Connaissez-vous les Bodin’s ? B-O-D-I-N’S ! C’est un tandem d’humoristes qui remplit les Zénith de province depuis 25 ans dans l’indifférence souveraine des médias centraux. Une fois, une seule, ils ont fait la une de la presse nationale. C’était il y a dix jours, quand leur film, Les Bodin’s en Thaïlande, a franchi la barre du million d’entrées après 15 jours d’exploitation. Après quoi, silence radio. Les Bodin’s sont retournés traire leurs vaches dans ce trou noir qu’est la France périphérique. Impossible de voir le film à Paris, où il n’est même pas programmé. Saisissant contraste. La ville d’Anne Hidalgo s’occupe du sort des migrants, de l’avenir de la planète, du tri recyclé, des voitures électriques, des livreurs à vélo exotiques, du bien-être des rats d’égout, de toutes les phobies possibles et imaginables, exception faite de la ploucophobie. Paris est un open space, sauf pour les Bodin’s. Les gens comme eux n’ont droit qu’à une semaine par an, lors du salon de l’agriculture. Le reste du temps, ils sont expulsés sans ménagement.
Le terroir qui ne ment pas
Sur scène, les Bodin’s rejouent Fantasia chez les ploucs. Ils interprètent une mémé sans âge et son fils de 50 ans qui est un peu l’idiot du village. Les délicats feront valoir que c’est de l’humour facile ? Mais qu’est-ce que l’humour difficile ? Celui qui ne fait pas rire ? Celui qui ne fait rire que la critique ? Non, arrêtez ! Depuis quand n’avait-on pas ri aussi franchement, les applaudissements de la salle en prime ? En plus, elle balance à la sulfateuse, la mémé Bodin, dans le périmètre de son public évidemment. Elle, qui n’a plus qu’une dent, s’en sert comme d’un pic à glace qu’elle plante dans la chair de la bêtise contemporaine.
Ceux qui comme moi commencent à vieillir en ont connu des mémères comme ça, une grande tante avec des poils au menton, un fichu sur la tête, les mains calleuses et qui ne s’en laissait pas compter par les truffes de l’INRA en blouse blanche qui venaient lui expliquer comment planter ses choux. Bien sûr, le trait est grossi. Cela permet la distanciation et préserve de l’identification. L’identification opère sur un autre plan, dans la réminiscence de l’ancien temps, la proximité avec l’univers rural, la nostalgie du vieux monde.
Cette France a été bannie des représentations médiatiques et des quotas de la diversité, exception faite de l’ex-JT de Jean-Pierre Pernaut. C’est la France de la Mère Denis, de la presse quotidienne régionale, des livres d’Henri Vincenot, du terroir qui ne ment pas, des foires agricoles, du Tour de France, une France qui chasse le sanglier, qui roule encore en deudeuche dans la cambrouse et siffle un pétrole de prune vieux de trente ans d’âge. C’est la France éternelle, mais avec une cirrhose du foie, un dentier déglingué et une hygiène de vie douteuse, comme Maria Bodin. Elle n’est pas dans une forme olympique, j’en conviens, mais elle ne veut pas mourir. Et de fait elle n’est pas morte, puisque c’est elle qui fera basculer la présidentielle.
Tiens, voilà les Bodin’s !
Pourquoi ça marche ? Parce qu’il n’y a pas de mépris ici. Le contraire des Deschiens. Avec les motocrottes, les Deschiens ont été la quintessence du parisianisme branché des années 1990. Comme disait le regretté Jean-Pierre Coffe, « mais c’est de la merde ! » Les plus jeunes ne se rappellent pas des Deschiens qui mettaient en scène chaque soir sur Canal Plus, en clair et en prime-time, une famille de Thénardier habillée comme des sacs poubelle, raciste, malfaisante, toujours en train de martyriser le petit dernier qui aimait lire – quoi, comment, il lit ! mais c’est affreux – devant les gloussements du public branché. Dégoûtant. Avec l’ignoble François Morel, la grande conscience de « gôche », toujours prompt à dénoncer le racisme sur France Inter, sauf le racisme anti-blanc, dans lequel il est un expert reconnu et paradoxal. Les Deschiens ou la haine des Souchiens. Aujourd’hui, c’est l’équipe de Yann Barthès, rejeton de l’esprit Canal Plus, qui exploite ce filon. Comment ne pas voir dans ce mépris un nouveau racisme de classe, celui des bobos à l’encontre des prolos de province ? Pour Bobo sapiens, cette France d’en bas est le nouvel indigénat. Elle est infériorisée, bestialisée, obscurantisée selon les termes mêmes du racisme biologique du XIXe siècle. Il ne manque que l’intentionnalité scientifique. Pour le reste, on est dans le pavillon colonial des expositions universelles. Le zoo des beaufs qu’on exhibe dans une perspective ouvertement zoologique. Les Deschiens en étaient l’illustration caricaturale, eux dont les sketches s’ouvraient par un rideau métallique avec un chien urinant sur un pot de fleur. Au fond, c’était une émission animalière. Les spécimens présentés, c’était Dupont Lajoie et Ducon le Gaulois, mon semblable, mon frère. Je leur préfère, et de loin, Maria Bodin et son fils Christian Bodin. Car, comme on dit dans la Légion : Tiens, voilà les Bodin’s !