En politique comme en amour, il y a toujours une première fois. Ainsi, il y a désormais trente ans, cet autre couple, paraît-il programmé pour le pouvoir : Édouard Balladur et Jacques Chirac. Matignon au premier et l’Élysée au second. On connaît la suite. Les « amis de trente ans », même si se connaissant depuis trois décennies, ne sont finalement pas si « amis » que ça. Alors, quid de la solidité de cette autre union, entre le jeune président du Rassemblement national et la déjà triple candidate à l’élection présidentielle ?
Des proches nous en disent plus…
Une militante aguerrie, qui connaît tout ce joli petit monde depuis l’époque d’Occident, en mai 68, nous confie : « Jordan Bardella est trop intelligent pour saborder le navire dans lequel il est embarqué. Quant à Marine Le Pen, elle a trop de sens politique pour détruire tout ce qu’elle a mis tant de temps à entreprendre. Autant Jean-Marie Le Pen avait parfois tendance à réagir sur le temps court, autant Marine me paraît réfléchir sur le temps long. » Un second nos interlocuteur, intime des deux protagonistes, se laisse lui aussi aller à quelques confidences : « Comme souvent les entourages respectifs peuvent faire monter la pression, tentant de chacun tirer la couverture à eux. Mais je pense que ces Marine et Bardella sont autrement plus malins. Après, comme dans tous les couples, il y a forcément des frictions et des mises au point. Mais rien qui ne puisse confiner à l’irréparable. » De quoi se montrer raisonnablement optimiste, semble-t-il.
Promouvoir un enfant d’immigrés ?
À propos de ce dauphin impromptu, Éric Ciotti, ancien président des LR rallié au RN, avoue, dans son livre, Je ne regrette rien (Fayard), son admiration vis-à-vis de Marine Le Pen qui a su faire « éclore Jordan Bardella, ce jeune talent », alors que chez les Républicains, il aurait été « étouffé depuis longtemps ». Il est vrai que lorsque Marine Le Pen, en 2019, propulse cet enfant d’immigrés – trois quarts italiens et un quart algérien – comme tête de liste aux élections européennes de 2019, même son plus proche entourage évoque une sorte de démence impromptue, tout en espérant qu’elle ne soit que passagère. Mais c’est mal connaître la psychologie d’une fille ayant beaucoup hérité de son père. Lequel a toujours eu le don de sauter les générations, préférant donner la préférence aux jeunes pousses qu’à ces quinquagénaires parfois un brin assoupis. La preuve par Samuel Maréchal, en 1995, alors président du Front national de la jeunesse et père adoptif de la jeune Marion, auquel il laisse toute latitude de développer un populisme censé transcender le traditionnel clivage droite/gauche, à rebours de la ligne libéralo-conservatrice qu’un Bruno Mégret, son aîné, tente alors d’imposer. Là encore, la suite est connue : le technocrate qui vise à peine plus haut que ses souliers à talonnettes, a vite réintégré son corps d’origine ; la haute fonction publique. La preuve aussi par la promotion de Marine, sa cadette, à la présidence du Front national, contre un Bruno Gollnisch, d’une autre génération plus prompte à réhabiliter le passé qu’à préparer l’avenir, tel que le déplorait alors Jean-Marie Le Pen. Comme quoi les chiens ne font que rarement des chattes.
Les confidences de Patrick Buisson…
Il y a quelques années, le politologue Patrick Buisson confiait à l’auteur de ces lignes, quelques mois avant sa mort, en 2023, lors d’un dîner commun aux Sables d’Olonne : « J’avais pris ma retraite, mais je donnais encore des conférences de temps à autres. Au siège du syndicat étudiant La Cocarde, le plus souvent. Là, je remarque qu’il y a toujours un garçon un peu timide, au fond de la salle, qui prend des notes de manière frénétique. Dans ce milieu de gosses de riches, il n’a pas tout à fait le look idoine, entre ses chaussures bon marché et ses costumes au rabais. Pour tout arranger, il est complexé par son prénom. Comment faire son trou chez les Charles-Henri et les Pierre-Édouard, quand on se prénomme Jordan ? Mais je savais qu’il irait loin, car ce jeune Bardella avait faim, à la fois de réussite et de revanche sociale. C’est pour cela, je pense, qu’il travaillait toujours plus que les autres. Je suis donc tout autant persuadé que son ascension fulgurante au sein du Front national ne doit strictement rien au hasard et encore moins à l’effet de cour ou au caprice du roi ; ou de la reine, en l’occurrence. » Voilà pour le volet humain et place à celui relevant plus du domaine politique.
