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La désacralisation du monde. Le face à face Alain de Benoist-Thomas Molnar

Pourquoi l’éclipse du sacré ? Voici un débat de haute volée entre deux philosophes qu’une solide amitié liait : le païen Alain de Benoist et le chrétien Thomas Molnar. Dans cet ouvrage, initialement publié en 1986 et fort heureusement réédité par la Nouvelle Librairie, tous deux s’accordent à reconnaître que la modernité aura été une formidable machine à désacraliser, à désenchanter, à séculariser, mais divergent sur les origines de cette éclipse. Esquisse d’une généalogie du processus de désacralisation du monde.

Où se trouve le sacré aujourd’hui ?

À l’heure où la société se réclame d’une laïcité à toute épreuve, la question se pose. Deux philosophes, Thomas Molnar et Alain de Benoist, l’un hongrois, l’autre français, tentent d’y répondre à travers un débat contradictoire tout au long de cet ouvrage de haute volée – initialement publié en 1986, Molnar étant décédé en 2010 – sur la nature du religieux et de son effacement contemporain.

Leur disputatio, aussi savante qu’inspirée et profonde, et bien que divergente, aboutit néanmoins à un constat similaire : la modernité comme système idéologique se montre impitoyablement destructrice de toute sacralité.

En 1947, dans La France contre les robots, Georges Bernanos livrait déjà un diagnostic similaire, lorsqu’il écrivait que l’« on ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ».

Quant à la philosophe Simone Weil, elle constatait que le sacré, sous l’influence du mouvement personnaliste, avait une propension à ne s’attacher qu’au théâtre superficiel de notre humanité limitée et contingente, là où elle considérait, au contraire, qu’il résidait dans l’homme en son infinie simplicité : « Il y a depuis la petite enfance jusqu’à la tombe, au fond du cœur de tout être humain, quelque chose qui, malgré toute l’expérience des crimes commis, soufferts et observés, s’attend invinciblement à ce qu’on lui fasse du bien et non du mal. C’est cela avant toute chose qui est sacré en tout être humain » (La Personne et le Sacré, 1943).

La décadence d’une société se juge à la manière dont cette dernière tente de s’extirper du sacré. Si Roger Caillois (L’Homme et le Sacré, 1988) voyait dans la succession de l’ordre et du chaos un prétexte à un retour du sacré, Marcel Gauchet estimait pour sa part que le « désenchantement du monde » provenait précisément de ce que le christianisme s’était structurellement désinvesti du monde, la sacralité du religieux ayant été sortie du monde en même temps que le religieux (Le Désenchantement du monde, 1985).

Cette liquidation du religieux, parce qu’elle a eu pour corollaire de porter un coup au sacré, n’a pas eu pour effet de réintroduire le sacré ailleurs que dans le monothéisme de la Révélation, sauf à considérer qu’il se serait désormais transporté au cœur de l’islam. À s’en tenir à ce mouvement translatif, l’on s’illusionnerait à grand frais dans la mesure où le sacré est (ou n’est pas), sans qu’il puisse dépendre de l’arbitraire ou des modes.

Thomas Molnar l’affirme, d’ailleurs, sans ambages : « Non, on n’invente pas le sacré, au sens d’une invention individuelle, celle, par exemple, de l’ampoule électrique ou du transistor. Le sacré surgit de je ne sais quelle conjonction entre Dieu et l’univers humain. »

Mais, précisément, parce que Dieu a été évacué de l’univers humain, ou peu s’en faut, le sacré a corollairement déserté, à moins que cette éclipse ne soit plutôt la conséquence d’un enferment de l’homme moderne sur (à) lui-même…

Gageons, pourtant, que nous retrouverons le sens (et l’essence) du sacré, à l’heure où tout un chacun revendique pour lui-même un droit, que Simone Weil, encore, tenait pour une obligation impérative, le respect. Alain de Benoist nous invite ainsi à « “se mettre en chemin”, et d’abord retrouver ce sens du sacré fait à la fois de respect et de sympathie pour l’amicale présence ».

Source : Boulevard Voltaire

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