoyé en nationalisme belliciste. Il est vrai qu’il demeure aujourd’hui, dans la pensée européenne, comme le père du pangermanisme. Ce serait oublier qu’il fut un des chantres de l’universalisme et admirateur de la Révolution française. Comme le précise, à juste titre, François Bousquet, dans la préface à la réédition de ce texte majeur, « après la campagne de Prusse, il ne renoncera pas tant à l’universalisme qu’il le nationalisera ; il ne se détournera pas tant de la Révolution française qu’il la germanisera. L’universalisme et la Révolution passeront sous pavillon allemand. »
Le Discours sur le courage constitue la dernière des quatorze conférences des célèbres Discours à la nation allemande prononcés à Berlin, durant l’hiver 1807-1808, entre le 13 décembre et le 20 mars dans la Prusse occupée. Fichte se faisait alors l’imprécateur enflammé d’une Allemagne qu’il convenait, selon lui, de tirer de sa torpeur. L’auteur s’y faisait moins philosophe que citoyen allemand cherchant à fouetter vigoureusement le sang de ses contemporains en s’adressant à eux dans un style direct et quasi familier. Au-delà des mauvais procès et des déformations donc il a pu être l’objet plus tard, Fichte sera rongé par un unique regret : « que la Révolution ait eu lieu en France, hélas, et non dans la patrie de Luther. Dans tous les cas, les Allemands l’eussent conduite à son terme. À voir », souligne encore Bousquet».
Côté français, ces Discours à la nation allemande ont pris une saveur particulière depuis la défaite de 1870. Raison pour laquelle il importe qu’ils soient relus aujourd’hui, moins, évidemment, pour alimenter les braises, heureusement depuis longtemps refroidies, d’une revanche anachronique, que pour contribuer à une certaine réforme intellectuelle et morale telle qu’elle s’exprimait dans l’esprit de Renan.
Le lecteur ne peut qu’être frappé par l’universalisme d’essence européenne qui se dégage, précisément, de ces Discours, et notamment du dernier d’entre eux, le Discours sur le courage. Débarrassé d’un contexte historique pesant (celui des guerres napoléoniennes), le Discours sur le courage s’offre davantage à lire comme un discours à la civilisation européenne et, plus particulièrement, à toutes les nations constitutives.
À quelques mois de l’élection présidentielle, ce texte entre en résonance avec une certaine rhétorique zemmourienne qu’il serait d’autant plus difficile de nier que cette dernière revêt d’incontestables accents fichtéens. C’est que, parmi tous les candidats, anciens et nouveaux, l’auteur de Mélancolie française se présente volontiers comme étant le premier à imposer des thèmes de campagnes que tous ses concurrents s’empressent uniment de préempter. « Il faut toujours un premier ; que celui qui peut l’être le soit », assène Fichte, qui ajoute, à propos du privilège d’avoir parlé avant tout le monde : « Chacun aurait eu ce droit, et si je me suis emparé, c’est précisément parce que personne d’autre ne l’a fait avant moi ; je me serais tu si un seul d’entre eux m’avait devancé. » Quasiment du Zemmour (rétrospectif) dans le texte !
On l’aura compris, ce texte vivifiant se présente comme un appel à recouvrer le vrai courage, cette vertu d’autant plus enchaînée aux générations qui nous ont précédés et qui nous « conjurent de ne pas déchoir […], de ne pas nous laisser expulser de notre terre historique ».