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Laurent Pépin, pour un nouvel éloge de la folie

Quand on souhaite écrire une autobiographie, on peut relater ses histoires vécues, souvent terribles ou singulières, dans le but de choquer ou faire pleurer… mais le lecteur endure suffisamment d’autofictions larmoyantes. Laurent Pépin a choisi de sublimer des faits autobiographiques en leur donnant les atours de la féérie, du conte onirique et métaphysique où la réalité est à la fois distordue et authentique. Ainsi transforme-t-il un drame social ordinaire en un récit fantastique en mixant le sujet de ses livres (la folie, l’horreur parfois) avec la forme et l’écriture (le conte et la poésie). L’auteur a extrait de sa vie un triptyque de contes commencé par « Monstrueuse féérie » et poursuivi par « L’Angelus des ogres », tous deux parus aux Éditions Fables Fertiles, et qui se clôturera avec « Clapotille ».

« J’ai des problèmes avec des souvenirs… ils m’empêchent d’exister. »

Monstrueuse féérie nous plonge dans l’univers halluciné d’un narrateur sans nom, qui décrit son quotidien de psychologue travaillant en centre psychiatrique. Il est confronté aux décompensations psychotiques – renommées « poétiques » – de ses patients volubiles, tant cette démence est une fête du langage, une folie créatrice.

Parallèlement, les souffrances d’enfance du narrateur, imagées en récit horrifique, ressurgissent dans sa vie d’adulte. Si bien que le récit est parsemé de flashbacks : des allers et retours qui exhument son enfance et son adolescence ; le poids de ces périodes censément formatrices pèse continuellement sur sa vie d’adulte. C’est ainsi qu’il s’enfonce peu à peu dans la démence et en vient à commencer une relation amoureuse avec son Elfe qui finira par le quitter, ne supportant plus ses difficultés existentielles, ni son esprit de plus en plus noir.

Dans L’Angelus des ogres, on suit le narrateur, devenu – croit-il – « patient-salarié » de son centre psychiatrique, vivant parmi les ombres de ses anciens patients, au titre des desquels il se compte désormais. Il noue une relation amoureuse avec Lucy, thanatopractrice anorexique, elle aussi patiente du centre. Elle tente d’aider notre narrateur en aspirant les Monstres enfouis en lui, mais l’aider la détruit à petit feu.

De centre psychiatrique à maison de redressement

Dans ce deuxième opus du triptyque « pépineux », si l’on peut dire, l’auteur livre un avis tranché sur la voie que prend depuis plusieurs années l’institution psychiatrique et sur la façon dont est médicalement gérée la folie. Précisons que Laurent Pépin a travaillé dans le milieu psychiatrique, où il a pu observer de près l’évolution des théories de référence – et les dégâts de la neuropsychiatrie – au détriment des pratiques traditionnelles et des malades.

L’occasion de régler ses comptes avec la vision de la psychiatrie qui domine aujourd’hui : en raison de l’omniprésence de l’évaluation des capacités des patients accueillis, les psychologues cliniciens sont passés d’accompagnateurs et d’assistants de leurs patients à professeurs, voire tuteurs, pour redresser et corriger des comportements.

« Ils devenaient des malades semblables aux autres malades, sans imagination, sans singularité et disparaissaient. »

Les nouvelles méthodes de travail des psychologues ne consistent plus à assister les patients, mais à les redresser ; à filtrer leurs pensées et les faire rentrer dans une certaine forme de normalité, aux dépens de leur singularité et de leur voix propre : « Nous ne sommes plus des inventeurs de monde et nous errons en regardant se dissoudre la langue. »

Ce faisant, l’auteur se fait le porte-voix de ceux qui n’en ont plus : des patients aux pensées singulières, « nous nous souvenons que nous sommes oubliés aux marges d’une histoire qui ne veut plus savoir que nous sommes l’origine, et des contes, et des légendes, et de la poésie, qui de nous se sont enfuis, nés de la déchirure du verbe et du sens des mots. »


Monstrueuse féérie de Laurent Pépin aux éditions Fables Fertiles. 16,20€

L’angélus des ogres de Laurent Pépin aux éditions Fables Fertiles. 17,50€
(à paraître le 19 octobre 2023)



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