L’année 2022 sera-t-elle à marquer d’une pierre blanche dans les annales du Rassemblement national ? D’abord Marine Le Pen à plus de 13 millions de voix, puis les 89 députés RN et enfin le congrès de samedi qui a confirmé Jordan Bardella à la tête d’un parti qui n’avait connu jusque-là que le nom des Le Pen. On sait combien le congrès de Tours, en 2011, a compté dans l’histoire interne du FN puisqu’il a vu Marine prendre la succession de son père face à Bruno Gollnisch ; et enchaîner trois présidentielles, avec une quatrième en ligne de mire si les circonstances l’imposent – et elles l’imposeront. Gageons que le congrès qui s’est déroulé à la Mutualité samedi dernier s’inscrira lui aussi comme une nouvelle étape dans la marche en avant du RN.
La séquence ne s’est pourtant pas exactement déroulée comme prévu, tant mieux en un sens. Ce 18e congrès devait être une formalité. Le président par intérim, Jordan Bardella, allait être intronisé seul, sans opposition, président. La candidature de Louis Aliot est venue pimenter un match qui semblait plié d’avance, surtout l’extravagante orientation sociale-démocrate qu’Aliot lui a donnée quand il a annoncé vouloir « ouvrir le chemin d’un “Bad Godesberg” à la française », du nom de l’abandon du programme marxiste par la gauche allemande dans les années 1950. Autant dire une normalisation idéologique totalement contracylique, au moment même où les planètes populistes s’alignent un peu partout en Europe, qui aurait fait du RN un parti de centre droit et de Louis Aliot un Christian Jacob bis orphelin de Georges Pompidou.
Louis Aliot, le roi fainéant
J’aime bien Louis Aliot. C’est la droite cassoulet, rugby de village, qui lit Midi Olympique en tapant du poing sur la table. Mettez-lui une paire de moustaches, on dirait un sosie de Gaston Doumergue ou d’Édouard Herriot. Il pense que l’avenir du RN, c’est de devenir un parti néo-rad-soc mou du genou, une sorte de radical-socialisme des champs comme au bon vieux temps de la IIIe République à papa. Avec lui, le parti ne se serait pas seulement « dédiabolisé », mais « notabilisé ». Son indolente campagne a rappelé aux plus anciens d’entre nous le mot d’Edgar Faure : l’immobilisme est en marche et rien ne pourra l’arrêter.
Personne ne l’imaginait gagner face à Jordan Bardella. La seule inconnue qui planait sur l’élection, c’était la marge de manœuvre dont ce dernier allait disposer. En dessous de 67,65 %, le résultat de Marine face à Gollnisch en 2011, ç’aurait été une victoire à la Pyrrhus qui l’aurait obligé à composer. À plus de 70 %, un succès. À plus de 80 %, un plébiscite.
Au final, il a recueilli près de 85 % des suffrages. Un triomphe romain qui aurait dû éloigner les turbulences de la semaine parlementaire, littéralement pourrie par la Nupes qui a fait tout un pataquès autour de l’anodin « Qu’ils retournent en Afrique ! » lancé par le député RN de Gironde, Grégoire de Fournas, dans une classique surenchère d’indignations de la gauche morale, où se sont mêlées les voix des LR et des députés macroniens. Les mêmes qui nous expliquaient une semaine plus tôt que les 700 000 OQTF, les « obligations de quitter le territoire français », allaient être exécutées. Mais, bande de cornichons, si ces OQTF ne pénétraient pas le territoire, nul ne songerait à le leur faire quitter. Grégoire de Fournas n’a rien dit d’autre. Pas de quoi l’exclure de l’Assemblée. Du reste, il ne l’a été qu’en raison du tumulte occasionné et non d’un quelconque propos raciste qu’on cherchera en vain. Or, le tumulte, c’est la Nupes qui l’a organisée dans la semaine. Et Steeve Briois le week-end. Mal lui en prit. Marine l’a désavoué.
L’Iznogoud de palais
C’était l’autre enjeu du congrès, caché celui-là : la neutralisation par Jordan Bardella du clan d’Hénin-Beaumont, poisson-pilote de la campagne d’Alliot, avec à la manœuvre Steeve Briois et surtout Bruno Bilde, l’Iznogoud de service et député du Pas-de-Calais. Mais lui, à la différence du personnage de Goscinny, il ne cherche même pas être calife à la place du calife, ce qu’il veut c’est qu’il n’y ait personne à la place du calife. Car rien ne vaut le siège vacant du pouvoir pour tirer les ficelles dans l’ombre. Ainsi les deux apparatchiks s’imaginaient-ils membres à vie du bureau exécutif du RN comme on l’était au temps des purges staliniennes, régentant les investitures et les procédures disciplinaires.
