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Julien Rochedy : l’Europe, un continent-civilisation

Julien Rochedy : l’Europe, un continent-civilisation

La crise que traverse l’Union européenne ne doit pas conduire à abandonner l’Europe, pas plus que la médiocrité d’Ursula von der Leyen ne doit faire oublier le génie de Peter Sloterdijk. À l’ère des continents-civilisations inscrits dans la longue durée et les grands espaces, l’Europe ne pourra pas se contenter de jouer petit bras. Auteur de « Surhommes et sous-hommes. Valeur et destin de l’homme » (Éditions Hétairie), éditorialiste à « Éléments », Julien Rochedy répond aux questions de « Breizh-Info » et de « Freilich Magazin » et remet nos fuseaux horaires à l’heure européenne.

BREIZH INFO : Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

JULIEN ROCHEDY. Je suis essayiste et éditeur. J’ai écrit quatre livres, plus un en collaboration, ces quatre dernières années, et je m’apprête à publier dans ma maison d’édition non seulement des auteurs français qui apportent quelque chose de neuf dans le débat mais aussi des auteurs anglo-saxons assez méconnus en Europe et qui pourtant sont très respectés outre-Atlantique. Je cherche aussi à publier en français d’autres auteurs européens : à ce propos, si vous avez des auteurs de langue germanique qui mériteraient de se faire connaître ici, n’hésitez pas à mes les proposer ! J’aimerais beaucoup pouvoir faire correspondre entre elles des pensées européennes et américaines appartenant un courant plus ou moins « identitaire » qui reste d’ailleurs à transformer en véritable école de pensée.

BREIZH INFO : Comment défendre et faire vivre l’héritage européen ?

JULIEN ROCHEDY. En se débarrassant d’un certain nombre d’idées reçues dans notre propre camp. Par exemple, je travaille actuellement sur le principe d’État-nation et plus je l’étudie, plus je m’aperçois qu’il fut assez destructeur de l’héritage européen et de la civilisation européenne tout court. Or, un certain nombre d’entre nous continuons à nous définir comme des « nationalistes », à ne penser qu’à travers le cadre administratif de nos nations, héritage en vérité assez neuf dans notre histoire puisqu’on peut surtout le dater du XIXe siècle. Notre héritage européen, c’est une articulation du local et du civilisationnel, c’est être localiste et impérialiste à la fois, provinciaux et européens, c’est appartenir à la fois à un village et à une civilisation. Je pense que nous entrons dans une ère néo-féodale qui verra le retour de cette double appartenance : au Moyen Âge, elle fut celle des fiefs et de la Chrétienté. D’une façon ou d’une autre, nous allons revenir à ces formes de médiations politiques, articulant le plus petit et le plus grand.

BREIZH INFO : Quelle est votre vision de la remigration ?

JULIEN ROCHEDY. Dans un monde idéal, tous les peuples auraient leurs terres et ceux qui vivent sur les terres des autres sans droit de conquête devraient remigrer vers celles de leurs ancêtres. Malheureusement, même si une politique incitative doit être mise en place pour pousser les Africains et musulmans à retourner dans leur pays d’origine, je ne crois pas qu’une remigration massive soit tout à fait possible à échelle d’une voire deux générations. Voire peut-être plus encore. Je pense donc que la sécession, la séparation, la partition de nos territoires est beaucoup plus envisageable. Du reste, cette séparation géographique est un phénomène qui s’installe progressivement et naturellement dans le paysage, avec les Blancs qui migrent vers les campagnes et les petites villes, laissant de plus en plus les immigrés dans les grandes. Là encore, c’est l’État qui, souvent, cherche à les disséminer un peu partout pour éviter ou pour retarder une partition selon moi inéluctable.

BREIZH INFO : Qu’est-ce qu’être identitaire ?

