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L’Abîme de Nicolas Chemla ou Huysmans au temps des applis

L’Abîme de Nicolas Chemla ou Huysmans au temps des applis

Le progrès moral de l'humanité est une dangereuse et mortifère illusion. Le mal-être des hommes, leurs failles et leurs vices ne changent pas, seul le décor évolue. La technologie accélère, multiplie, facilite, elle ne résout pas. C'est cette implacable vérité que nous décrit Nicolas Chemla dans son dernier roman, "L'Abîme", paru au éditions du Cherche Midi.

Nu, le cou brisé, les entrailles à l’air, les pieds ligotés, la tête en bas et les bras en croix… voici dans quel état est découvert un homosexuel américain de 40 ans vivant dans un appartement du 6 ter rue de Paradis, à Paris. Suicide, meurtre, ou encore pire ? Le journal intime du mort est retrouvé, on va suivre les derniers mois de sa vie – du 17 avril au 1er novembre – et le voir sombrer dans l’abîme.

Cet écrivain raté vit seul avec son chat dans un appartement en soupente d’un immeuble parisien qu’il a hérité de sa tante, il y a 20 ans. Technophobe, réactionnaire, il n’aime pas son époque, ni le Paris déliquescent, ni son travail de traducteur-rédacteur freelance. Il est mal à l’aise également au sein de la communauté homosexuelle : lui qui a pourtant profité des jouissances d’une sexualité « gaie, fière et mondialisée » est considéré comme pas suffisamment « gay » par ses anciens amis, pas assez positif, joyeux et militant. Sans projet, ni ami, ni amant, il vivote.

« C’était l’appartement lui-même qui me pourrissait la vie, il y avait quelque chose de malveillant qui finirait par avoir raison de moi. [–] l’appartement me possédait. »

Dans son immeuble singulier, à la façade recouverte de motifs diaboliques, une jeune femme très pieuse a une crise (épilepsie, panique, il ne sait pas trop). Il constate ensuite des phénomènes étranges dans son duplex : vibrations, présence invisible… son immeuble serait-il hanté ?

Le chat maudit

Peu à peu, il s’enlise dans la dépression et la solitude. Le point de départ des souffrances du personnage semble être l’installation d’un chat – baptisé Mouche. Tout propriétaire de chat sait comment cet animal en apparence sympathique et « mignon » peut s’avérer diabolique. Il plonge dans les yeux de Mouche, fenêtre sur le néant, l’inconcevable, l’insaisissable, et porte ouverte vers l’abîme dans laquelle l’auteur du journal va s’engouffrer.

Submergé par des pensées noires, peu à peu soumis à un mal étrange, inexplicable, possédé par une force invisible, sa propre folie ou le démon ? Il sombre : angoisse, insomnie, fatigue, maux de ventre terribles, mais la cause reste non identifiable. Rien ne l’apaise, hormis ce chat.

Addicte au sexe et doté d’un appétit insatiable, il passe son temps sur le catalogue de son appli de rencontre pour trouver celui avec lequel il passera une partie de la nuit. Sa consommation sexuelle de rencontres d’un soir est sans fin, mécanique et insatisfaisante, même dans des pratiques plus extrêmes (chem sex, sadomasochisme, kink).

En parallèle, il va se lier d’amitié avec le propriétaire d’une librairie et va s’intéresser à l’histoire de l’occultisme au XIXème siècle et découvrir que des messes noires avaient lieu dans son immeuble dans les années 40. L’étude de Dürer, Boehme, Huysmans ou d’Ahriman accompagne sa mélancolie croissante et sa fin.

© Photo de S. Palombari – Nicolas Chemla L’abîme, aux éditions Le Cherche Midi.

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