Le moins nuisible des deux, c’est le maire d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois, le Fernandel du Nord, une gueule qui crève l’écran, l’homme qui a très largement contribué à redessiner le visage du RN en faisant de sa ville la vitrine du marinisme municipal. Malheureusement pour lui, il n’est rien sans son comparse. Lui en Laurel ; et Bilde en Hardy rondouillard. Le premier dans le rôle de l’auguste qui met les rieurs dans sa poche. Le second dans celui du clown blanc et de l’intrigant qui passe des coups de fil aux journalistes dans le dos des collègues de bureau. Officiellement, Bruno Bilde est innocent. Officiellement, Bruno Bilde n’a jamais poussé personne dans l’escalier. Officiellement, Bruno Bilde n’existe pas. C’est un hologramme. On ne le voit jamais, on ne l’entend guère. Il est toujours caché, derrière son bégaiement commode, derrière son écran de téléphone, derrière la commission d’investiture, derrière ses coups foireux, derrière Steeve Briois, comme dans Boule et Bill, mais ici Boule, c’est Bilde.
C’est d’ailleurs Bilde qui a lancé samedi le psychodrame des amants éconduits en envoyant à la presse le communiqué surréaliste de Steeve Briois, qu’il a sûrement rédigé lui-même, s’alarmant d’« une potentielle re-radicalisation » du RN, avant que Briois n’en remette une couche devant les caméras de BFMTV contre les « obsédés de l’identité ».
Bardella n’a pas cédé au chantage. Il a exclu du bureau exécutif les deux pleureuses, premier geste d’autorité, fort. Les deux auraient dû le savoir : si Bardella est obsédé par une chose, c’est par la consolidation de son parti, qu’il veut préparer à l’exercice du pouvoir. Aucun conflit de loyauté en vue. Aussi étrange que cela soit, il appartient à la génération des millennials qui n’a connu que Marine. Jean-Marie qui ? Lui a pris sa carte au FN à 17 ans, avant d’en gravir un à un les échelons, jusqu’à prendre la tête de liste aux élections européennes de 2019, puis la vice-présidence du parti, et désormais la présidence.
Nos banlieues ont du talent
Ascension fulgurante pour quelqu’un qui n’avait jusque-là connu que la cité Gabriel-Péri, à Saint-Denis, la Mecque du cannabis, où la caillera et la charia font la loi. Un enfant de la dalle qui a grandi entre les barres d’immeuble et les barrettes de shit, dans ce terminus des migrations qu’est la Seine-Saint-Denis, tombeau des rois de France et cimetière des illusions républicaines. Il aurait pu devenir dealer, il est devenu français, lui le fils d’immigrés italiens. Miracle de l’assimilation : 85 % des adhérents du RN ont porté à la tête de leur parti 75 % de sang italien.
Les journalistes ne savent pas par quel bout prendre Bardella. Ils en parlent comme s’il avait toujours vingt ans, le « Mozart des éléments de langage ». Mais à 27 ans, c’est lui qui les écrit, les éléments de langage. Et de rabâcher la même rengaine. Ce serait un homme pressé. Et alors ! Le temps ne presse-t-il pas ? Ambitieux ? Ah bon ! Mais depuis quand l’ambition serait-elle un défaut ? Froid ? Mais pourquoi, diable, les journalistes voudraient-ils qu’on soit chaud bouillant avec eux, alors qu’ils passent leur temps à nous doucher froidement ? Mais de toutes les accusations, ma préférée, c’est que ce serait un cyborg. Comme Erling Haaland au fond. Vous ne connaissez pas, Erling Haaland, fabuleux footballeur qui a déjà marqué 18 buts en 12 matches de Premier League, le plus beau ratio européen ? Franchement, des cyborgs comme ça, j’achète. Si Bardella est le Erling Haaland de la politique, la France est première au classement FIFA les dix prochaines années.
Il faut se rendre à l’évidence : si Marine l’a choisi, c’est qu’il est bon, très bon même. S’il avait fait l’ENA ou Normale Sup’, les journalistes, jamais à court de flatteries, en parleraient comme d’un surdoué au joli tableau de chasse. Ne s’est-il pas payé, ces derniers mois, Gérald Darmanin, Olivier Véran et Gabriel Attal ? Un parti qui se choisit pour leader un jeune homme de 27 ans délivre une leçon de vitalité et une promesse d’avenir. Et au passage, le RN prouve qu’il n’est pas une boutique à l’actionnariat familial, mais bel et bien un parti, pas comme les autres, puisque c’est celui des Kévin, dont Jordan Bardella vient de lever la malédiction.