JULIEN ROCHEDY. J’ai dit dernièrement dans une vidéo qu’un identitaire était tout d’abord un hérétique de la religion en cours en Occident, celle qui a remplacé le Christianisme et qui se fonde sur trois grands mythes : 1) l’égalitarisme – croyance que tous les hommes se valent, que les peuples sont les mêmes. 2) L’universalisme – croyance qui découle du premier mythe : si nous sommes tous égaux, nous pouvons tous vivre ensemble selon les mêmes règles et mêmes valeurs. 3) Le mondialisme – conséquence des deux premiers mythes : si nous sommes tous égaux, que nous pouvons tous vivre ensemble, alors nous devons le faire et abolir toutes les frontières. Voilà : un identitaire est quelqu’un qui ne croit en aucun de ces mythes et qui est donc jugé comme un blasphémateur ou un païen vis à-vis de la grande religion de l’homme universel. En lieu et place de ces croyances absurdes qui sont encore celles de la postmodernité, l’identitaire croit plutôt que l’homme demeure un être tribal en tant que membre d’une espèce sociale, qu’il a donc besoin de naître et de se développer dans des environnements homogènes et familiers sur le plan culturel, de sorte à donner le meilleur de lui-même. C’est pourquoi il lutte contre l’hétérogénéité ethnique de nos sociétés qui est, pour lui, le plus grave des dangers, car aucun projets politique d’avenir ni aucune résilience ne sont possibles dans le cadre d’une trop grande hétérogénéité ethnique.

BREIZH INFO : En tant qu’ancien cadre dirigeant du Front national de la jeunesse, quelles leçons avez-vous tirées de votre expérience politique et comment cela influence-t-il votre travail actuel ?

JULIEN ROCHEDY. J’ai tiré la leçon essentielle selon laquelle il ne fallait pas tout attendre de la politique nationale étatique et que les sociétés changeaient surtout en raison de processus sociétaux parfois assez longs, lesquels demandaient un gros investissement en matière culturelle pour parvenir à les influencer. La politique n’est généralement qu’un aboutissement d’un travail d’influence de longue haleine. C’est pourquoi je travaille dorénavant davantage sur les possibilités d’influencer les politiques, et plus largement, les centres de décision. C’est ce que nous devons tous faire : constituer des forces d’attraction, des forces sans lesquelles la politique n’est pas possible, forcer les politiciens à devoir faire avec nous, nos intérêts, nos desideratas, nos volontés. Nous devons fonctionner comme des lobbies, des syndicats des peuples autochtones. Nos idées doivent infuser partout. Nos entreprises doivent être incontournables. Notre présence au sein des institutions – police, armée, justice, médias, etc. – doit être profonde. En somme, nous devons prendre le pouvoir à tous les niveaux si nous voulons vraiment ne pas sortir de l’histoire, et pas seulement « gagner une élection », ce qui n’est en vérité que « la cerise sur le gâteau ».

BREIZH INFO : Quels sont les principaux défis auxquels vous avez été confronté en partageant ouvertement vos idées et connaissances sur des sujets potentiellement controversés ?

JULIEN ROCHEDY. J’ai ces idées depuis tellement longtemps que je ne me rends plus compte des problèmes qu’elles m’amènent ! Je suis par exemple totalement interdit de prêt bancaire dans mon pays, alors que mon entreprise se porte bien et que je respecte toutes les lois. Des « insiders » très haut placé m’ont confirmé que c’était seulement en raison de mes engagements et opinions politiques… Il y a d’autres petites choses comme cela qui sont assez contrariantes au quotidien. Mais je ne veux pas m‘apitoyer sur mon sort : après tout, en d’autres temps, j’aurais pu être sommairement exécuté ou envoyé au goulag pour y mourir. Nous ne sommes donc pas si mal lotis ! À vrai dire, ce qui me préoccupe davantage est plus souvent mes opinions controversées au sein de mon « camp idéologique ». Par exemple, celui-ci est ordinairement souverainiste, nationaliste, anti-européen, complotiste, anti-écologiste, pro russe, hystériquement anti américain et bien d’autre choses que, personnellement, je ne suis pas du tout. Cela me met souvent dans des positions inconfortables et m’aliène le soutien de beaucoup de gens qui devraient pourtant être mes amis ! Mais j’aime cela, car je n’apprécie pas le conformisme, qu’il soit celui du système ou celui de la « dissidence », lequel existe bel et bien lui aussi…

BREIZH INFO : Quelles sont vos inspirations intellectuelles et littéraires ? Y a-t-il des auteurs ou des penseurs, notamment allemand, qui ont particulièrement influencé votre travail ?