Bardella à l’Élysée ? L’adoubement de Marine Le Pen…
En effet, cet étrange attelage, quasi filial, entre mère un peu fouettarde et enfant prodige, prétendront certains, pourrait paraître brinquebalant aux yeux d’une majorité de Français. Fortuitement, il n’en est rien, à en croire ces enquêtes d’opinion dont la lecture devient lassante, tant elles répètent sempiternellement la même chose : ce duo a tout du doublé gagnant, tel que dit au PMU.
C’est d’autant plus vrai que lors d’un entretien accordé à Valeurs actuelles, ce 25 juin, Marine Le Pen officialise ce qui était déjà officieux : « Faire de la politique, c’est s’adapter. J’ai intégré l’hypothèse selon laquelle je ne puisse pas me présenter. Jordan a intégré la possibilité qu’il doive reprendre le flambeau. Je lui ai moi-même demander de réfléchir et de se préparer à cette éventualité. »
Dans le même temps, que nous dit le dernier baromètre Odoxa, commandé par la très officielle chaîne Public Sénat ? Jordan Le Pen et Marine Bardella culminent à 36 % « d’adhésion » ; ce qui n’a rien à voir, rappelons-le avec cette « popularité » ayant pu faire croire à une Simone Weil ou à un Bernard Kouchner qu’ils étaient promis à destin national. Dans le même temps, Édouard Philippe, l’imam caché du « bloc central », descend à la quatrième place ; la troisième revenant à Bruno Retailleau, président des Républicains.
Le désert à gauche ?
D’où ce commentaire d’Odoxa qui nous en dit plus sur la solidité du couple en question : « Si les deux figures du Rassemblement national ont déjà atteint de tels niveaux de soutien et de popularité cumulés dans de précédentes enquêtes, c’est la première fois qu’une telle égalité est constatée en haut de ce palmarès. » Plus intéressant encore, à propos des concurrents les plus directs du duo, Édouard Philippe et Bruno Retailleau, tous deux macronistes à des degrés divers ; l’un, ancien locataire de Matignon, et l’autre, ministre de l’Intérieur : « Plus inquiétant encore pour le premier, le voilà désormais rejoint au même niveau d’adhésion par le second, soit 33 %. »
Et à gauche, ou au centre-gauche, pour être plus précis ? Gabriel Attal sort son épingle du jeu avec 29 %, tandis que Jean-Luc Mélenchon culmine à un record de « rejet » quasiment égal à celui de Jean-Marie Le Pen en d’autres temps : « 69 % ». Quant à des candidats un brin plus “présentables”, il faut descendre aux neuvième et dixième places de ce Top Ten, pour trouver François Ruffin (24 %) et Raphaël Glucksmann (23 %). De là à conclure que la France vire à droite, il y a un pas qu’il serait délicat à franchir. En revanche, qu’elle soit de moins en moins de gauche demeure un fait avéré.
Alors, au-delà de la solidité plus ou moins relative du binôme lepéno-bardellien, force est de constater qu’il n’y a plus grand-chose en face, en matière de force constituée. En politique comme en sport, il peut arriver qu’on gagne, parfois moins sur ses points gagnants que sur les fautes de l’adversaire. Surtout quand ces dernières sont à répétition et que les adversaires en question semblent de plus en plus éloignés du terrain.
Pour finir, d’autres assureront que peut-être trop de compromissions auront été nécessaires, afin d’atteindre ce pouvoir tant désiré. Mais comment en serait-il autrement en démocratie ? François Mitterrand et Jacques Chirac en savent quelque chose. Jamais deux sans trois ?