Le magazine des idées

Krisis : la vraie démocratie en questions

Après une pause plus longue que prévue, la revue Krisis fondée en 1988 par Alain de Benoist revient avec un nouveau numéro, le cinquantième, consacré à la démocratie. Explications et revue de détails avec David L’Épée, son nouveau rédacteur en chef.

ÉLÉMENTS. Après plusieurs mois d’interruption et un passage de témoin avec votre prédécesseur Thibaut Isabel, vous reprenez la rédaction en chef de la revue Krisis avec un numéro consacré à la démocratie. Quid de la ligne éditoriale ? Va-t-elle évoluer ?

DAVID L’ÉPÉE : Elle ne va pas évoluer fondamentalement, elle va simplement poursuivre et étendre la dynamique développée jusqu’ici, qui est celle de l’ouverture, des démarches intellectuelles transversales, et de la confrontation féconde des idées. L’éclectisme que nous visons prend essentiellement trois formes : variété des sciences et des domaines de recherche (nous donnons ainsi dans ce numéro la parole à des historiens, des juristes, des philosophes, des sociologues, etc.), variété des options idéologiques (ça fait déjà plusieurs décennies que nous avons dynamité le vieux clivage gauche-droite), et variété des sources à l’intérieur de la francophonie et, parfois, du monde. Ainsi, si je peux faire signer des auteurs venus de Suisse, mais aussi de Belgique, du Québec ou d’ailleurs, j’en serais ravi, ce qui est déjà le cas dans ce numéro.

ÉLÉMENTS. Pourquoi avoir voulu aborder le thème de la démocratie ? Quelle en était l’urgence ?

DAVID L’ÉPÉE : Le chantier avait déjà été lancé par Thibault Isabel avant son départ. Le hasard faisant bien les choses, il se trouve que c’est, dans le domaine des sciences politiques, un de mes sujets de recherche de prédilection, et qu’il a pris ces deux dernières années une résonance particulière avec le mouvement des Gilets jaunes et les revendications autour du référendum d’initiative citoyenne. La crise sanitaire que nous traversons pose elle aussi de manière assez crue les questions de légitimité, de verticale du pouvoir ou de contrôle populaire. À l’heure où beaucoup d’États du monde « démocratique » gouvernent par décrets, par ordonnances ou en s’appuyant sur des lois d’exception, réfléchir à la question de la démocratie – la vraie ! – s’impose comme une tâche urgente pour préparer la suite des événements.

ÉLÉMENTS. De quel côté penche Krisis ? Du côté de la démocratie directe, de la démocratie illibérale, de la démocratie fédérative, de la démocratie helvète ?

DAVID L’ÉPÉE : Krisis ne se penche pas, elle se dresse ! Je ne révélerai pas un grand secret en vous avouant que je suis pour ma part un partisan convaincu et acharné de la démocratie directe et des droits populaires. Mais notre revue n’entend pas défendre une ligne éditoriale particulière, elle vise au contraire à confronter des points de vue divergents, la lumière naissant toujours du choc des idées. Si certains de nos auteurs défendent tel ou tel modèle de démocratie (directe, participative, parlementaire, communaliste, etc.), d’autres s’y opposent et en font la critique en s’appuyant sur d’autres types de gouvernement. Vous voyez, nous sommes tellement démocrates que nous n’hésitons pas à offrir aussi une tribune aux antidémocrates !

ÉLÉMENTS. Pourquoi avoir fait paraître l’intervention intégrale de Viktor Orbán, le président hongrois, sur la démocratie illibérale ?

DAVID L’ÉPÉE : L’illibéralisme est un concept apparu dans le débat politique européen il y a quelques années et qui a pris depuis une place toujours plus importante. Je ne fais pas partie de ceux que ce modèle séduit (j’ai peine à y voir autre chose que le vieux national-libéralisme grimé aux couleurs du conservatisme) mais il mérite que l’on s’y intéresse, et il s’inscrit de plain-pied dans les nouvelles formes du populisme – lequel, rappelons-le, est peut-être aujourd’hui une des expressions les plus vivaces de la démocratie. Nous aurions pu, pour traiter le sujet, donner la parole à Fareed Zakaria, qui est celui qui a introduit ce terme sur l’agora, mais nous avons préféré, pour donner un contrepied aux autres contributions du numéro, citer non pas un intellectuel mais un homme d’État.

ÉLÉMENTS. Entre l’« apathie de la part du peuple » (Fabrizio Tribuzio-Bugatti) et la « démocratie de délation » (Michel Lhomme), ce numéro opère un triste et sombre constat sur la démocratie occidentale en général et en France en particulier. La démocratie va-t-elle « disparaître dans quelques décennies », comme l’écrit le philosophe Denis Collin ? 

DAVID L’ÉPÉE :Le risque existe, mais il n’a rien d’une fatalité. Deux options principales semblent s’offrir au monde de demain : ou une accentuation indéfinie des évolutions actuellement en cours (développement technologique et scientifique, transhumanisme, etc.) ou un effondrement de la société telle que nous la connaissons, pour des raisons écologiques notamment. Dans le premier cas la démocratie peut profiter de l’optimisation d’un monde toujours plus rationalisé et mis en réseau, mais elle peut aussi (et c’est ce que je crains) succomber sous les coups conjoints de l’aliénation technologique et d’un contrôle social lorgnant de plus en plus vers des rêves totalitaires. Dans le second cas la démocratie peut mourir par éclatement des anciennes unités politiques et territoriales et par un éventuel retour à la barbarie, mais elle peut aussi (et c’est ce que j’espère) renaître à petite échelle, dans des communautés plus soudées et plus enracinées. Qui vivra verra !

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