JULIEN ROCHEDY. Bien sûr ! Le plus important d’entre eux étant Nietzsche. C’est avec lui que j’ai commencé à penser sérieusement, durant l’adolescence. Il fut mon véritable maître, même si, depuis, j’ai appris à prendre quelque peu mes distances avec lui. Les penseurs de la Révolution conservatrice ont également nourri ma jeunesse : j’ai vibré avec Jünger et von Salomon comme beaucoup de jeunes de droite… Je n’ai cependant jamais été un fanatique de Spengler, je dois bien l’avouer… Tenez, par exemple, l’un des auteurs qui m’a le plus servi pour l’élaboration de mon dernier livre fut Werner Jaeger : son Paideia est incontournable. Dernière chose : le philosophe contemporain que j’admire le plus actuellement est un Allemand qui, même s’il n’a pas « nos idées », est selon moi absolument génial et toujours stimulant intellectuellement : Peter Sloterdijk. Chacun de ses livres est chez moi un tourbillon d’idées nouvelles et de façons originales d’approcher le monde et ses problèmes. Je trouve qu’il fait bien honneur à la grande tradition philosophique allemande.

BREIZH INFO : En quoi votre expérience à l’étranger, en Afrique, en Russie et au Proche-Orient, a-t-elle enrichi votre compréhension des enjeux mondiaux et de la politique internationale ?

JULIEN ROCHEDY. J’ai compris que nous étions entrés dans l’ère des continents-civilisations. Hier, nous sentions que nous quittions notre pays lorsqu’on passait d’un village à un autre, d’une province à une autre, puis d’un pays à un autre. Aujourd’hui, on ne ressent vraiment cela que lorsqu’on quitte son continent, que l’on quitte sa civilisation. Si je suis en Afrique, au Maghreb, en Orient ou en Asie et que mon vol pour Paris est détourné vers Vienne ou Rome ou Copenhague pour y passer 24 heures, je sens quand même que, d’une certaine façon, je suis « rentré chez moi ». Je suis en Occident, en Europe, dans mon ère culturelle. Cela veut dire beaucoup et doit, je crois, nous imposer une nouvelle façon de nous organiser politiquement. Avec des mastodontes comme la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil, les États-Unis, c’est-à-dire des États à l’échelle de continents ou presque, nous devons absolument faire l’Europe pour être capable d’encore exister au XXIe siècle.

BREIZH INFO : Comment les Européens doivent se positionner par rapport aux conflits mondiaux ?

JULIEN ROCHEDY. En sachant déterminer leurs intérêts et en agissant en fonction. D’abord, nos frontières : pour moi, elles vont jusqu’à la Russie. L’Ukraine fait partie de l’Europe donc nous devrions être capables de la défendre sans avoir à réclamer l’aide américaine, ce qui est aujourd’hui illusoire, mais sans armée européenne forte et indépendante, les Américains resteront sur notre territoire, ce que je ne veux pas (et ce que les Américains ne veulent plus non plus en vérité !). Il faudra aussi défendre nos frontières sud, sud-est, contre des mouvements migratoires qui ne font que commencer et qui seront absolument mortels pour notre civilisation. Il nous faudra donc une grande politique méditerranéenne pour maintenir des États stables au sud de la mer méditerranées afin qu’ils servent de tampon entre l’Afrique et nous. Ensuite, il faudra nous organiser de façon à pallier le plus grave problème qui sera le nôtre au XXIe siècle : l’indépendance énergétique, et son corolaire, la main mise sur les matières premières essentielles. Ces enjeux décideront de nos alliances et de nos interventions. Enfin, il nous faudra avoir une grande politique de réindustrialisation pour garantir notre autonomie dans presque tous les domaines. Or, une telle politique ne peut se faire, aujourd’hui, qu’à échelle européenne.

