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Emmanuel de Waresquiel

La Révolution française en direct. Un «reportage» d’Emmanuel de Waresquiel

Si la Révolution est un bloc, comme le voulait Clemenceau, l’historien Emmanuel de Waresquiel n’en prend qu’une tranche : « Sept jours » très exactement, du titre de son livre paru chez Tallandier (2020), du 17 juin au 23 juin 1789, lorsque les États généraux se proclament Assemblée nationale et veulent donner une Constitution à la France, avec et bientôt contre le roi. Un tableau tout en nuances de cette semaine décisive.

On le sait depuis Shakespeare et Macbeth, tout pouvoir est une pièce où s’agitent des ombres. Des acteurs se pavanent un temps sur scène puis le rideau tombe et on ne les entend plus. De l’ouverture des États généraux au 18 Brumaire, la Révolution française ménage son effet baroque et défie parfois l’entendement. Elle bafoue des droits dont elle se réclame ou piétine des principes qu’elle vient d’instituer. Son pouvoir, agité par le bruit, la fureur et les vociférations, passe rapidement de main en main. Mirabeau défie l’Ancien Régime avant d’être défié par Barnave, lequel est vite dépassé par Brissot et Pétion, eux-mêmes renversés par Danton et Robespierre, avant que le second ne fasse guillotiner le premier pour l’être lui-même à sa suite.

Les sept jours de la création de la Révolution

L’événement se prête facilement à l’écriture tragique et beaucoup d’historiens ont cédé à la métaphore théâtrale. Parfois écrits en alexandrins, les sept tomes de Michelet couvrent quatre ans, des États généraux au 9 Thermidor. Drame historique, le dernier ouvrage important qui lui est consacré, Sept Jours d’Emmanuel de Waresquiel change un peu d’échelle. Tout aussi enlevé, mais plus modeste, l’auteur se fixe sur une semaine, du 17 juin au 23 juin 1789, lorsque les États généraux se proclament Assemblée nationale et entendent réécrire la constitution de la France, avec ou contre le roi. Le moment historique est très restreint mais il l’a fouillé d’un peu partout. Historien, il s’appuie sur plusieurs sources nouvelles : archives personnelles de députés ou d’agents du roi, littérature politique et parlementaire dont l’auteur rappelle qu’elles constituent la matrice des cultures politiques françaises.  La rigueur n’empêche pas à l’auteur la suspension dramatique. Le style est là, efficace et dynamique, très XVIIIe ; habile aussi dans sa force d’entrainement du lecteur, le biographe de Stendhal sait raconter « l’accélération de l’histoire » qu’il diagnostique.

Tenant en une semaine, le basculement est biblique. L’unité de temps est respectée comme celle de lieu – tout ou presque se passe à Versailles entre les appartements du roi et le Palais des Menus-Plaisirs où se réunissent les États généraux. Le 17 juin, les députés du tiers état outrepassent leurs attributions. Inspirés par la trouvaille sémantique de Sieyès, ils se proclament « Assemblée nationale ». Ils avaient été convoqués le 5 mai à Versailles non pour changer le régime politique, mais sauver l’État de la banqueroute. Le 20 juin, alors que Louis XVI réagit et fait fermer les Menus-Plaisirs, la nouvelle Assemblée jure au Jeu de paume de ne jamais se séparer avant d’avoir donné à la France une Constitution. Le 23, le roi tente le coup d’autorité et les députés l’envoient promener. Leurs chefs en rajoutent, se font insolents. On connaît les mots apocryphes de Bailly et Mirabeau. Défié par les députés, le pouvoir ne réplique pas. Son autorité en prend un coup. Les députés ont réussi à se faire obéir du roi. Les grilles de Versailles s’étaient fermées : ils menaçaient d’utiliser la foule comme bélier.

Une archéologie de la désertion

« Face à ces sept jours, la prise de la Bastille est presque un événement périphérique », insiste Waresquiel alors que notre mémoire nationale l’a fait fondateur. Ce qui est décisif, c’est le renversement de souveraineté qui a lieu à partir du 17 juin : de la tête du roi à la nation.  Bien qu’il l’ignore, le roi a déjà déserté la partie. Si céder sur un point n’est pas forcément céder sur tout, faiblir une fois c’est faiblir toujours. Après avoir usurpé la légitimité dans son principe, l’Assemblée commence déjà à se l’attribuer dans son application : dans la perception de l’impôt ou le maintien de l’ordre.

