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La « romance adulte », une littérature anti-féministe ?

La « romance adulte », une littérature anti-féministe ?

Jean Montalte, auditeur de l’Institut Iliade (promotion Léonidas), se penche sur le nouveau phénomène littéraire du moment, la « romance adulte », version modernisée des « Barbara Cartland » et autres romans à l'eau de rose à destination du public féminin. Frôlant souvent le porno soft à tendance sado-maso, ces ouvrages à (très) gros tirages sapent largement la plupart des poncifs du « néo-féminisme » punitif et de la vision hystériquement égalitaire des rapports hommes/femmes. Apparemment, les riches machos costauds et dominateurs font encore rêver les « femmes libérées » de 2024.

La romance adulte et ses diverses déclinaisons, new romance, dark romance – l’anglais s’est, sans doute par hasard, tout de suite imposé pour désigner les catégories en question – représente un phénomène de société dont on ne mesure probablement pas encore la portée aujourd’hui. Le phénomène a commencé pour le grand public autour des années 2011-2012 qui virent la publication de Cinquante nuances de Grey, d’abord en autoédition au format numérique, puis sous format papier. Aujourd’hui, la plateforme Wattpad héberge une quantité astronomique de récits en tout genre, composés par des anonymes, mais le genre érotique est celui qui prédomine, et de loin. C’est un peu la version « littéraire » du porno amateur. Certaines autrices ont émergé à partir de ces sites de partage de texte, dont Sarah Rivens connue pour sa trilogie Captive, augmentée désormais d’un quatrième opus intitulé Lakestone. Pour mesurer l’ampleur de ce phénomène, je signale que le premier tome de cette saga cumule à lui seul plus de 700 000 exemplaires vendus, à ce jour. Quant à Sarah Rivens, elle est bien francophone et l’emploi de pseudonymes anglo-saxons est une des marques de fabrique de ce genre littéraire. Est-ce pour faciliter l’exportation ? Ou bien Brigitte Lahaie aurait sonné moins torride peut-être… La France n’aurait plus en elle les atouts requis pour faire grimper la libido ?

Par des femmes, pour des femmes, contre le féminisme

Majoritairement écrits par des femmes, à destination d’un public féminin pour l’essentiel, les livres placés sous la rubrique New Romance semblent saper tous les efforts de la propagande féministe pour inculquer aux femmes une vision égalitaire du rapport entre les sexes. En effet, les mauvais garçons sont à l’honneur, les muscles saillants suscitent le désir, les positions socialement valorisantes sont également érogènes – tant de titres comportant le mot Boss donnent un indice sur le pouvoir de séduction qui découle d’une inégalité de fait entre les hommes et les femmes. Alors, devant l’immense succès de librairie que connaît ce genre – près d’un tiers du chiffre d’affaires en rayon littérature chez certaines grandes enseignes –, il serait temps de se poser la question de l’influence réelle du féminisme en dehors des déclarations pour plateaux de télévision. Revendications en termes d’égalité des droits mises à part, le féminisme, en se ralliant aux élucubrations pseudo-savantes des études de genre et au gauchisme culturel, tend à nier les différences réelles entre les sexes, en les attribuant à de pures constructions sociales, totalement étrangères à des invariants anthropologiques qui seraient une pure invention d’un patriarcat dont les attributs semblent relever du plus pur fantasme conspirationniste. Le patriarcat – ai-je besoin de rajouter blanc ? – semble résulter d’un complot mondial qui remonte à Mathusalem. Le complotisme est toujours autorisé à gauche, soit dit en passant.

Le combat métapolitique, c’est, pour reprendre la formulation du sociologue Weber, une lutte axiologique, une lutte entre des valeurs concurrentes et antagonistes, une lutte des dieux et des symboles. Or, il semble poindre à l’horizon une nouvelle époque, à l’heure où la France consacre la lutte féministe par une inscription du droit à l’IVG dans la Constitution. Une nouvelle époque, puisque ce sont les nouvelles générations qui forment l’esprit du temps à venir. Et si les professeurs prescrivent à ces générations la lecture d’Olympe de Gouges, à laquelle elles s’astreignent sous la contrainte, en regimbant, c’est avec un enthousiasme débordant qu’elles se ruent sur les rayons de littérature érotique. La schizophrénie ne peut être plus prononcée. On revendique l’égalité des droits d’un côté et même l’égalité tout court – ce qui eût fait sourire les premières féministes, les fameuses bostoniennes auxquelles Henry James a consacré un roman – pour exulter dans une position de soumission sexuelle de l’autre, sous la cravache d’un milliardaire ou d’un mafieux qui vous brûle la main avec une poêle pour finalement se révéler être le prince charmant (Captive, tome 1).

La psyché contre l’idéologie ?

Le réel est implacable, dit-on parfois pour se rassurer. En cette matière, il l’est, en effet, tant cela touche aux couches les plus profondes de la psyché, aux ressorts incassables du désir. Le projet démiurgique qui consiste à modifier les caractères permanents de l’humanité se heurte à ce qu’il y a de plus invincible en nous, l’eros. Et ce n’est pas « l’homme déconstruit » de Sandrine Rousseau, qu’on nous propose comme modèle, qui va attiser l’appétit des femmes. Tout cela relève de la fable la plus grossière, un déni de réalité à l’échelle d’une société, du monde occidental même et qui se finira mal comme toute affection psycho-pathologique. Nietzsche, clairvoyant sur cette question, a écrit : « Courageux, insouciants, moqueurs, brutaux – c’est ainsi que nous veut la sagesse : elle est femme et elle n’aimera jamais qu’un guerrier. » Les femmes aimeront toujours en nous le guerrier quoiqu’on puisse dire. Les injonctions à « accepter sa part de féminité », à « déconstruire le mythe de la virilité », ne peuvent être issues que de cerveaux en crise de sociologïte aigüe. Lisons La Métaphysique du sexe de Julius Evola, Le Soleil et l’acier de Yukio Mishima, et pourquoi pas le superbe Les Amants de Venise de Charles Maurras pour nous désintoxiquer. L’avenir est à la complémentarité des sexes, à l’accomplissement de soi et non à la négation des réalités. « Deviens qui tu es », disait Nietzsche en reprenant Pindare, voilà un adage à faire sien, contre tous les slogans nihilistes et destructeurs qui ne rendront heureux ni les hommes ni les femmes.

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