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L’affaire « Jean-Michel Trogneux » : le nouveau théâtre des opérations

L’affaire « Jean-Michel Trogneux » : le nouveau théâtre des opérations

En décembre 2021, la journaliste indépendante Natacha Rey expliquait dans une interview sur YouTube (l’information avait émergé initialement dans la revue « Faits et documents ») que Brigitte Macron serait en réalité née homme sous l’identité de Jean-Michel Trogneux et que tout aurait été fait pour camoufler sa transition. En 48 heures, la vidéo atteignait 500 000 vues et l’histoire était reprise par tous les médias, contraignant Brigitte Macron à porter plainte (un procès pour diffamation aura lieu en mars 2025).

La rumeur « Jean-Michel Trogneux » aurait pu s’éteindre tranquillement, mais elle est revenue sous les feux de la rampe avec une interview d’Emmanuel Macron le 8 mars dernier, dans laquelle le président évoque l’affaire de manière presque officielle ; entretien immédiatement suivi outre-Atlantique par une vidéo dans laquelle la populaire commentatrice américaine Candace Owens, réputée proche de Donald Trump, aborde l’affaire Jean-Michel devant plusieurs millions de followers et dénonce un complot au niveau de l’État français ; dans le même temps, une journaliste de L’Obs, Emmanuelle Anizon, fait paraître aux Éditions Studifacts L’Affaire Madame : le jour où la Première dame est devenue un homme, anatomie d’une fake news – une enquête qui vise moins à démonter un argumentaire qu’à décrédibiliser ses principaux promoteurs.

Voilà pour la querelle, toujours en cours, dont on est en droit de penser ce qu’on veut (tout comme on peut s’étonner que Jean-Michel ne soit pas venu spontanément claquer la bise à sa sœur devant les caméras pour tuer la rumeur dans l’œuf) et qui finira, lorsque ça n’aura plus d’importance, par livrer ses secrets.

Une tradition française

Le plus fascinant dans cette affaire, aussi bien à propos de son objet que de sa persistance, c’est ce qu’elle dit de nous, et surtout ce qu’elle dit d’eux.

Le goût du peuple français pour les farces mordantes n’est pas nouveau. On peut remonter aux fabliaux satiriques du Moyen Âge, même si ceux-ci étrillent davantage des catégories (les femmes, les prêtres) que des individus (la logique d’une société encore holistique). C’est plutôt à la tradition des libelles, littérature pamphlétaire particulièrement vivace dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, que se rattachent les cyber-rumeurs contemporaines, occupant ce que Habermas appelle « l’espace public du politique », avec une puissance d’impact à la fois supérieure (démultiplication horizontale) et moindre (dilution dans la surabondance des motifs). Certains essayistes rangent cette appétence pour les complots dans la pathologie de l’enfermement mental ; il semble plus pertinent d’inverser la problématique et de s’interroger sur ce que cette affaire dit d’eux – les puissants.

Le complot au niveau de l’État n’est ni une invention conspirationniste ni une nouveauté : Mitterrand a bien réussi à cacher pendant des années à la fois son état de santé et sa fille adultérine. Côté frasques, il y a Chirac « cinq minutes douche comprise », Giscard et la camionnette du laitier, plus près de nous Hollande et le scooter masqué. Mais ces turpitudes, si elles choquent les néo-féministes de #MeToo, restent dans la tradition du libertinage pour laquelle le peuple sait se montrer compréhensif.

Le cas Macron est bien différent. S’il ment avec autant d’aplomb que ses prédécesseurs, il a innové dans les provocations : en invitant à l’Élysée les danseurs LGBT du DJ Kiddy Smile par exemple ou en prenant la pose dans les Antilles à côté de dealers dénudés, suscitant les propos ironiques de l’humoriste Fabrice Éboué, ancien condisciple de Macron au lycée d’Amiens : « Dès qu’il voit des Noirs torses nus, il s’émoustille ! »

De ces rumeurs, comme de celle qui touche son couple, Macron est directement responsable ; l’affaire Jean-Michel aurait fait pchitt si son propre comportement ne la rendait pas crédible, si le peuple n’avait pas entrevu chez son président un côté déraisonnablement obscur – qui pousse d’ailleurs à se demander si Macron est au fond embarrassé ou amusé par toute cette affaire.

Au théâtre, ce soir

Michel Maffesoli, avec son acuité habituelle, a parfaitement cerné les contours de la post-modernité dans laquelle nous sommes entrés : nous vivons en théâtrocratie, où le mensonge et la vérité ont moins d’importance que l’intrigue qui se joue ; qu’importe dès lors qui se cache sous les costumes. En plein contexte de simulacre baudrillardien, le.la professeur.e de théâtre et son élève sont dans leur élément !

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