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La femme parfaite est une cagole

Ne jetez pas la pierre à la femme trop vulgaire ! Marseillais de son état, Isidore Rouvier nous offre un portrait haut en couleurs de l'égérie du sud de la France, la jadis trop dénigrée « cagole » qui prend aujourd'hui sa revanche dans une post-modernité acculturée et fière de l'être.

Quelle figure singulière que celle de notre chère cagole régionale… Et quel étrange destin que le sien ! À mille lieues de la pauvre et surannée bigoudène bretonne, la cagole marseillaise, avec une prescience infinie, aura su surfer avec brio le tsunami sans précédent de notre modernité. Il faut dire qu’elle avait largement les épaules (et surtout les hanches) taillés pour. Victime malheureuse d’a priori fort injustement péjoratifs au début du XXe siècle – qu’on songe un instant aux remontrances d’Honorine à sa fille Fanny dans l’œuvre de Pagnol : « C’est la honte de la famille ! Va-t-en tout de suite, ou je te jette dehors à coups de bâton, petite cagole » –, cette même cagole donc, un siècle d’émancipations tous azimuts plus tard, bénéficiant du retournement du monde à 180 degrés, connaît aujourd’hui un véritable retour en grâce. De Loana à Nabila, dans l’inconséquence qui la caractérise, la petite bourgeoise de notre post-humanité enfin télé-réalisée aura su trouver, en sa figure tutélaire, le modèle de subversion anthropologique qu’il lui manquait pour habiter, en toute vulgarité décomplexée, notre post-monde inédit.

« Jeune femme extravertie, un peu écervelée et vulgaire », la cagole aura fini par acquérir ses lettres de noblesse en débarquant dans nos dictionnaires après avoir gagné sa crédibilité sur nos plateaux télévisés. À moins que ça ne soit l’inverse. D’un point de vue purement historique, la victoire symbolique de la cagole, c’est l’instant où la modernité bascule dans la post-modernité, le moment où Loana, d’une piscine l’autre, remplace Brigitte Bardot au panthéon de l’émancipation féminine. Et pour parler comme Nietzsche, qui pensait voir en l’homme la corde tendue entre l’animal et le surhomme, nous pouvons affirmer à notre tour avec assurance que la cagole, quant à elle, est un string parfaitement tendu entre la femme et l’actrice porno. Et que si Dieu créa la femme, c’est finalement la révélation de son inexistence qui créa la cagole. L’avènement postnational de la cagole, c’est un miracle paradoxalement français, une sorte de jacobinisme à rebrousse-poil, la vengeance posthume de Mistral pour que la Provence ne s’éteigne pas sans avoir emporté avec elle le reste du pays. Le devenir cagole de la femme, avec Plus belle la vie et Les Marseillais, c’est une perpétuelle éducation sentimentale, chaque jour recommencée, de Dunkerque à Montpellier, pour toutes les nouvelles Bovary de nos villes et nos campagnes.

Miss Cagole 2024

Par chance, samedi 6 avril, à quelques encablures de chez moi, en plein cœur de Marseille, se tenait l’édition 2024 de Miss Cagole dans son fief originel. La journaliste dépêchée sur place par le quotidien La Provence, bien « décidée à défendre haut et fort les couleurs de Marseille et de sa figure emblématique féminine et féministe », aura su porter dignement les couleurs de sa noble profession en arrachant chèrement une place de première dauphine, au demeurant amplement méritée. Quel dévouement, quel professionnalisme ! Quand je me contentais pour ma part ce soir-là d’errer comme une ombre dans la sombre cité dantesque… « Car la cagole, c’est une femme forte, extravertie, indépendante, à qui on ne la fait pas. Un tantinet vulgaire, elle exagère, elle en fait trop, parle trop fort, ne mâche pas ses mots, et c’est pour ça qu’on l’aime » nous confiera le lendemain notre chère envoyée pas si spéciale, après avoir twerké toute la nuit au son de Britney Spears et des Spice Girls. Car si Marseille est une ville-monde, la cagole est devenue elle aussi au fil du temps une véritable fille-monde ; et elle est désormais tout autant redevable à Kim Kardashian et ses sex-tapes, qu’à Diam’s et ses boulettes. Même si au fond d’elle, en bonne cagole qui se respecte, elle rêvera toujours d’être aussi classe que Rihanna…

À ce petit jeu-là, c’est finalement une dénommée Lisa, « sublime brune au lissage brésilien, créoles et piercing de diamant, mini-bustier, mini-short mais grande gueule » qui, toujours selon notre investigatrice engagée (pour ne pas dire intégrée) de La Provence, battra « toutes les concurrentes à plate couture, en invitant son adversaire à « enlever le balai que t’y as dans le c… et d’en profiter pour aller faire le ménage ! » ». Et Lisa, plus heureuse que jamais, de s’exclamer à l’issu de sa victoire : « C’était très dur de gagner, je pense que c’était pas haut la main, je pense que j’ai dû me battre. Perpétuer en fait cette image de la femme du Sud qui est forte, qui est indépendante, qui défie tous les codes, beh c’est hyper important. Donc, voilà, c’est un hommage en fait à toutes les meufs qui sont trop fortes. »

