Le mot « complotisme » est devenu un terme dépréciatif fourre-tout visant à décrédibiliser toute pensée non-conforme, toute critique du discours officiel et institutionnel et toute remise en cause des injonctions gouvernementales. Vidé de sons sens, élargi à l’extrême, le « complotisme » a rejoint le « fascisme » au palmarès des qualificatifs disqualifiants et infamants censés mettre un terme à tout débat lorsque l’on est à court d’arguments. C’est évidemment là une pratique détestable et condamnable, mais malheureusement courante dans notre chère démocratie totalitaire qui n’accepte le dialogue et la contestation que dans un cadre strictement déterminé par elle.
Cet état de faits, si regrettable soit-il, ne doit pas – ne peut pas – masquer le développement dans une frange de la population et massivement sur les réseaux sociaux d’un phénomène inquiétant, celui de la multiplication des discours délirants et des « informations » paranoïaques, faisant fi de toute rationalité, de toute crédibilité, de tout bon sens, et qui, au final, ridiculisent les causes que ceux qui les diffusent prétendent défendre, pour le plus grand profit du système qu’ils affirment combattre.
Nous avons donné quelques exemples en guise de chapeau de présentation, mais il y en a bien d’autres : le remplacement du président Macron, prétendument légèrement touché par la Covid mais en réalité subclaquant, par un sosie ; l’annonce de putschs militaires toujours imminents mais sans cesse repoussés ; le déclenchement d’arrestations massives, par la CIA, de tous les « complices » de Biden à travers le monde, etc.
La théorie du complot est un mythe incapacitant
Si ce genre de « bobards » a sans doute toujours existé, le psychodrame de l’élection et de la post-élection américaine leur a fait prendre une ampleur jusqu’alors inédite. À tel point qu’il est désormais impossible de se contenter d’en sourire en haussant les épaules et en plaignant l’état mental de ceux qui s’y adonnent, y croient et les relaient. Car le phénomène touche incontestablement de plus en plus de monde, dans toutes les catégories sociales, tous les milieux, et notamment de façon très sensible dans ce que l’on peut appeler la « dissidence » ou l’opposition radicale. Et ce sont ainsi aujourd’hui des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes qui suivent, par exemple, des chaînes YouTube plus ubuesques les unes que les autres où prospèrent (y compris financièrement) des gourous souvent habiles, parfois même brillants, distillant des énormités et des sottises sans nom avec la farouche assurance des « sachants », des voyants au milieu des aveugles. C’est ensuite une véritable armée de néo-croyants qui se répand sur les divers réseaux sociaux pour diffuser la bonne parole, révéler l’invérifiable, affirmer le n’importe quoi, insensibles à toute réfutation et à toute remise en cause comme tout porteur de vérité qui se respecte. Pour eux, le réel ne compte pas puisque celui-ci est une simple construction du système et de ses maîtres secrets. Vindicatifs, parfois menaçants, ils qualifient donc tous ceux qui n’adhèrent pas à leurs gigantesques inepties de crédules, d’imbéciles, de complices ou de traîtres…
Cette tendance est profondément désolante à plusieurs niveaux. Tout d’abord parce qu’elle révèle l’extrême fragilité, voire la désespérance, d’une part non négligeable de la population qui, privée de repères, de cadres et de référents, est désormais prête à se rattacher à « n’importe quoi » pour continuer à croire à un possible changement, pour encore « espérer » en un avenir meilleur. Ensuite parce qu’elle détourne un grand nombre de gens de bonne volonté, légitimement écœurés par le monde tel qu’il ne va pas, du véritable travail d’analyse, de réfutation, de déconstruction nécessaire à une efficace et concrète opposition au rouleau compresseur du mondialisme libéral-libertaire.
C’est pourquoi, s’il faut bien sûr continuer à s’élever vigoureusement contre l’utilisation extensive et fallacieuse du terme « complotisme » et défendre le droit à la libre expression la plus large qui soit, il est également nécessaire et même impérieux de dénoncer les faussaires et les manipulateurs qui profitent du désarroi ambiant pour nourrir leurs névroses, leur besoin de reconnaissance et leurs appétits financiers. Et de rappeler, avec Jean Thiriart, que « la théorie du complot est un mythe incapacitant, incompatible avec un engagement révolutionnaire ».