BREIZH INFO : La France et l’Allemagne sont les deux plus grandes nations européennes, pour que l’Europe s’articule correctement, elles doivent aller dans la même direction. Selon vous, comment la France et l’Allemagne peuvent-ils collaborer ?

JULIEN ROCHEDY. D’abord en se rappelant de l’histoire : 90 % des problèmes que nous avons viennent, plus ou moins indirectement, des conflits et des oppositions que nous avons connus et que nous connaissons encore entre la France et l’Allemagne, et ce, depuis le traité de Verdun (843) ! La fixation sur nos intérêts purement nationaux ne fait qu’affaiblir l’Europe, et en dernière instance, nos intérêts « nationaux ». Nos nations sont comme les anciennes cités grecques qui furent incapables de s’allier (à part lors des guerres médiques – à méditer) et passèrent leur temps à se faire la guerre alors qu’elles avaient pourtant le sentiment d’appartenir à la même civilisation hellénique. Incapables de faire leur unité, elles ont été subjuguées par l’empire romain et toutes les anciennes cités se sont irrémédiablement et de concert affaiblies, jusqu’à sortir définitivement de l’Histoire. J’aimerais que nous soyons autre chose que d’anciennes cités grecques, que nous retenions les leçons du passé, que nous ne commettions pas les mêmes erreurs par stupidité. La France et l’Allemagne ont tout intérêt à se mettre en commun au niveau politique, militaire, économique, énergétique, écologique, etc. Si nous n’y arrivons pas à cause de vieilles bêtises nationalistes et d’égoïsmes nationaux persistants, alors que voulez-vous que je vous dise ? Nous serons comme Athènes et Sparte après leur gloire, nous disparaitrons ensemble, tout simplement…

BREIZH INFO  : Dans l’ensemble du monde germanique, il existe un lien étroit entre la métapolitique et la politique électorale, comme en témoignent les diverses associations et fraternités, notamment dû au travail des intellectuels allemands, comme Benedikt Kaiser, comment prendre exemple sur le modèle allemand ?

JULIEN ROCHEDY. Les Allemands ont davantage cette culture, car à la différence de nous Français, ils constituaient une véritable nation avant l’émergence de l’État-nation. Ils ont donc beaucoup plus d’esprit d’initiative au niveau local, car pour eux la politique ne se limite pas, comme chez nous tendanciellement, à tout attendre de l’État. Nous devons absolument nous « désétatiser » le cerveau, nous Français. Penser local, provinces, campagnes, associatif, lobbies, clubs, think tanks, bref autant d’éléments et d’échelles beaucoup plus ordinaires pour un Allemand ou un Anglo-Saxon. C’est très difficile pour nous, car nous n’en avons vraiment pas l’habitude après des siècles d’étatisme stérile et émolliant, et c’est pourquoi je pense qu’une intégration européenne, en nous « défrancisant » un peu dans ce que la France a de pire, pourrait paradoxalement renforcer, protéger et mettre en avant ce que la France a de meilleur pour notre civilisation commune.

BREIZH INFO : Pensez-vous que nous devrions construire un « Vorfeld » européen de droite, un espace commun ? C’est-à-dire un ensemble de structures destinées à renforcer les liens, notamment par la culture, mais aussi par la métapolitique.

JULIEN ROCHEDY. Oui. J’aimerais beaucoup que nous ayons à terme des structures européennes. J’en discute avec des intellectuels identitaires et/ou conservateurs de langue française comme David Engels ou Antoine Dresse (Ego Non) qui sont eux aussi très ouverts sur l’idée européenne. Il nous faudrait une association qui nous permette de nous réunir régulièrement, de coordonner nos actions et de réfléchir ensemble. J’espère que cette structure se créera prochainement !

Source : BREIZH INFO

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