Le pire de l’Afrique et de l’Occident

Ah Marseille, eldorado du vide ! Bidonville de tous les possibles inimaginables et non souhaitables ! Ville camusienne par excellence, où le Petit Remplacement côtoie son Grand frère à chaque coin de rue. Où Renaud Camus, s’il n’existait pas, aurait forcément fini par y être inventé. Marseille, où le pire de l’Afrique et le pire de l’Occident sont venus s’échouer en une seule et même ville terminale. Où ce soir-là, en l’espace de quelques minutes, je me serai miraculeusement garé entre deux kebabs Cours Lieutaud, au milieu d’un concert de klaxon ; où j’aurai manqué de justesse me faire écraser sur le champ par un post-Arabe en trottinette qui m’aura copieusement insulté dans son sabir post-linguistique ; où j’aurai regretté de ne point trouver autour de moi un peu moins de diversité et plus de civilité ; où j’aurai marché quelques mètres en direction du Cours Julien pour me retrouver dans une guinguette post-apocalyptique, taguée du sol au plafond sous couvert de street-art ; où j’aurai bu quelques verres de vin « nature » entouré de petits blancs faméliques, aussi dégenrés que dégénérés, affublés de haillons échappés de la poubelle la plus proche et cultivant un ridicule d’après la honte à coup de petites moustaches fantaisistes et autres coupes « mulet » d’après l’Histoire ; où j’aurai finalement dans ce triste lieu déploré l’absence de diversité et recherché de partout un Arabe dans l’espoir qu’il se fasse sauter sur le champ avec le plus de déflagration possible ; où, après avoir aperçu au fond du bar un potentiel candidat au jihad, je me serai discrètement approché de lui pour me demander en fin de compte s’il ne s’agissait pas plutôt d’un cousin sidaïque de Bilal Assani, un pétard à la bouche ; où je m’en serai pour finir retourné, en direction de La Plaine, désespérant déjà de la post-humanité toute entière, sans avoir pour autant encore assisté au concours de Miss Cagole 2024.

Bienvenue en enfer

Marseille, c’est la ville du désespoir absolu, l’Enfer de Dante au bout de la France, à la toute fin de l’humanité. C’est la ville d’après l’Apocalypse, où tout est post, où tout est trans. La ville d’après la laideur et d’après toute forme de misère, la ville d’après le glauque où tout se noie, malgré le soleil, dans la grisaille d’un hédonisme moribond. Un enfer bétonisé où la mutation anthropologique parfaitement accomplie du post-humain, corps et esprits confondus, vous saute à la gorge à chaque mètre parcouru. La ville où les immeubles s’effondrent aussi vite que notre humanité et où les Parisiens adorent investir pour s’y promener le week-end au soleil en se répétant inlassablement, par comptes Instagram interposés, que la fin du monde, tout compte fait, c’est vraiment super chouette. Marseille, c’est la ville d’après la ville, la ville absolue, primitive et futuriste, la métropole post-rimbaldienne des zulus et des bobos, où chaque nouvelle dérégulation anthropologique est une victoire supplémentaire de la conquête du mauvais goût. Marseille, bien sûr – et comment cela pourrait-il en être autrement ? – c’est la ville préférée d’Emmanuel Macron, notre post-président trans-national – avant qu’on ne découvre peut-être un jour qu’il n’était rien d’autre qu’un simple trans-président postnational ? –, la ville du partouzage cosmopolite pour fin du monde, en attendant la guerre des races.

Au milieu de la foule, obnubilé par de sombres pensées, je retrouve ma copine ivre de joie, tortillant comme un petit poisson sous psychotropes, s’agitant fiévreusement dans l’eau croupie de son bocal marseillais. Découvrant ma triste gueule, elle comprend aisément que la fête est finie, et que l’heure du retour à la maison vient de sonner. « Putain mais c’est fou d’être comme ça, tu peux pas t’amuser comme tout le monde ?! » Ma mâchoire se resserre à double tour et lui permet aisément de comprendre, qu’en ce moment précis, je ne suis plus du tout ni « Charlie », ni « terrasses de café » ou « Bataclan », ni « Mila » et ni « Paty », ni rien du tout, que je ne suis même plus du tout capable de me sentir encore Français ne serait-ce qu’une seconde de plus au milieu d’une telle débâcle ; et qu’égaré aux milieux des ombres liquéfiées d’un pays inexistant, je me sens encore plus en exil ici-bas que tous les migrants ubérisés de la ville. « Putain mais qu’est-ce qu’ils t’ont fait sérieux ?! » Je l’attrape fermement par la main et la traîne jusqu’à la voiture sans perdre une seconde. Forcément, je me méfie ; il faudra toujours se méfier de tout en permanence désormais. À défaut de n’avoir pas remporté le concours de Miss Cagole cette année, elle serait encore capable de s’embroncher bien involontairement dans mon dos sur le premier pénis arabo-non-binaire venu, histoire de me faire payer mon odieuse intolérance de jeune mâle blanc infiniment réactionnaire.

La vie en conditions post-modernes, à Marseille comme ailleurs, exige une vigilance et un sang-froid de chaque instant.

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