Voici un livre clair, concis et didactique sur la déconstruction. Ce n’est ni le premier ni le dernier, mais il a le mérite d’élargir la focale et de remonter en amont de la déconstruction en soi, dont Pierre Le Vigan dit très justement qu’elle est un « suprémacisme des marges ». Ce terme, la déconstruction, est né des dilemmes d’un traducteur de Heidegger qui ne voulait pas rendre le « abbau » allemand par « démantèlement », ce qui serait revenu à prêter à Heidegger une volonté de destruction qui lui était étrangère. Un scrupule de langage qui honore Heidegger et son traducteur, mais dont les déconstructeurs n’auront que faire : la déconstruction s’apparentera pour eux à un geste de destruction. Ci-gît la philosophie. C’est en ce sens qu’il faut déchiffrer le titre de Pierre Le Vigan : Les démons de la déconstruction, c’est comme si le daimôn de Socrate avait rencontré les démons du nihilisme dostoïevskiens. À travers eux, le Logos occidental s’est autodétruit. La folle du logis (Pascal) est devenue la folle du Logos. Car ce n’est ni plus ni moins qu’à toutes les formes de « logocentrisme » que s’attaqueront Derrida et ses successeurs. Tout détruire, et d’abord le « carno-phallogocentrisme » (ô Molière, ô Trissotin). Autrement dit : la virilité carnivore, le masculinisme et la raison. À côté, Érostrate incendiant au IVe siècle avant notre ère le temple d’Artémis à Éphèse est un joueur de pipo. Comme dans les liquidations totales, il ne doit rien rester. Mais Derrida, « fou sans Dieu », eut des prédécesseurs, certes pas aussi éloignés qu’Érostrate. En filiation directe, il y a les jérémiades d’Emmanuel Levinas, « fou avec Dieu », qui a toute sa place dans cette généalogie pour avoir axiomatisé la mystique de l’Autre, un autre ubiquitaire, qui est partout et surtout nulle part. Au fond, une sorte de personnage sartrien. On sait combien dans la philosophie sartrienne l’homme, jeté dans le monde, est condamné à être libre et que son hypothétique et très aléatoire essence sera peut-être l’aboutissement de cette quête. Pierre Le Vigan montrer qu’il n’en est rien. Finalement, l’homme jeté dans le monde, c’est l’homme qui a rejeté le monde. Car c’est cela qui a été expulsé – le monde. La déconstruction procède comme les médecins de Molière : elle purge. Résultat : c’est une fosse septique.
Photo : Jacques Derrida, Emmanuel Levinas et Jean-Paul Sartre
Une réponse
Cher Monsieur,
Pensez-vous que la déconstruction soit (On peut le supposer en tout cas pour Sartre) une façon de marquer l’histoire des idées sans réellement contribuer à l’effort humain ? Je m’explique : les philosophes cités dans votre notice ont dû sentir le lourd fardeau de l’Histoire, sans être pour autant armés pour réenchanter le monde (Guerres …). On pourrait donc voir la déconstruction comme une manière de marquer les esprits sans rien produire de vrai. Une manière d’échapper à l’héritage, de ne pas l’assumer, et donc de faire œuvre à part, tout en restant malgré eux dans la lignée de leurs prédécesseurs (Ce que Sartre doit à Hugo ou Flaubert par exemple, et ce malgré lui).