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Laurent Fabius le dandy

Laurent Fabius, le dandy contrarié (7/9)

Il rêvait d’être le Giscard du Parti socialiste, il n’aura été que le Alain Juppé de la rue de Solférino. L’affaire du sang contaminé a anéanti son plan de carrière. Ce qui ne l’empêche pas de faire le beau à la tête du Conseil constitutionnel.

Encore un socialiste né dans la soie, enfant de la bourgeoisie du XVIe arrondissement. Un père qui tenait une prestigieuse galerie d’antiquités boulevard Haussmann et dont le plus gros coup fut d’acheter pour des clopinettes un magnifique Georges de La Tour non signé, sans autre référence que la patte du peintre, lançant du même coup la légende familiale.

Famille juive, mais éducation catholique (un classique après-guerre), d’où sortira le Juppé du PS – en moins cassant et moins crispé. Pour le reste, même parcours sans faute, sans relief et sans cheveux. Le crâne d’œuf dans sa perfection ovoïde. Avec cela, fin lettré, latiniste distingué, amoureux des belles choses. Mais prêt à tout pour gagner un point dans les sondages, même d’aller chercher ses croissants en pantoufles place du Panthéon, lui le Premier ministre de la France ! Évidemment un photographe traînait dans les parages.

Éclaboussé par le sang contaminé

Son drame, c’est qu’il est né dandy, mais affligé d’une tête de technocrate mou et dégarni, comme si Musset s’était retrouvé emprisonné dans le corps d’Éric Woerth, réduit à faire jouer à Lorenzaccio un rôle de chef comptable chez LREM. Bonjour le romantisme. Pas sûr que George Sand soit tombée raide dingue de sa coupe de cheveux.

« You know what, I’m happy », clame-t-il comme Droopy. Rien à faire. Il a tout essayé – la démagogie, les raffarinades et les lotions capillaires – pour relancer sa carrière politique en berne après l’affaire du sang contaminé au milieu des années 1980. Lui qui n’aime que les belles voitures, il a même loué une moto de 125 cm3 pour partir à la rencontre de la France d’en bas dans une sorte de road movie électoral, trouvant à la Star Ac’ des airs de « conte de fées moderne ». La déchéance, pour un homme qui a été premier partout, à Normale Sup’, à l’agrégation, à l’ENA, nommé à 37 ans à Matignon. Depuis, plus rien. Trop gauche pour la droite, pas assez à gauche pour la gauche.

Jamais calife à la place du calife

N° 2 un jour, n° 2 toujours. C’est la tragédie des dauphins et des bons élèves, voués à être les cocus de l’histoire et le jouet des grands hommes. Et parfois de leur femme. Pour notre homme, elle s’appela Françoise Castro, longtemps Madame Fabius à la ville. Pétroleuse délurée, habillée comme une duchesse rouge, mais roulant en « deudeuche » (qui ne se souvient de son entrée fracassante à Matignon au volant de sa 2CV Charleston, le must du chic gauchiste ?), chapeaux extravagants, manteau de loutre, pasionaria de toutes les causes, qui ont fini par éclipser le soleil déclinant de son mari.

Depuis leur divorce, Laurent a quitté leur appartement place du Panthéon. Non, il ne sera pas un grand homme (d’autant qu’à 16 000 euros le mètre carré, la patrie n’est généralement pas reconnaissante). Aux dernières nouvelles, il vit face à la Closerie des Lilas. Nouvelle géographie sociale. Le tout-Paris des arts est ainsi à ses pieds. C’est peut-être là qu’il a rencontré Jean Nouvel, lauréat du Pritzker, le « Nobel de l’architecture », à qui il a confié la restauration de sa maison secondaire dans un village de l’Ariège – vue imprenable sur les Pyrénées. Tant qu’à faire appel à un architecte, autant solliciter le plus cher.

Ministre des Bonnes affaires étrangères

En bon socialiste, Fabius n’a jamais manqué d’attaquer « la droite de l’argent ». Ce qui ne l’a pas empêché de protéger la fortune familiale en participant à un gouvernement (il était alors ministre du Budget) qui a exonéré les œuvres d’art de l’ISF. Libre de tout engagement politique, il a racheté en 2008 avec Christian Blanckaert, ancien directeur d’Hermès, Serge Weinberg, ex-responsable de PPR (groupe Kering), et quelques autres grands noms du capitalisme d’affaires, la maison de ventes aux enchères PIASA, rachetée à François Pinault. Il a à peine eu le temps de renouer avec la tradition familiale qu’il est devenu ministre des Affaires étrangères du gouvernement Ayrault en 2012, avant d’être bombardé en 2016 à la tête du Conseil constitutionnel.

Une belle carrière malgré tout. Pas comme son bon à rien de fils aîné, Thomas Fabius, qui a laissé des ardoises vertigineuses dans tous les casinos de la planète (3,5 millions à Las Vegas). Seul point commun avec le père : la vigueur capillaire.

Mais mon préféré, c’est Victor Fabius, le fils cadet du président du Conseil constitutionnel : il est directeur associé chez McKinsey. C’est son gentil papa qui valide les lois que votent les députés macroniens ! Ah, c’est beau la consanguinité, plus beau que l’affaire du sang contaminé.

Prochain épisode : Julien Dray : « Touche pas au grisbi », mon pote ! (8/9)

Épisode précédent :
Brève histoire de la gauche caviar (1/9)

Bernard-Henri Lévy, le Rienologue milliardaire (2/9)
Dominique Strauss-Kahn, cherchez les femmes ! (3/9)
Jack Lang le Mirifique (4/9)
Pierre Bergé, le milliardaire rose (5/9)
Les Badinter, la gauche anti-bling bling (6/9)

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