En amont, Waresquiel se fait archéologue de la désertion de l’autorité royale. Dans le pays, on trouve un grand trouble dans la chaîne du commandement et de l’obéissance : « les parlements répugnent à instruire, les juristes prévôtales sont débordées et la troupe vacille ». Signe qui ne trompe pas, le roi distribue des suppléments d’appointements aux officiers des détachements de l’armée régulière chargés de réprimer les émeutes. Le bazar vient de ce qui se fait appeler ordre. La troupe donne des signes de fraternisation avec l’émeute. Plusieurs journées violentes avaient eu lieu dès avril à Paris et en Province. Les esprits étaient échauffés. Les députés sentaient qu’ils avaient un coup à jouer.

Une politique du faire-voir

Peu d’historiens savent si bien incarner un temps, a fortiori restreint à quelques jours. C’est une ambiance et une esthétique que Waresquiel propose de restituer pour comprendre le grand basculement politique révolutionnaire. La légitimité a une réalité. Elle a aussi une apparence : celle de la cour est plutôt soignée alors que le lecteur sait la notion âpre ; elle se plaide en justice, elle se fonde en droit ou bien elle s’établit de manière contractuelle. Avec Weber, la légitimité est morale et définit ce qui est juste et reconnu comme tel. En modernes, nous y voyons un principe, l’associons à des concepts abstraits et mobilisons un haut niveau d’argumentation quand nous devons nous l’attribuer.

Pour arracher la légitimité aux sciences politique, l’auteur y met un peu de chair. L’humeur de cette fin de siècle est finement restituée. Waresquiel produit la politique sous l’Ancien Régime comme une esthétique du faire-voir. Les vêtements et les couleurs portés dénoncent une appartenance à un État, une nation ou une condition – et la mode entretenait ses hiérarchies déjà riches de vanités. En costume, les acteurs jouent le jeu et les rituels ou de la cour ou choisissent l’esclandre plutôt que le respect de l’étiquette.

Légitimer par sa propre légitimité

Pour l’accueil des États généraux le 5 mai, son faste était pourtant intact. Les députés – juristes de province pour le plupart – ressentent avec amertume l’humiliation symbolique. La monarchie sait encore en mettre plein la vue. Pour remplacer la pourpre royale et son légendaire, la nation devra apprendre à susciter l’enthousiasme. Faute de mieux, elle décide de se célébrer elle-même. Nous connaissons le tableau de David enjolivant le serment du Jeu de paume du 20 juin. Un folklore un peu bricolé se met rapidement en place. On lui rendra un culte ; lequel inspire aussitôt son catéchisme. On comprend en lisant Waresquiel qu’il fallait donner de la majesté à un événement qui en manquait singulièrement. Institué par sa propre institution, légitimé par sa propre légitimité, le pouvoir de ces gens est neuf et mal assuré. C’est en paroles, que la révolution est légitime. Très verbeuse, déclamatoire, institué par des mots, elle se cherche un style.

Les Français aiment se payer de mots. Ce travers est politique. Il est aussi littéraire. La Révolution fut une forme dramaturgique et un lexique. Waresquiel y répond par le style. Face aux vertiges métaphysiques, il mesure dans son texte l’épaisseur humaine des acteurs, le poids des contingences, du claire-obscur et des agitations.

Familier des critiques nuancées (et libérales) de la Révolution, il opte pour une position médiane : « Si je suis bien incapable de comprendre la théocratie d’Ancien Régime, l’alliance du trône et de l’autel comme l’on disait, je ne comprends pas plus cet absurde renversement de sacralité du côté des hommes et de la République qui s’opère par le serment du 20 juin 1789. » Ce faisant, il nous fait découvrir un Tocqueville souterrain ; un regard lucide, compatissant et circonspect qui s’approche des acteurs et délaisse un peu les vols d’aigle de l’histoire générale. C’est une lecture froide et enthousiasmante qui ne cherche pas – comme la Révolution – la pureté ou l’absolu mais le contraste. Toute tragédie est écrite avec visée morale ; celle-ci atteint à ce terme une certaine sagesse.

Sept jours : 17-23 juin 1789. La France entre en révolution, Tallandier, 2020.

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